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Présenter de la sorte les difficultés du diagnostic homéopathique, les objectifs d’échanges et cette occasion de prendre le temps qui sont le propre des veillées, ou encore la volonté d’autonomisation qui se trouve au principe même de l’initiative qui les a vues naître, permet déjà de donner au lecteur une vision détaillée de la valeur des veillées comme activité collective. Comme c’était déjà le cas avec la question de ce qui fait la valeur des formations, mes discussions avec les participants des veillées ont permis de faire émerger d’autres éléments d’analyse, susceptibles d’alimenter une réflexion sur ce qui en fait l’intérêt. Des éléments qui parfois feront échos à ceux présentés à l’instant, mais qui ont le mérite de venir les illustrer dans les mots des éleveurs. Comme pour les formations, et dans leur prolongement, j’entends montrer dans ce point consacré aux évaluations16

, que les éleveurs font des veillées et que ces dernières offrent à la fois un appui technique à leur pratique de l’homéopathie et un moyen d’entretenir la dynamique collective du Diois, voire de créer des liens d’entraide entre générations, qui ne se côtoient pas forcément dans les formations.

« Maintenir la flamme »

C’est une expression particulièrement évocatrice que j’ai retenue de mes discussions avec Céline. Selon elle – qui n’a pas pu se libérer cette année pour assister à une veillée mais qui en a suivi une l’année passée – l’importance des veillées réside tout d’abord dans le fait de pouvoir « entendre parler de cas qui marchent », mais aussi et tout simplement, dans le fait de faire des recherches avec d’autres éleveurs. Ainsi a-t-elle pu observer, dans les jours qui suivirent sa venue en veillée, que cette soirée, passée à diagnostiquer à plusieurs,

lui avait permis de se maintenir, et même de se relancer dans une dynamique de recherche. Et ce, à une période de l’année où les regroupements des formations sont suspendus :

Les veillées, c’est bien parce que ca maintient la flamme (rire), ça permet de continuer à avoir le réflexe de chercher quand tu as quelque chose qui ne va pas (…). La seule façon d’avoir envie de se servir du Répertoire, et d’arriver à l’ouvrir, c’est d’aller à ces veillées, parce que sinon c’est tellement… Je le vois bien, il suffit que j’aille à ces veillées et après, ben moi-même quand je suis seule, je me retrouve à veiller avec le Répertoire, quoi (rire). Céline

Capitaliser sur l’expérience des autres, tout en apprenant à « chercher soi-même avec le Répertoire »

Pour Chantal, les veillées comme les formations lui permettent de « s'ouvrir aux autres

éleveuses et aux problèmes qu’elles rencontrent ». Car, souligne-t-elle, celles-ci rencontrent

souvent des problèmes très similaires à ceux qu’elle rencontre avec Robert et leur troupeau de brebis à Charens. Alors si certains ont réussi à s’en sortir, elle « prend note », et

« enregistre » ce qui se raconte afin de pouvoir s’y reporter par la suite. Pour autant, me

précise-t-elle ensuite, ce n’est pas possible de tout connaître et dans sa pratique quotidienne elle est amenée à faire face à beaucoup de cas pour lesquels elle doit se débrouiller toute seule. D’où la nécessité de pouvoir « aller plus loin et de compléter le Répertoire », c’est à dire d’être en mesure de diagnostiquer soi-même ses propres cas lorsque nécessité se fait. Et c’est entre autre en cela qu’elle voit un intérêt spécifique aux veillées : celui de pouvoir prendre le temps d’apprendre à se servir du Répertoire, là où le temps limité des formations implique de traiter plus rapidement les nombreux cas rapportés par les éleveuses.

Le témoignage d’Elodie sur cette question de la pratique de la recherche dans le

Répertoire, telle qu’elle se trouve enrichie par les veillées, est par ailleurs très intéressant du

point de vue de notre problématique portant sur le rôle du collectif. Il est en effet une bonne illustration de l’épreuve que constitue la « recherche avec le Répertoire », épreuve dont j’avais par ailleurs pu observer moi-même que son processus de résolution ne suivait que rarement un cours linéaire durant les veillées et connaissait au contraire de nombreuses inflexions rendues possibles par la présence de plusieurs acteurs :

Élodie - Ce qui est génial [avec les veillées], c’est qu’on met en commun des cas, et que chacun les discute. Et comme chacun a sa propre perception, ça nous amène dans la discussion à affiner nos perceptions du problème et à nous mettre d’accord sur la traduction qu’on veut donner à un signe, parce que certains détails peuvent être décisifs, et des fois, bah…

Louis - Ça frotte !

Elodie - Oui ça frotte et ça c’est bien. Parce qu’à un moment donné, tu prends parti, quoi. Tu dis : bon ben ok, je prends ce chemin-là et puis l’autre il dit : “ben non, pour moi, c’est ça qui est important dans ce qu’exprime la bête“ et qui propose un autre chemin. Parfois on se met d’accord, et parfois il y en a qui sont fâchés, hein (rires). Après le verdict, c’est que tu essayes, et si ça a fonctionné, et ben t’as bien fait (…). Mais au final ça te fait progresser, ça

te fait chercher, ça t’aide à traduire tous ces symptômes en langage homéopathique pour pouvoir aller trouver les remèdes.

Mettre en lien les éleveurs du Diois au-delà du groupe des formations

Autre intérêt que Chantal voit dans les veillées : avoir l’occasion de rencontrer des gens comme Jean Lou et Danielle Meurot, éleveurs qu’elle connaissait mal auparavant du fait qu’ils ne participent pas aux formations de la Chambre d’Agriculture. De par leur expérience, ils lui « donnent du souffle » autant qu’un appui technique en termes de diagnostic homéopathique. Mais surtout, cette rencontre fait qu’elle osera mieux leur demander de l’aide par la suite :

Chantal - On a toujours eu ces cours avec Alain, qui sont très bien, parce que tu y étudies des médicaments, mais que tu as aussi des cas qui sont échangés. Et ça, c’est important. Mais après pendant l’année si on a des problèmes, on est un peu tout seul… alors je vais demander un peu à Agnès, mais c’est vrai que des gens comme Danielle et Jean Louis (…) ou Victor, on n’avait pas l’occasion de les voir avant les veillées (…). Et ce sont des aides vraiment précieuses parce qu’ils ont l’habitude de chercher. Et je pense qu’ils te donnent… du souffle pour bien continuer. Donc le fait de se retrouver en veillée pour travailler ensemble avec le répertoire, c’est récent et je trouve ça bien parce qu’après on ose mieux demander aux gens quand on a un souci avec nos bêtes.

Louis - À des gens comme les Meurot tu veux dire ?

Chantal - oui ! Voilà… ou d’autres hein. Mais comment te dire… c’est une dynamique, on se sent plus reliés… Ce n’est pas comme les cours où tu peux poser des questions mais faut aller un peu vite, là ça va plus loin, il y a quelque chose en plus…

Apparaît avec ce dernier témoignage de Chantal le rôle clef des Meurot et de Victor, qui

« se rendent disponibles » (Isabelle) pour les autres éleveurs afin de partager leur expérience

avec le Répertoire, mais aussi leur connaissance des remèdes. Sur ce point, et alors même qu’elle pratique depuis déjà de nombreuse années, Agnès m’a confié qu’elle ne se sentirait pas capable d’occuper leur place : « sans eux on est perdu hein, si on ne les a pas pour les

veillées, on descend d’un cran ». Même constat pour Céline qui estime que sans Victor et

Jean Lou les veillées « pataugeraient » et les éleveurs « se sentiraient vite coincés avec le

Répertoire ». Nous aurons d’ailleurs l’occasion de documenter, dans la deuxième partie de

ce mémoire, les relations d’entraide face à un cas que ces veillées ont permis de tisser entre les Meurot et d’autres éleveurs issus du groupe des formations. C’est notamment le cas de Chantal, mais aussi d’Audrey, dont la chèvre Pampille a été soignée en février dernier en coopération avec les Meurot et Victor.

Un espace d’ouverture dans le quotidien de la vie d’éleveur

En complément de ces témoignages, je voudrais pour finir souligner une dernière dimension de l’intérêt des veillées, souvent pointées par les éleveuses que j’ai rencontrées,

et qui fait écho à ce dont nous avions pu rendre compte concernant l’intérêt des formations. À savoir le fait que, au-delà d’un appui technique, les veillées permettent aux éleveurs de

« se voir », de ne pas « se sentir seuls », de « partager leurs problèmes », et de se « remotiver ». Ce sont principalement mes entretiens avec Chantal et Agnès qui ont fait

émerger cette vision des veillées et de leur rôle, comme relevant presque de l’ordre d’un soutien moral face aux difficultés du métier d’éleveur. Car « seul dans son coin », on « se

retrouve vite démoralisé » si on n’arrive pas à gérer les problèmes de santé de ses animaux

(Agnès). D’où l’intérêt de disposer d’un espace pour pouvoir demander conseil aux autres, et tout simplement « en parler ».

Durant notre entretien, Agnès m’a fait part d’une discussion qu’elle avait eue avec Chantal sur le chemin du retour de la veillée de mars dernier. Selon elles, la valeur des veillées vient de pouvoir sortir de sa solitude et parler de ses problèmes. Une expérience

« d’ouverture » sur les autres qui a changé leur rapport aux autres éleveurs, mais aussi au

métier d’éleveur, au-delà du fait même que l’homéopathie représente un changement de pratique pour elles. Voici un extrait de cette discussion – extrait si riche que je n’ai pu me résoudre à le couper plus – dans lequel Agnès me résume, tout en l’illustrant, cette idée

d’ouverture dont elle me soulignera le caractère fondamental pour mon enquête à plusieurs

reprise, dans son entretien et jusqu’en conclusion :

« Tu vois j’en parlais justement avec Chantal quand on revenait en voiture l’autre soir. Et elle, elle est toute nouvelle en homéo, elle en fait depuis trois ans, c’est rien du tout. Mais ce qu’il nous semble important de dire et de se rendre compte, c’est que ces veillées ça change… déjà ça change notre façon de travailler avec les animaux, mais ça change aussi nos rapports entre éleveurs (…). Tu vois les éleveurs ils ont tendance à cacher un peu leurs soucis et leurs problèmes. S’ils ont des bêtes malades, hé bien ils ne le disent pas : c’est comme si c’était un petit peu un secret… Il ne faut pas le dire quoi.

Mais nous, ce qu’on essaye justement de retrouver avec l’homéopathie et ces veillées, ce sont les échanges entre nous. Parce qu’un jour ou l’autre on a tous un problème hein. Et ca n’a rien de honteux quoi. Et du coup, tu ne te sens pas seule (…). Chantal elle me disait que ça lui a changé la vie, parce qu’elle sait qu’elle peut compter sur d’autres. Et même si c’est quelqu’un qui n’est pas très doué : elle va quand même pouvoir lui demander son avis, et essayer de travailler un peu, à deux ou à trois, pour trouver un remède. Ça c’est vachement important, il faut que tu le prennes en compte dans ton étude. Je pense que dans l’homéo, c’est le plus important… Enfin non (rire) : le plus important c’est quand même de trouver le bon remède ! Mais voilà, ça fait parti d’une démarche qui ne peut que aider les éleveurs. Le fait de ne pas sentir tout seul. Tu vois ? (…) Tu le vois bien de toute façon, en veillée, on arrive, on déballe nos cas et … bah rien que le fait de le dire… hé bien ça nous fait du bien quoi… Voilà, le fait de pouvoir se confier à quelqu’un et de dire “ ha bah, cette chèvre elle ne va vraiment pas bien, quoi“. (…) Donc voilà, moi je trouve que ce que ça peut apporter au niveau des relations entre éleveurs c’est au moins aussi important que la technique de l’homéo. C’est une ouverture. Franchement. (Agnès)

*

Sur un modèle similaire à celui des formations, les veillées constituent un espace de pratique de l’homéopathie en collectif. Ici encore on retrouve deux types d’intérêt du point

de vue de l’expérience des éleveurs : un intérêt technique, celui d’un travail sur les compétences en matière de diagnostic homéopathique, mais aussi un intérêt social, qui dépasse le cadre de la pratique de l’homéopathie en tant que telle et fait de ces veillées un espace de sociabilité et d’échanges autour des difficultés de l’élevage. Mais ces rendez-vous se trouvent accentués d’une dimension singulière, celle d’une activité en autonomie et à l’initiative des éleveurs, qui plus qu’un prolongement des formations en font un véritable complément. Enfin, les veillées sont l’occasion d’une rencontre entre éleveurs au-delà du groupe des formations, mettant en lien ce dernier avec une génération aux compétences plus affinées.

D. L’association « Homéopathie à la Ferme »

Le dernier temps de la première partie de ce mémoire sera consacré à l’association

Homéopathie à la Ferme, créée à l’occasion de la publication du livre du même nom. Un

type d’activité lié à l’homéopathie en élevage – au sens de la typologie qui s’articule dans cette première partie – que les différents acteurs m’ont invité à bien distinguer des formations et des veillées. Notamment Christel dès nos premiers échanges autour de mon guide d’entretien, mais aussi Jean Lou et Danielle, Agnès, Audrey ou encore Aline. Distinction dont je tiendrai compte dans cette sous-partie, en montrant notamment comment l’histoire de l’association Homéopathie à la Ferme et de son livre éponyme se distingue en partie de celle des formations et des veillées. D’autant plus que cette association dépasse le cadre géographique du Diois. Toutefois, comme j’ai déjà commencé de le faire dans la sous-partie précédente dédiée aux veillées, je tenterai dans le même temps de montrer les liens qui s’établissent entre certains membres d’Homéopathie à la Ferme qui habitent le Diois et la dynamique des formations-veillées. Nous évoquerons aussi la présence accompagnatrice du livre Homéopathie à la Ferme dans l’expérience des éleveuses en formation. Puis enfin, la façon dont les projections futures de l’association (se renouveler du point de vue de ses membres et poursuivre une mission de transmission de l’homéopathie en élevage sous une forme qui dépasse la promotion de leur livre) peuvent s’incarner au sein du territoire du Diois en entrant en interaction avec la dynamique en cours.