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2° Le livre « Homéopathie à la Ferme, des éleveurs racontent »

« On a mis 5 ans à l’écrire, donc ça a mis un certain temps, avec des hauts et des bas, mais alors qu’on nous avait promis les pires difficultés en nous disant que le meilleur moyen de s’engueuler c’est de faire un livre à plus de trois, c’est en fait surtout des bons moments qu’on a passés ensemble », me raconte Alain. En 2011, le livre Homéopathie à la

Ferme, sous-titré « des éleveurs racontent » est publié dans la collection « Pratiques

Utopiques » des éditions REPAS.

Lectures de l’enquêteur

Le livre compte environ 200 pages. Outre quelques annexes, un lexique et une bibliographie indicative, il se construit autour de quatre chapitres.

• Le chapitre n°1, intitulé « Paroles d’éleveurs », constitue une sorte de présentation de la démarche des auteurs, plus particulièrement de leur façon de concevoir leur métier d’éleveur et/ou de berger, ainsi que leurs rapports aux animaux. Se dessine posture aux antipodes de la recherche de gain de temps, prônée par la doxa d’une discipline comme la zootechnie. On y trouve aussi une réflexion sur la taille du troupeau et sur la responsabilité de l’éleveur vis-à-vis de la santé ou de la souffrance de ses bêtes. On note enfin quelques mots sur la façon dont ces éleveurs envisagent leur relation aux animaux et, pour finir, des précisions sur le sens que prend pour eux le choix thérapeutique de l’homéopathie dont la pratique fait l’objet de ce livre.

• Le chapitre n°2, intitulé « A la découverte des fermes » est une occasion pour chacun des contributeurs de présenter son élevage ainsi que son parcours en homéopathie avec ses animaux : les échecs, les réussites, les angoisses, les progrès, la rencontre avec Alain, avec Christel, les échanges en groupe autour de leur pratique.

• Le chapitre n°3 déroule, sur une cinquantaine de pages, des descriptions étoffées de nombreux cas rencontrés par chacun des éleveurs contributeurs, des remèdes donnés, de leur recherche et de leurs résultats parfois miraculeux, parfois suffisants pour sauver une bête, d’autres fois absents.

• Le chapitre n°4 enfin, propose au lecteur une explication des notions clefs et des gestes de la pratique homéopathique. Alain y présente l’homéopathie uniciste, puis, entre autres, le rôle des symptômes et de leur recherche en homéopathie vétérinaire, ainsi que les deux outils du praticien homéopathe que sont le Répertoire et la Matière Médicale.

Je dois l’avouer, c’est avec un certain sentiment de désarroi que j’ai refermé ce livre après en avoir lu les dernières pages lors de ma première semaine de stage. Qu’allais-je bien pouvoir rajouter de plus à cet ouvrage, moi, qui n’avais que six mois de stage, une douzaine d’entretiens et quelques journées passées avec des éleveurs, pour découvrir leur pratique de l’homéopathie en élevage, leurs relations avec leurs animaux et leurs échanges en collectif ? Que pouvais-je dire de plus sur ces éleveurs qui allaient se trouver impliqués dans mon enquête ? N’étaient-ils pas aux prises avec les même questions depuis plus de vingt ans, ne venaient-ils pas tout juste d’en faire un livre, préfacé de surcroît par une sociologue de renom, Jocelyne Porcher, qui en cinq pages répondait à la plupart des interrogations de mon offre de stage ? Pour le jeune lecteur que je suis en matière de littérature ethnométhodologique (courant qui invite à repenser le rôle des chercheurs en sciences sociales en pointant la capacité des acteurs à produire eux-mêmes les documentations de leurs propres activités (Garfinkel, 1967), il y avait là un paradoxe, une contradiction

presque, qu’il m’était difficile de résoudre. Heureusement pour moi, mes premières semaines d’enquête et mes premiers entretiens allaient vite me rassurer. Et ce, en me donnant l’occasion de voir émerger des problématiques et des sujets qui, tout en faisant écho aux thématiques qui sont celles de ce livre, venaient les compléter, les prolonger, et me montrer qu’il existait encore de nombreux plis de l’expérience des éleveurs du Diois avec l’homéopathie, dont il était possible de rendre compte. Par ailleurs, je comprenais que mon enquête gardait quelques spécificités. Tout d’abord l’enquête arrivait 5 ans après la rédaction du livre et pouvait se penser comme une forme d’actualisation de l’effort réflexif qui fut celui des membres de l’association. Une actualisation donc, mais aussi une extension de l’enquête à des éleveurs ayant commencé l’homéopathie plus récemment. Une relocalisation également, autour de l’homéopathie telle qu’elle se pratique sur le territoire du Diois. Une focalisation enfin, sur la question de l’apprentissage en collectif, thématique présente dans le livre mais ne constituant pas le cœur de sa problématique. D’autre part, la spécificité de mon enquête tenait aux publics auxquels elle allait s’adresser : aux éleveurs entre autres, mais aussi au groupe de chercheurs participant du projet de recherche COTRAE.

Ainsi, si ma lecture du livre Homéopathie à la Ferme, couplée à ma participation à la première veillée du 7 février, a constitué un des matériaux de base sur lequel j’ai construit le guide d’entretien pour engager la discussion avec les éleveurs sur leur pratique collective de l’homéopathie, je l’ai par la suite vite mise de côté (sur les conseils d’Elisabeth), pour n’y revenir que plus tard, au moment de la construction des analyses qui s’articulent dans ce mémoire.

Lectures des éleveurs : quelle valeur pour les récits d’Homéopathie à la Ferme ?

Reste que, plutôt qu’à un sentiment désarroi, le fait de considérer ce livre comme un

account de l’expérience des éleveurs du Diois17

, aurait d’avantage dû inviter à une réflexion sur les usages et les appropriations qui en sont faits. Car un account, au sens de Garfinkel ne saurait être qu’un produit destiné à la seule contemplation de ce qu’il représente : il est le véhicule de nos façons de faire telles qu’elles sont à venir. Quelle place ce livre tient-il au sein de l’expérience des éleveurs du Diois concernés par mon enquête ? Comment se saisissent-ils des histoires qui y sont racontées ?

C’est sur ce point que peut être observé un nouveau lien entre l’association et la dynamique du Diois qui existe autour des formations et des veillées. Car si nous avons pu voir que la plupart des éleveuses participant aux formations n’est pas impliquée dans les activités de l’association, notons en revanche que nombre d’entre elles sont en possession du livre Homéopathie à la Ferme. Et rares sont les fermes sur l’étagère desquelles je n’ai pas vu le livre, qui constitue souvent pour ses lecteurs un véritable élément d’accompagnement

17 C’est le terme qu’utilise Garfinkel pour qualifier les comptes rendus que les acteurs font de leurs activités et ethnométhodes (1967).

dans leur pratique de l’homéopathie. Des quelques discussions que j’ai pu avoir à ce sujet, il est apparu que les éleveuses retiraient de sa lecture à la fois des connaissances pratiques – qu’elles intègrent dans leur quotidien ; mais aussi un sentiment d’émotion, qui leur redonne confiance, notamment face à des coups durs, la mort d’une bête à laquelle elles étaient attachées, par exemple. Une fois de plus, on retrouve sur ce point la double valeur de l’homéopathie telle qu’elle se pratique en collectif dans le Diois : celle d’un appui technique (via les nombreux cas détaillés par le livre) et celle d’une ouverture aux autres éleveurs du point de vue de l’enjeu souvent douloureux que représente la santé animale au sein d’un élevage (selon l’expression d’Agnès). Le témoignage de Delphine ci-dessous est particulièrement évocateur de cette seconde dimension :

Delphine - Homéopathie à la Ferme : ce bouquin je l’ai lu 4 fois, j’en ai même pleuré, hein. Louis - Ouais…?

Delphine - Oh oui… C’est… et pourtant ce n’est que de l’homéopathie tu vas me dire, mais ça m’a touché, je trouve ça fabuleux (…). C’est plein d’histoires dans lesquelles on se retrouve. Je veux dire, on s’attache à nos animaux et c’est dur des fois de les voir partir… t’as certains animaux quand ils partent ça fait chier quoi. Parce que tu n’y es pas arrivée, que tu te sens responsable et... Parce que forcément l’homéopathie ce n’est pas 100 % de réussite hein. C’est bien moins… et parfois tu as des cas miraculeux, et là c’est beau… et ça tu le retrouves dans le livre (…) Et puis je crois aussi que ce qui m’a fait pleurer avec ce livre, c’est son humanité. C’est à dire qu’on est éleveurs, donc forcément on est blindés : on ne va pas à chaque fois vivre ça mal parce que sinon on s’en sortirait pas mais... Mais on reste humains, sensibles, et il y a des fois où, c’est dur à vivre, de perdre une bête. Et ça, le livre en parle, il met très bien les mots dessus.