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1° Histoire, composition et organisation des veillées

Une histoire récente, née d’une volonté d’autonomisation

Initiées il y a deux ans avec le soutien de Christel (conseillère à la Chambre d’Agriculture) et Alain (vétérinaire formateur), les veillées sont principalement organisées par Agnès (éleveuse à Valdrôme). Quatre veillées ont eu lieu en 2016, à tour de rôle chez les éleveurs ; et trois au printemps 2017, qui ont toutes eu lieu chez les Meurot, un couple d’éleveurs tout juste retraités mais ne suivant pas les formations de la Chambre d’Agriculture.

Historiquement, il est possible de trouver une continuité entre ces veillées et un autre type de rendez-vous, parallèle aux journées de formation, qui a semble-t-il existé jusqu’à une période récente (2014-2015) mais qui s’est depuis interrompu : les « journées

complémentaires » (aux formations). Ces dernières étaient organisées par Christel, dans

qui se déplaçait depuis Nyons. Si la constitution du groupe de ces journées complémentaires étaient la même que celle du groupe des formations, ces dernières étaient toutefois plus informelles que les demi-journées de formation de la Chambre d’Agriculture puisque non comprises dans le programme qui les consacrait, et donc non financées.

Qu’est-ce qui change entre ces journées complémentaires et les veillées qui leur ont succédé, puisque l’objectif de traiter les cas des éleveurs reste le même ? La nouveauté tient à ce que Alain (le vétérinaire) n’est pas présent lors des veillées et à ce que l’initiative de se retrouver en collectif est prise par les éleveurs eux-mêmes. Il s’agit là d’un renversement dans l’impulsion de la dynamique collective du Diois ; renversement qu’Agnès me présente comme une évolution aux significations importantes :

« Il y avait ces journées non financées par la chambre où Alain venait, et où on faisait des cas. Mais ce n’était pas formel, certes ça ne passait pas par la Chambre, mais pour nous ça ne changeait absolument rien par rapport aux formations, le contenu était le même. Alors que les veillées, c’est bien différent, hein. Puisque là on est complètement autonome, et ce n’est ni chapeauté15 par la chambre ni rien du tout, c’est nous qui décidons de nous retrouver. Et il n’y a pas non plus de formateur. Et ça, tu vois, je trouve que c’est une sacrée évolution dans la façon d’aborder notre mission en tant qu’éleveur, qui est quand même à la base de soigner nos bêtes quoi. Donc pour ces veillées, ce n’est plus quelqu’un qui nous dit “ je vais organiser une formation est-ce que vous voulez venir ?“. C’est vraiment nous qui disons : “on a besoin de ça, et on va se retrouver ensemble pour travailler ensemble“. La démarche est complètement différente ». (Agnès)

Soulignons donc bien cette idée avec Agnès d’une sorte de double autonomie des éleveurs. Tout d’abord sur le plan technique : les éleveurs sont amenés à traiter leurs cas sans qu’Alain ne les aide. Sur un plan organisationnel ensuite, vis-à-vis de la Chambre d’Agriculture, du fait que l’initiative devient celle d’éleveurs dont la « mission première » est de « soigner les bêtes » et de « travailler ensemble ». Dans nos discussions, Danielle aussi avait tenu à me souligner le caractère autonome de ces veillées, parlant de

« prise en main des éleveurs ». Une dimension d’autant plus importante selon elle, qu’elle

est porteuse de pérennité pour la pratique de l’homéopathie :

Ce qui est intéressant avec ces veillées, c’est que ce sont les éleveurs qui en prennent l’initiative. Dans un contexte où on dit parfois qu’il n’y a pour l’instant plus beaucoup de vétos qui soient formés, ça montre qu’on en veut, quoi [souligné à l’oral]. Et ça c’est bien, parce que c’est de cette manière-là que ça va rester. (Danielle)

15 Seul le fait d’avoir fait 14 entretiens pouvait permettre de le comprendre, mais l’expression de « chapeauté » n’est pas du tout une expression péjorative dans le discours des éleveurs du Diois, tout comme dans celui de Christel. Ils l’utilisent pour désigner toute personne se trouvant à l’initiative de quelque chose. Ainsi, le livre fût « chapeauté » par Alain et Christel (m’ont dit les Meurot), les formations le sont par Christel (Victor, Agnès, les Meurot), le fameux « groupe de Valdrôme » par Agnès (Alain, les Meurot), les veillées par Agnès (Alain et Christel) etc.

Mais il ne semble pas que ce soit là les seuls éléments qui sont au principe de la naissance de ces veillées. En réponse à une de mes questions sur comment l’idée des veillées est née, Agnès me répond par ailleurs que :

Les veillées c’est aussi parce que suite au livre, on s’était demandé comment est-ce qu’on pouvait continuer (…) et je m’étais dit que ce serait pas mal de continuer justement ce groupe de homéo-diois des formations et de se prendre un peu en charge nous-mêmes, quoi. Ça serait un peu la continuité de Homéo à la Ferme et de ce qu’on peut apporter aux autres. (Agnès)

Pour le lecteur qui s’est probablement perdu dans les prénoms de cette multitude d’acteurs, reprécisons le profil singulier d’Agnès du point de vue du tableau présenté en 1-A. Agnès est en effet centrale dans cette enquête car elle est la seule personne que j’ai rencontrée dans le Diois qui participe aux trois activités que j’ai identifiées comme constitutives de la dynamique du Diois en matière d’homéopathie en élevage. Après avoir rencontré Alain au début des années 90, Agnès a participé aux formations organisées par Christel, dès la fin des années 90. À partir de 2006, elle a pris part à la rédaction du livre de l’association Homéopathie à la Ferme, dont elle est la seule représentante éleveuse au sein des formations qui ont lieu depuis 2012. Ainsi, avec l’extrait ci-dessus, une information importante me semble devoir être notée. Il montre qu’Agnès fait le pont entre le groupe des formations et celui de l’association et que, via sa médiation, les veillées peuvent être vues comme un prolongement de l'association et du livre. Au-delà de la continuité que nous avons évoqué plus haut entre les journées complémentaires aux formations et les « veillées », s’observe donc ici une imbrication entre la dynamique de l’association et celle des formations via les veillées.

Les veillées, point de jonction entre l’association et le groupe des formations

Et c’est sans doute pour ces raisons que des acteurs comme les Meurot ou encore Victor, un berger homéopathe, se trouvent parties prenantes des veillées, alors que tous les trois sont membres de l’association, sans être pour autant rattachés au groupe des formations. Hormis ces trois personnes, dont nous allons montrer le rôle central, le groupe des veillées est à peu de choses près le même que celui des formations. À peu de choses près, car le nombre de personnes qui sont venues aux veillées tourne autour de 7. En comptant les Meurot et Victor, il y a donc en moyenne 4 éleveuses venant des formations qui se rendent aux veillées (soit moins d’un tiers du groupe). Ajoutons que, durant les veillées du printemps 2017 auxquelles j’ai pu assister, j’ai aussi noté la présence de deux jeunes éleveurs, qui ne font pas partie du groupe des formations (présents dans le tableau en 1-A).

Au total 10 personnes sont venues aux veillées en 2017. Comme pour le groupe des formations, la composition du groupe des veillées est évolutive :

- Certains éleveurs ont participé à toutes les veillées. On notera qu’il s’agit des quatre qui sont membres de l’association : Jean Lou et Danielle Meurot (retraités, hôtes des veillées), Victor (berger saisonnier), et Agnès (éleveuse organisatrice des veillées et présente aux formations).

- Quatre éleveurs ne sont venus qu’à une des trois veillées. Parmi eux, un éleveur et une éleveuse ne suivant pas les formations de la Chambre. Le premier est arrivé par l’intermédiaire d’Agnès et d’une formation qu’il avait suivie quelques mois plus tôt au Cfppa de Nyons organisée par Alain Boutonnet et des membres de l’association

Homéopathie à la Ferme. La seconde parce qu’en lien avec les Meurot (via la Confédération Paysanne où Jean Lou est engagé de longue date) et Julie (chevrière suivant

les formations). Elodie et Julie, deux participantes des formations sont elles aussi venues une seule fois aux veillées du printemps dernier.

- Audrey (chevrière), Chantal et Isabelle (éleveuses de brebis allaitantes), toutes les trois participantes au groupe des formations, sont venues à deux des trois veillées du printemps 2017.

- Enfin, certaines personnes, issues du groupe des formations, et qui étaient venues à une ou plusieurs veillées en 2016, n’ont pas pu se libérer pour y assister en 2017. Notamment Céline ou encore Fanny, deux éleveuses de brebis, mais aussi Christel (conseillère de la Chambre d’Agriculture, organisatrice des formations et membre de l’association), qui avait assisté à certaines veillées en 2016, mais qui n’a pas pu se rendre disponible en 2017.

Comme pour les formations, la principale raison du caractère évolutif de la composition de ces veillées tient aux emplois du temps incertains des éleveurs qui ne trouvent pas toujours le temps nécessaire pour se libérer et qui ne sont pas en mesure de se décider avant la dernière minute (surtout en période de mises bas). J’ai ainsi remarqué que les trois veillées auxquelles j’ai participé avaient en commun de commencer par une interrogation sur les personnes que l’on devait attendre : les éleveuses dont on était certain qu’elles venaient ; celles pour lesquelles, on ne savait pas encore si elles pourraient venir, alors même que la veillée commençait ; ou encore celles qui dans la journée, voire l’après-midi, avaient annoncé qu’elles ne pourraient finalement pas venir à cause d’une contrainte d’emploi du temps.

D’autres facteurs de contraintes possibles sont par ailleurs ressortis de mes discussions avec les éleveurs, comme par exemple celui d’avoir des enfants en bas âge ou encore celui de l’éloignement géographique de certaines éleveuses, qui couplé aux conditions météorologiques parfois ardues du Diois, peut rendre difficile le déplacement. Cet extrait de mon entretien avec Isabelle (elle doit pour se rendre chez les Meurot faire 1h30 de voiture aller-retour de nuit) le montre bien :

« J’essaye de venir à chaque veillée, oui. Mais pour la dernière par exemple, il faisait tellement mauvais… c’était terrible le vent qu’il y avait. En plus j’étais toute seule pour faire le trajet, donc je me suis dit : ‘bon on va rester là’ (…). Après, pour les veillées moi je suis de

toute façon quelqu’un qui veille tard, donc ça ne me gêne pas. On va dire que je suis plus stressée par la météo que par le fait de travailler jusqu’à minuit. » (Isabelle)

Une composition donc incertaine jusqu’au dernier moment, qui ne va pas sans compliquer l’organisation des veillées par Agnès, comme j’ai pu m’en rendre compte par mes contacts avec elle, les jours qui précédaient chacune des trois veillées. En effet, cherchant à m’y rendre depuis Avignon où est basée l’Unité Ecodéveloppement, j’avais besoin d’anticiper un minimum mes trajets pour le Diois (2h30 de route pour me rendre chez les Meurot à Saint-Roman). Or, en fonction des disponibilités des éleveurs, la date des veillées était susceptible de changer jusqu’au dernier moment. D’où mes contacts fréquents avec Agnès dans ces jours précédant les veillées :

« Parfois c’est vraiment difficile de faire bouger les gens dans le Diois, de trouver une date qui convienne à tout le monde et tout ça. Avec leurs bêtes, leurs enfants, leurs occupations, il y a comme une inertie et les gens ne répondent pas ou alors attendent le dernier moment pour répondre. Parfois je désespère presque, hein ! » (Agnès)

C’était donc cela que signifiait le terme « chapeauter », utilisé communément dans le Diois ! Et, comme me l’a pointé Christel, qui doit certainement rencontrer des difficultés similaires dans l’organisation des journées de formation, cette complexité rend nécessaire le fait que quelqu’un – en l’occurrence Agnès – prenne en main l’organisation des veillées :

« Pour les veillées, on s’aperçoit que pour que ça fonctionne, il faut qu’il y ait un animateur, quelqu’un qui, à un moment, donne une impulsion, prenne l’initiative de proposer des dates, des lieux, parce que sinon on reste dans le vague, et le risque c’est qu’il ne se passe rien. » (Christel)