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2° Les formations et les veillées : deux espaces de mise en commun pour les éleveurs

Pour les éleveurs, les formations et les veillées constituent deux espaces d’acquisition d’expérience avec les remèdes de la Matière Médicale. Cette expérience est capitale « face à

un cas ». Avec ce point, nous finissons de compléter notre compréhension du réseau

RESDHOM (2-A), qui indiquait en vert la mobilisation de connaissances acquises durant les veillées et les formations comme constitutive du choix d’un remède.

Échanges entre éleveurs

Afin de réfléchir sur ces capitalisations collectives, nous pouvons prendre pour point de départ le cas de la chèvre Pampille, décrit en début de deuxième partie (2-A). Sur quelles sources me suis-je appuyé pour le restituer ? Outre un certain nombre de précisions que j’ai obtenues d’Audrey durant notre entretien du 1er

juin, la première fois que j’ai entendu parler de Pampille, c’était lors d’une veillée, dans le cadre d’une de ces activités collectives

caractéristiques de la dynamique du Diois. Ainsi, suite au processus dont nous avons rendu compte en 2-A et qui a conduit à la guérison de la chèvre, Pampille a de nouveau fait l’objet d’un intérêt clinique durant une dizaine de minutes, le soir du lundi 6 mars, seconde veillée de l’année 2017. Carnet en main (celui de la photo précédente), Audrey, assistée des témoignages et explications de Jean Lou et Victor, a restitué le processus de résolution du cas de Pampille aux cinq autres éleveuses présentes. Ces dernières écoutaient, questionnaient et, surtout, prenaient des notes en vue de garder une trace des correspondances entre les observations, les symptômes et les remèdes qui caractérisaient le diagnostic de Pampille. Ainsi, les veillées, en plus d’être un lieu où les éleveurs affutent leur maîtrise du Répertoire, sont aussi un lieu où se capitalisent les réussites de chacun. De même pour la seconde partie des formations où les cas des éleveuses sont étudiés. Dès lors, la question qui se pose est celle de l’utilisation que les éleveurs font de ces cas.

Pour Chantal, les veillées comme les formations lui permettent de « s'ouvrir aux

autres éleveuses et aux problèmes qu’elles rencontrent », et de ne pas tourner en circuit fermé

autour de ses propres problèmes. Une expérience d’autant plus intéressante, souligne-t-elle, que les autres rencontrent souvent des situations très similaires aux siennes, avec ses brebis à Charens. Si d’autres éleveuses trouvent des remèdes efficaces face à des cas qui lui parlent, elle « prend note » et « enregistre ». Dans cette optique, les veillées et les études de cas détaillées faites concrètement et à plusieurs, lui permettent de se constituer un panel de références.

Autre intérêt de ces échanges de cas en collectif : celui très proche, pointé par Aline, au sujet de la connaissance des remèdes. Selon elle, les échanges de cas entre éleveurs lui permettent non seulement de confronter leurs problèmes respectifs (et les solutions qu’ils trouvent), mais aussi de s’ouvrir à des remèdes autres que ce avec lesquels « on a l’habitude

de fonctionner » (Aline). Car, explique-t-elle, les éleveurs ont des habitudes avec certains

remèdes, c’est-à-dire qu’ils savent qu’ils fonctionnent sur certains cas de figure précis et ils ont tendance à se rabattre dessus pour les tester dans d’autres contextes. Or vient un moment où le panel des possibilités doit se renouveler. Et c’est cela que lui apportent les formations : le réflexe de penser à de nouveaux remèdes.

Céline se sert aussi des notes qu’elle prend en formation à propos de cas rapportés par les autres éleveurs (ainsi que par les formateurs) et qui se sont déjà traduits par des réussites : elle m’a donné l’exemple d’un de ses « cas fondateurs ». Un cas réussi suite à la mobilisation de ses notes, « pile entre deux formations », et où elle est parvenue à soigner des agneaux baveux au ventre difforme et mou, ayant une aversion pour le lait. Ce qui est intéressant dans ce cas, c’est que Céline parle de « tester » le remède qui avait été indiqué en formation pour des malades similaires (Calcarea Carbonica), un « test » réussi puisqu’elle m’en parle comme d’un cas fondateur. Deux expérimentations se cumulent : une première, rapportée par

une éleveuse du groupe en formation (et qui a été éventuellement confirmée par Alain et/ou d’autres éleveuses) et une seconde, celle de Céline avec ses agneaux baveux.

Les fiches d’Alain

Les éleveuses ne sont pas les seules à rapporter des cas en formation. Les vétérinaires formateurs, venant souvent de l’extérieur du Diois, le font aussi. On peut ici rappeler une idée déjà évoquée plus haut, celle du rôle particulier d’Alain Boutonnet en tant que professionnel de la santé animale sur la question de la capitalisation des connaissances. En effet, nous avons vu que son rôle est de centraliser à plein temps les expériences des éleveurs. « À plein

temps », là est toute la question. Et comme me l’a fait remarquer Jean Lou, un jour où je lui

posais des questions sur le métier d’éleveur – et au cas où ma focalisation sur l’homéopathie en élevage me l’aurait fait oublier :

« Il ne faut pas que tu oublies que nous les éleveurs, le gros de notre temps, on ne le passe pas à soigner les bêtes, on a beaucoup d’autres choses à faire ». (Jean Lou)

Comment se concrétise pour Alain ce rôle de centralisateur d’expérience à plein temps ? Notamment par des conseils téléphoniques, comme on a pu le voir avec le cas de Mélusine la chèvre du Bial des Rosas (2-2).Mais aussi par des fiches, qu’Alain donne aux éleveuses à chaque formation. Ces fiches prennent plusieurs formes : des fiches de synthèse d’un remède et des symptômes qui lui sont caractéristiques ; des fiches spécifiques à un domaine (par exemples les problèmes liés aux mises bas) et proposant une diversité de remèdes en fonction des déclinaisons possibles. Ici encore, l’objectif de ces fiches qui associent directement symptômes et remèdes, est de gagner du temps en permettant aux éleveurs de choisir un remède sans passer par une recherche.

Un site internet pour stocker les connaissances accumulées en formations ?

Il s’agit là d’un mode de partage encore au stade de projet, après un premier essai fin 2016. L’initiative est venue de Christel et semble avoir connue quelques difficultés à se mettre en place en raison de problèmes techniques. L’idée en deux mots : avoir une base de données en ligne (et non un forum), avec un login pour chaque éleveur participant aux formations, dans l’objectif de stocker-capitaliser les connaissances acquises en formation. En premier lieu les fiches d’Alain, mais aussi les cas étudiés en groupe. Ce qui permettrait à des éleveurs commençant tout juste les formations d’avoir accès à l’ensemble des formations précédentes.

Figure 6 –Pour la photo, Elodie me présente un exemple de fiche distribuée par Alain. Y sont listés les nombreux problèmes de types génitaux qu’un éleveur est susceptible de rencontrer avec ses animaux et les remèdes conseillés pour y répondre. On remarquera qu’en plus de l’écriture en noir d’Alain, certains remèdes ont été ajoutés ou barrés en bleu par Elodie. Est-ce le fruit de ses expériences ? De celles partagées par d’autres éleveuses ? De corrections ultérieurement apportées par Alain ? Je n’ai pas eu la présence d’esprit de lui demander. La recherche n’est jamais finie…

À ce stade de notre réflexion, prenons la mesure de ce qu’implique les modalités de diagnostic que nous documentons depuis quelques pages. C’est à dire de ces fiches qui renvoient directement à un remède sur la base de symptômes génériques. De fait, une des conséquences logique de nos analyses précédentes (2-C) serait de voir dans l’homéopathie une forme d’empirisme radical : par son souci d’identifier et d’accorder une place de premier plan à la singularité du malade, ou encore par les multiples inflexions que connaissent les diagnostics (les animaux sont appréhendés dans leur dimension historique et la moindre évolution dans la façon dont ils signent leur maladie est susceptible de provoquer une révision de l’enquête).

Mais il n’en est rien, puisque comme nous le constatons depuis quelques pages, il existe des diagnostics qui ne repassent pas par le processus de recherche dans le Répertoire décrit en 2-C. En fait, après avoir rendu compte de la différence entre « observer le malade » et « observer la maladie », nous venons de découvrir un autre principe clef de l’homéopathie

telle que je l’ai comprise avec les éleveurs : celui de « traquer les ressemblances entre les

malades » (plutôt qu’entre les maladies). Une traque pour laquelle les veillées et formations

jouent un rôle central grâce au partage de notes des éleveurs.

Au sein des veillées et des formations, cette traque des ressemblances entre les malades se traduit par la constitution et le partage de références. Elle est une première dimension expérimentale de la pratique de l’homéopathie des éleveurs du Diois, au sens d’un travail sur la reproductibilité des diagnostics. Notons qu’il s’agit d’une dimension caractéristique du régime de l’utilitétel que l’a identifié Christian Licoppe dans son travail sur l’évolution de la pratique scientifique (Licoppe, 1996). Dans notre contexte, les connaissances issues d’un jugement sur la valeur d’un remède sont utiles parce qu’elles sont re-mobilisables.

Mais en amont de ce processus de capitalisation se trouve une étape que nous avons brûlée dans notre analyse : celle de l’évaluation d’un remède homéopathique, voire de l’homéopathie elle-même. Nous lui consacrons le deuxième temps de notre troisième partie.

B. L’homéopathie en élevage :