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Partie I - Concurrence bancaire et tarification du crédit : analyse de la littérature et application

Chapitre 1 : Examen de la littérature théorique et empirique

1.2 Concurrence bancaire et tarification du crédit : revue de la littérature

1.2.1 La littérature théorique

La nécessité de créer une relation de long terme pour lutter contre l’asymétrie d’information fournit des arguments en faveur des deux effets contradictoires de la concurrence bancaire sur le coût du crédit. D’une part, l’avantage informationnel apporté par les relations de clientèle conduit à la réduction des coûts de monitoring. Par conséquent, l’existence d’une concurrence très forte au niveau du marché bancaire augmente la tarification du crédit pour les clients, puisqu’elle ne permet pas l’instauration de relations de long terme. D’autre part, ce même avantage permet à la banque de bénéficier d’une rente en tarifant plus cher, l’accroissement de la concurrence représentant donc une solution pour les clients pour faire baisser leur coût de financement.

1.2.1.1 La concurrence bancaire : la solution au problème du « hold-up »

Une littérature importante s’est penchée sur cette question pour examiner de plus près le pouvoir de monopole que les relations de clientèle procurent aux banques sur leurs clients. Ce problème est souvent qualifié de « hold-up problem ».

Le modèle le plus cité dans la littérature qui s’est intéressée aux effets concurrentiels des relations de long terme est celui de Sharpe (1990). Dans ce modèle à deux périodes, les entreprises financent auprès des banques deux projets distincts et successifs. L’information est asymétrique entre les banques concurrentes sur le marché du crédit. Seule la banque ayant accordé le crédit peut observer, sans erreur, le résultat du projet de l’emprunteur. Les autres banques n’ont accès qu’à une information imparfaite sur ce résultat. L’idée derrière cette asymétrie d’information est que la banque ayant accordé le crédit à la première période en apprend davantage que ses concurrentes sur son client. La relation de clientèle donne donc

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naissance à une « information interne ». Ceci implique qu’une banque peut évaluer les perspectives d’avenir de son client avec plus de fiabilité que les autres banques. En effet, l’asymétrie d’information entre les banques concurrentes crée un pouvoir de marché pour chaque banque sur ses anciens clients. Dès lors, une firme reste dans la même banque non pas parce que la banque la traite particulièrement bien, mais surtout parce qu’elle est « capturée » par le prêteur sur le plan des informations: il y a « hold-up » de la part de la banque, dans le sens où elle profite de la « capture informationnelle » sur ses clients.

Dans un tel cadre d’asymétrie d’information entre les banques, l’équilibre du marché du crédit implique que chaque banque fasse un profit positif sur ses anciens clients. Ainsi, si les banques sont en concurrence par les prix, elles vont « dissiper » les rentes futures anticipées en offrant des taux d’intérêt plus faibles aux jeunes clients, de façon à « capturer » la clientèle la plus large possible. Cela implique un taux d’intérêt pour les nouveaux clients, à l’équilibre, inférieur au taux concurrentiel. Les banques vont donc faire des pertes sur leurs nouveaux clients, la valeur de l’espérance de ces pertes devant être égale à la valeur des rentes dégagées sur ces mêmes clients à la période suivante.

Fischer (1990) a étudié le même type de problème que Sharpe (1990). Il considère un modèle à deux périodes dans lequel les firmes financent auprès des banques deux projets d’investissement successifs, et suppose que les banques en apprennent davantage, en fin de première période, sur le type de client auquel elles ont affaire. De ce fait, chaque banque acquiert un avantage informationnel sur ses anciens clients. Comme chez Sharpe (1990), il en résulte des rentes de monopole en seconde période. Toutefois, ces rentes vont être éliminées par une concurrence accrue en première période, concurrence en parts de marché visant à « capturer » la clientèle la plus importante. Même si les rentes sont éliminées sur les deux périodes, il n’en demeure pas moins que les relations de long terme créent une distorsion de concurrence avec des taux favorables aux nouvelles entreprises et des taux plus élevés pour les entreprises déjà financées.

Tout comme Sharpe (1990) et Fischer (1990), Rajan (1992) propose un modèle étudiant le pouvoir de monopole que peut avoir une banque « interne »13 mieux informée que ses concurrents sur l’entreprise cliente, une fois que le prêt et le projet financé sont engagés. Contrairement à eux toutefois, Rajan (1992) tient également compte des avantages en termes de contrôle qu’implique le financement bancaire. Il étudie les types de financement auxquels

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l’emprunteur peut avoir recours pour limiter le pouvoir de monopole de la banque. Ainsi, l’auteur complète les analyses précédentes en étudiant le problème de l’aléa moral qui apparaît lorsque les banques financent des firmes en forte croissance. Dans son modèle multi-périodique, il montre que si une entreprise est dépendante d’une seule banque pour son financement, alors cette dernière peut exiger un remboursement après connaissance de l’état de la nature. Si la banque estime que la conjoncture rend le projet non rentable, elle peut renoncer ultérieurement à financer l’entreprise. En revanche, si le projet de l’entreprise se révèle profitable, la banque peut conditionner la poursuite du financement au partage de la valeur actuelle nette (VAN) du projet à son profit. Compte tenu des coûts liés aux changements de banque, les entreprises se trouvent prises en otage. Rajan (1992) conclut que dans certain cas, il est souhaitable pour la firme d’opter pour le financement direct via une dette émise sur un marché financier sans intermédiation, qui n’a ni les avantages ni les inconvénients de la dette bancaire.

Ainsi, on peut noter que dans toutes ces approches, l’existence d’un avantage informationnel en faveur de la banque sur ses clients de longue date crée un « coût de changement de banque » pour les entreprises. Ce coût est lié à la perte de réputation qu’encourt un bon client, la nouvelle banque étant moins bien informée sur la qualité de ses projets que l’ancienne. Ainsi, les relations de long terme augmentent les coûts de changement de banque en fidélisant les bons clients.

Il est à signaler que la littérature a proposé plusieurs solutions aux entreprises pour faire face au problème des rentes informationnelles afin de faire baisser le coût du crédit. La plus simple est de quitter sa banque. Selon Greenbaum et al. (1989), la rente informationnelle devient de plus en plus forte au fil du le temps, c’est pourquoi la probabilité pour qu’un emprunteur quitte sa banque et établisse une nouvelle relation de clientèle augmente à mesure que le temps passe. Aussi, Rajan (1992), dans le cadre du modèle précédemment présenté montre que, dans certain cas, il est optimal pour les entreprises de renoncer aux relations de clientèle en privilégiant des relations de financement « à l’acte » pour éviter le problème des rentes informationnelles. Par ailleurs, une solution efficace pour se protéger du « hold-up » est d’engager des relations de long terme avec plusieurs banques (Houston et James, 1995 et 1996; Von Thadden, 2004).

1.2.1.2 La faible concurrence, une condition nécessaire pour la réduction de la tarification du crédit bancaire

D’autres travaux théoriques ont par ailleurs montré qu’un faible degré de concurrence réduirait le coût du crédit. En effet, la théorie du partage intertemporel des revenus et des

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risques par les banques n’est possible que dans le cas où ces dernières bénéficieraient de l’assurance de pouvoir rentabiliser leurs relations de clientèle de long terme, en jouissant d’un pouvoir de marché. Ainsi, Petersen et Rajan (1995) ont montré que l’avantage de former des relations de clientèle pour les banques diminue quand le marché du crédit devient plus compétitif. Selon ces deux auteurs, le fait que la concurrence ne permette pas l’instauration de relations de long terme entre les entreprises et les établissements de crédit aurait une explication théorique. Quand les entreprises sont jeunes ou en situation financière difficile, leur capacité potentielle de générer des flux de trésorerie futurs est importante, contrairement à leur situation une fois arrivées à maturité. Toutefois, durant le processus d’évaluation de la solvabilité des emprunteurs, les créanciers prennent en considération les flux futurs probables des entreprises générés par leurs projets. Ainsi, dans un marché du crédit très concurrentiel et quand les banques ne peuvent pas détenir des parts de capital, le prêteur n’est pas sûr de pouvoir bénéficier des flux futurs de la firme. De plus, les établissements de crédit se trouvent contraints d’appliquer des marges couvrant à peine les coûts de leur refinancement, sur des horizons de très court terme, en proposant un taux supérieur à celui de la concurrence de peur de perdre la relation de clientèle. Ainsi, étant donné l’importance de l’incertitude qui règne sur les jeunes entreprises ou celles en situation financière difficile, les banques, sur un marché du crédit concurrentiel, vont appliquer un taux d’intérêt élevé jusqu'à ce que l’incertitude soit levée. Cette situation fait croître le coût de financement des entreprises et peut même les priver de financement.

Au final, les auteurs concluent que seule la concurrence monopolistique permet aux établissements de crédit de subventionner les jeunes entreprises et celles en situation fragile pour ensuite leur appliquer des taux d’intérêt élevés. Par conséquent, les banques sont plus disposées à accorder des crédits quand la concurrence est plus faible. En d’autres termes, une forte concurrence sur le marché du crédit remet en cause la possibilité pour les banques de lisser intertemporellement les taux appliqués aux clients. Cette situation affaiblit l’intérêt de la relation de clientèle pour les banques.

Par ailleurs, il est établi que les relations de clientèle permettent aux banques d’accumuler de l’information sur leurs clients, afin de déterminer au mieux les produits susceptibles de leur être vendus, mais surtout pour gérer au mieux les risques. Ces informations permettent aux banques de diminuer leurs coûts d’intermédiation à travers un processus d’apprentissage et de collecte d’informations. Drucker et Puri (2005) montrent que les entreprises qui recourent simultanément aux services de prêts et de souscriptions de titres auprès de leur banque bénéficient de taux d’intérêt plus faibles. En effet, la diversité des services offerts

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génère des synergies, donc des économies de coût et d’envergure dans leur distribution (Boot et Thakor, 1997 ; Kanatas et Qi, 1998 et 2003; Miarka, 1999; Degryse et Van Cayseele, 2000; Sterb et al., 2002; Degryse et Ongena, 2005; Bharath et al., 2007; Menkhoff et Suwanaporn, 2007). Cependant, l’instauration des relations de clientèle est un investissement coûteux pour les établissements de crédit. Ces derniers ne décideront donc d’engager ce type de relation que lorsqu’ils seront sûrs de pouvoir le rentabiliser à long terme, chose qui n’est pas garantie sur un marché bancaire concurrentiel. Ainsi, les clients vont subir un coût de financement plus élevé. Par ailleurs, les entreprises chercheraient elles aussi à prolonger la durée de leur relation avec leur banque pour éviter de subir un mauvais diagnostic, ou un « screening » moins favorable par une autre banque. Certaines de leurs caractéristiques pouvant rendre l’analyse des informations difficile, cela provoquerait alors une hausse de leurs coûts d’accès au financement. En conclusion, et selon cette vision, une concurrence faible permettrait l’instauration des relations de clientèle, ce qui réduit le coût du crédit grâce à la baisse du coût de l’information. Dans le même temps, les banques préservent leurs marges même en baissant le coût global du crédit, en raison d’un coût de surveillance moins élevé sur un marché bancaire peu concurrentiel.