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L’intensité de la relation de clientèle

Partie I - Concurrence bancaire et tarification du crédit : analyse de la littérature et application

Chapitre 1 : Examen de la littérature théorique et empirique

1.3 L’origine de l’ambiguïté des analyses empiriques : quelques éléments de réponse

1.3.3 L’intensité de la relation de clientèle

La littérature propose plusieurs variables mesurant le niveau d’intensité de la relation de clientèle entre le prêteur et l’emprunteur. L’objectif derrière leur utilisation est de contrôler l’impact que peut avoir ce contexte particulier - le financement relationnel - sur le coût des emprunts des entreprises. Ainsi, il semble nécessaire d’introduire dans les modèles empiriques des éléments permettant de prendre en compte ce volet important. Nous nous intéressons dans ce qui suit à deux indicateurs de l’intensité relationnelle, d’une part parce qu’ils ont été largement débattus dans la littérature, et d’autre part parce que nous les introduisons dans notre modèle empirique. Ces deux mesures permettent, conjointement, d’offrir une vision plus complète sur l’échange des informations privées réalisé durant la relation. Dans cette perspective, la première variable est la durée de la relation entre la banque et l’entreprise. Cette variable mesure le délai écoulé entre la date de début de leur collaboration et celle de la mise en place du financement pris en compte dans l’étude. L’importance de la prise en compte de la progression temporelle de la relation de long terme vient de sa capacité à réduire l’incertitude sur la qualité des informations disponibles pour le prêteur, et en conséquence à diminuer le risque assumé par l’apporteur des fonds. Cette situation se traduirait par la baisse du coût du crédit des emprunteurs étant donné que la marge appliquée par les établissements de crédit sur les prêts est en théorie fonction de leur risque. D’autre part, le prolongement de cette relation dans le temps assure à la banque la possibilité d’amortir les frais d’investigation induits par le financement des entreprises, et par la même occasion de baisser le coût du crédit des emprunteurs (Diamond, 1984). Toutefois, d’autres travaux de la littérature théorique ont mis en évidence le risque de voir le coût de financement des entreprises augmenter avec le développement de la relation de clientèle. Ceci est le résultat de leur capture informationnelle à la suite de la réduction de l’asymétrie d’information entre le prêteur et l’emprunteur (Sharpe, 1990; Rajan, 1992). Les travaux empiriques concernant l’effet de la durée de la relation sur le coût du crédit confirment ces divergences de la littérature théorique et révèlent effectivement ces ambiguïtés. Ainsi, un certain nombre d’études empiriques ont mis en évidence une réduction du coût du crédit à mesure que la relation de clientèle s’établit dans le temps (Berger

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et Udell, 1995 ; Angelini et al., 1998 ; Uzzi, 1999 ; Ferri et Massori, 2000 ; Berger et al., 2007 ; Peltoniemi, 2007). À l’inverse, d’autres analyses empiriques montrent l’existence d’un effet positif de la durée de la relation de clientèle sur le coût du crédit (Petersen et Rajan, 1994 ; D’Auria et al., 1999 ; Degryse et Van Cayseele, 2000 ; Degryse et Ongena, 2005).

Une autre manière de prendre en considération l’impact de l’intensité de la relation de clientèle sur le coût du crédit, est de tenir compte de l’incidence de la distance géographique qui sépare le prêteur de l’emprunteur. En effet, la proximité géographique avec son client permet à la banque de multiplier les interactions avec lui et, ainsi, de collecter plus facilement les informations privées le concernant (Dell’Ariccia, 2001 ; Petersen et Rajan, 2002 ; Hauswald et Marquez, 2006). La collecte de ces informations privées procure un avantage informationnel que les banques exploitent afin de sur-tarifer les crédits (Alessandrini et al., 2009 ; Brevoort et Wolken, 2009 ; Cerqueiro et al., 2009 ; Bellucci et al., 2013). Ainsi, les emprunteurs les plus proches des établissements de crédit – ou ayant une relation de long terme - assumant un coût de crédit plus élevé par rapport à leur niveau de risque, mais qui demeure le prix le plus faible qu’ils puissent obtenir sur le marché du crédit étant donné la barrière informationnelle à laquelle font face les banques concurrentes ou celles maintenant une relation transactionnelle avec leurs emprunteurs. Par ailleurs, l’avantage informationnel procuré par cette faible distance entre la banque et son client - relation bancaire de long terme - augmente le coût de changement de banque pour les clients qui se retrouvent contraints d’accepter cette tarification (voir notamment Sharpe, 1990 ; Kim et al., 2003 ; Von Thadden, 2004 ; Gehrig et Stenbacka, 2007 ; Barone et al., 2011). En somme, ce résultat théorique suggère l’existence d’une corrélation négative entre le coût du crédit et la distance qui sépare la banque de son emprunteur. Degryse et Ongena (2005) ansi que Agarwal et Hauswald (2010) prouvent empiriquement l’existence de ce lien négatif entre le coût du crédit appliqué par la banque détentrice de la relation de long terme et la distance la séparant de son client. Dans le même temps, et conformément aux résultats des analyses théoriques précédentes, cette corrélation est positive quand il s’agit de la distance entre l’emprunteur et le plus proche concurrent de l’établissement de crédit avec lequel il a construit une relation de clientèle (Hauswald et Marquez, 2006; Degryse et Ongena, 2005; Agarwal et Hauswald, 2010).

Par ailleurs, au-delà de son rôle de révélateur du degré de production d’informations privées sur les clients par les établissements de crédit, la distance entre la banque et son client dans le cadre des modèles de discrimination spatiale par les prix (Hoteling, 1929 ; Salop, 1979) est aussi un indicateur du niveau des coûts de surveillance (de transport) subis par les banques

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(les emprunteurs) à l’occasion d’une opération de financement. Ce cadre d’analyse suppose que le coût de surveillance des emprunteurs est une fonction croissante de la distance les séparant de leurs bailleurs de fonds (Chiappori et al., 1995 ; Sussman et Zeira, 1995 ; Almazan, 2002). En conséquence, la banque la plus proche du client disposera d’un avantage lui permettant de toujours proposer la tarification la plus intéressante pour le demandeur de financement, même si cette dernière intègre un coût de surveillance supérieur à celui réellement subi, tant que son offre reste légèrement inférieure à son plus proche concurrent. Ainsi, cette situation permet aux banques d’extraire une rente auprès des emprunteurs se situant à proximité, étant donné que les banques concurrentes, qui par définition se trouvent plus loin, supportent un coût de surveillance plus important (Sussman et Zeira, 1995).

En conclusion, la discrimination spatiale par les prix sur la base du coût de surveillance supporté par les banques identifie aussi un lien négatif entre le coût du crédit et la distance séparant l’emprunteur de l’établissement de crédit qui le finance, ainsi qu’une corrélation positive entre la marge du crédit et la distance séparant le client du plus proche concurrent de son bailleur de fonds. Degryse et Ongena (2005) prouvent empiriquement l’existence de ces deux liens en utilisant des données de prêts d’un portefeuille de clients entreprises d’une banque belge. Par la suite, Degryse et al. (2009), sur la base des mêmes données, approfondissent ce résultat en montrant empiriquement que la discrimination spatiale par les prix sur la base du coût de surveillance supporté par les banques n’est valable que dans le cas des prêts destinés aux petites et moyennes entreprises à cause de leur opacité et donc de la nécessité pour les banques de recourir à la collecte de l’information privée.

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