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Information quantitative VS information qualitative : quel arbitrage ?

Partie II : La production d’informations à l’épreuve de la concurrence bancaire

3.2 Revue de la littérature

3.2.5 Information quantitative VS information qualitative : quel arbitrage ?

Une banque peut accéder à différents types d’informations pour établir sa décision d’octroi de crédit et évaluer le profil de risque de ses clients. Pour cela, elle peut d’une part utiliser les informations quantitatives présentes dans les documents comptables des clients. D’autre part, elle peut aussi avoir recours à l’information qualitative qu’elle peut générer dans le cadre d’une relation de clientèle. Dans ce qui suit, nous allons discuter les éléments qui peuvent influencer le choix des banques en matière de type d’informations à traiter.

3.2.5.1 Avantages et inconvénients de l’information quantitative et qualitative

Les évolutions qui ont touché les marchés financiers ces dernières années sont dues en partie à une plus grande utilisation de l’information quantitative par les institutions financières. Les conséquences de ces changements commencent à être perceptibles, révélant les avantages et les inconvénients de ces mutations. Comme nous l’avons évoqué précédemment, Petersen (2004) présente les caractéristiques des deux types d’informations afin de définir un ensemble de critères permettant de les distinguer et de déterminer leurs avantages et inconvénients respectifs. En effet, de par sa nature et de par la nature du processus par lequel elle est collectée, l’information quantitative présenterait plusieurs avantages :

- un faible coût : la réduction des coûts de transaction est le premier avantage de l’information

quantitative. Ceci est possible pour plusieurs raisons. Tout d’abord l’information quantitative est souvent de taille réduite et nécessite donc moins de dépenses de stockage et d’archivage. Aussi, les technologies de production sur lesquelles repose l’information quantitative sont plus facilement automatisables. L’économie des coûts liée à l’automatisation de la collecte et de la production de l’information fournit des gains de productivité. L’information quantitative est également plus standardisée, ce qui permet de réaliser des économies de gamme supplémentaires dans le processus de production. Le recours à l’information quantitative peut également accroître la compétitivité du marché, en élargissant sa taille, que ce soit au niveau du segment de marché ou de la zone géographique d’activité. Cependant, dans la mesure où l’information quantitative est plus facilement transmissible, son utilisation réduit l’avantage

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compétitif de son producteur, ce qui est le cas pour les banques et la production d’informations à travers l’établissement des relations de long terme.

-une durabilité plus importante : la longévité plus importante de l’information quantitative

est due à la facilité de collecte, de stockage et de transmission de cette information. En effet, la facilité de stockage de l’information quantitative réduit son coût en vue d’une décision future basée sur cette information. Compte tenu de son indépendance par rapport au contexte dans lequel elle a été produite, l’information quantitative peut être ainsi plus facilement transmise entre les différents agents participant au processus de décision dans une entreprise.

-une comparabilité plus facile : la comparaison plus aisée de l’information quantitative

permet de séparer le processus de collecte et d’utilisation de l’information, ce qui se traduit par une facilité dans la délégation de l’activité de collecte, de production et de traitement de l’information. De plus, l’utilisation de l’information standard nécessite moins d’inputs dans le processus décisionnel. Cette dernière nécessite une réduction de l’information disponible afin d’éviter la « sur-information » et de concentrer l’information dispensable notamment sous forme de score. Cela est d’autant plus important dans le cas des grandes entreprises car l’information doit souvent franchir de multiples niveaux hiérarchiques.

-une information plus viable : l’information quantitative est vérifiable et donc moins

manipulable, compte tenu de sa nature et de son mode de collecte.

La réalité des avantages de l’information quantitative est confirmée par les travaux de Feldman (1997a, 1997b), Berger et al. (2002a) et Frame et al. (2001) portant sur la technique du scoring. Ils montrent que cette technique permet de réduire le coût d’octroi du crédit et d’accroître la vitesse de prise de décision. De plus, son utilisation augmente le volume des prêts accordés, ce qui permet de réduire le rationnement du crédit. Toutefois, la surutilisation de l’information quantitative peut aussi biaiser les décisions d’octroi de crédit, particulièrement dans le cas des PME. En effet, l’appréciation de la solvabilité de ces dernières nécessite plutôt un autre type d’informations, plus qualitatives et moins standard. D’ailleurs, la particularité la plus importante de l’information qualitative est d’être intimement liée à l’environnement dans lequel elle a été produite. Dans le contexte de la banque, il s’agit de la technologie de la relation de clientèle qui, par le biais d’interactions multiples au fil du temps, donne accès à une information supérieure à celle disponible publiquement mais qui demeure confidentielle (Berger, 1999; Boot, 2000; Elsas, 2005). Berger et Udell (2002) définissent plus précisément la relation de long terme comme une technologie d’octroi de crédit qui dépend de la production d’informations qualitatives. Ce type d’informations est plus difficile à communiquer sous une

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forme standardisée au sein de l’organisation, et sa transformation sous forme de score est jugée complexe.

Par ailleurs, l’information qualitative peut présenter l’avantage de pouvoir renforcer la puissance de prévision de l’information quantitative, mais aussi l’inconvénient d’être difficilement vérifiable. Sa non-vérifiabilité la rend manipulable par l’agent responsable de sa production et impose de ce fait des structures organisationnelles particulières. Sa capacité à renforcer le pouvoir de prévision de l’information quantitative est attestée par certains travaux empiriques cherchant à qualifier l’impact des facteurs qualitatifs sur la prévision du risque de défaut. Ces études utilisent en particulier les notations internes des banques qui sont intégrées comme variables explicatives dans les modèles de prévision de défaut. Une partie non négligeable des composantes qualitatives de ces notations est fondée sur de l’information qualitative, intégrant des dimensions comme la qualité du management ou les perspectives de l’entreprise. D’après les enquêtes de Günther et Grüning (2000), 70 des 145 banques allemandes interrogées fondent leurs notations sur des composantes qualitatives. L’intégration des composantes qualitatives se traduit par une amélioration des taux de reclassement des emprunteurs et une prédiction plus précise du défaut (Lehmann, 2003; Grunert et al., 2005). Les composantes qualitatives des notations apparaissent en effet comme moins dispersées et plus stables.

L’opposition de l’information quantitative à l’information qualitative correspond à un arbitrage entre la réduction des coûts de collecte et de traitement de l’information d’une part et à une perte au niveau de la précision et de la profondeur de l’information d’autre part. En effet, malgré l’utilisation de l’information qualitative dans le calcul des notes quantitatives, une partie de l’information pertinente demeure sous une forme qualitative. De plus, des problèmes de manipulation comptable peuvent biaiser l’information standard tirée des documents financiers de l’entreprise. Un emprunteur peut également manipuler par lui-même les éléments qui pourraient rendre l’information quantitative à son sujet plus favorable afin d’assurer ses besoins de financement.

Aussi, les travaux empiriques montrent que les banques de proximité disposent d’un avantage important en matière de production d’informations qualitatives, grâce à leur capacité d’établir des relations de long terme avec leurs clients. En effet, la complexité organisationnelle des grandes banques réduit leur capacité à collecter et à transmettre l’information non-standard (Stein, 2002). De Young et al. (2004) trouvent que le modèle de fonctionnement des banques de proximité reste viable à long terme, particulièrement le recours à la relation de long terme

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génératrice d’informations privées sur les clients, et cela malgré l’intensification de la concurrence de la part des banques de grande taille. Ce type de banque peut concurrencer les grands établissements dans le cadre de la stratégie des niches locales.

Scott (2004) poursuit l’analyse en étudiant l’existence de niches en termes de production d’informations qualitatives dans le cadre de prêts aux PME pour les banques de proximité. L’auteur essaie de quantifier empiriquement certains aspects de la production d’information qualitative et teste si les banques de proximité disposent effectivement d’un avantage dans sa production. À cet effet, il construit un indicateur composite de production de l’information soft par la banque à partir d’une enquête de la NFIB américaine (National Federation of Independent Business). Les résultats de l’étude empirique démontrent que la production de l’information qualitative est plus importante dans les banques de proximité, indiquant l’existence de niches pour ce type de banques. De plus, l’auteur montre que la structure de marché ne semble pas affecter cette stratégie. Carter et al. (2004) fournissent de leur côté des résultats supplémentaires sur les chances de survie des petites banques grâce à leur meilleure capacité de production d’informations qualitatives. Leurs résultats montrent que les petites banques génèrent des rentabilités plus importantes que les grandes banques, ce qui confirme leur avantage dans l’évaluation du risque de crédit et la production d’information qualitative.

Enfin, Avery et Smakolyk (2004) étudient l’impact de la consolidation du secteur bancaire américain sur les banques de proximité durant la période 1994-2000, et plus particulièrement le rôle de la banque de proximité dans ce contexte dans la fourniture des crédits aux PME. Les résultats démontrent paradoxalement que le mouvement de consolidation représente une opportunité pour les banques de proximité, avec un accroissement de la part des crédits aux PME dans les bilans de ces petites banques.

Cependant, il convient de noter l’avènement de nouvelles techniques de sélection et de gestion du risque de crédit utilisées par les grandes banques, même sur le marché des PME. Certains auteurs cherchent à évaluer la capacité de résistance du modèle de distribution du crédit des petites banques dans un environnement concurrentiel. Feldman (1997a, 1997b) trouve qu’une plus large utilisation de la technique du scoring45 influence faiblement les banques locales. En effet, l’utilisation des modèles de score entraîne une plus forte concurrence sur le

45 70% des grandes institutions bancaires américaines utilisaient le scoring en 1997 dans le cadre du processus de décision de crédit aux PME.

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marché du crédit aux PME, puisque cette technique facilite l’entrée des grandes banques sur ce segment du marché du crédit.

Par ailleurs, cette technique permet la réduction du coût du crédit des entreprises et offre aux établissements de crédit la possibilité de prospecter de nouveaux clients. De plus, le scoring permet de fournir des crédits à un taux plus faible aux emprunteurs de bonne qualité. En revanche, le problème qui se pose dans le cadre de cette stratégie est le fait que l’utilisation du scoring par les grandes institutions financières risque d’exclure les petites banques du marché du crédit des emprunteurs de bonne qualité. Ainsi, les petites banques risquent de se retrouver avec une clientèle moins rentable et plus risquée. Une solution alternative pour les petites banques consiste à utiliser l’information qualitative pour améliorer la qualité de prédiction des scores et, de ce fait, se construire un certain avantage comparatif par rapport aux grandes banques. Cependant, il s’est avéré que cette technique n’améliore pas toujours l’approche purement quantitative des intermédiaires financiers.

3.2.5.2 Taille, architecture organisationnelle et types d’informations

L’adaptation des structures organisationnelles au type d’informations traité a fait également l’objet d’études récentes. Dans le domaine bancaire, Stein (2002) s’interroge par exemple sur l’influence de la structure organisationnelle sur la décision optimale d’allocation des fonds dans la banque. Dans un établissement de grande taille, il y a séparation entre le processus de collecte et de traitement de l’information et le processus décisionnel. L’information nécessaire pour la prise de décision doit être facilement transmissible entre les niveaux hiérarchiques. Elle doit également pouvoir être interprétée de façon uniforme par les agents, indépendamment du contexte dans lequel elle a été produite. Il s’agit là des principales caractéristiques de l’information quantitative, sachant que dans un environnement à contrats incomplets, les incitations des agents dépendent de leur contrôle sur les actifs qui leur sont alloués (Hart et Moore, 1990 ; Hart, 1995 ; Harris et Raviv, 1996 et 1998).

Le modèle de Stein (2002) oppose deux types d’informations, qualitative et quantitative, et deux types de structure organisationnelle, organisation hiérarchique (centralisée) et organisation non-hiérarchique (décentralisée). Il démontre alors qu’il existe une adéquation entre la structure organisationnelle et la nature de l’information permettant une allocation optimale des fonds, par le biais de meilleures incitations. L’information qualitative est associée à une organisation décentralisée, car elle donne à l’agent plus de pouvoir et d’autorité. L’agent qui produit l’information est alors davantage incité à en faire un usage efficient dans le cadre de l’allocation des fonds. L’information quantitative est associée à une organisation centralisée,

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car celle-ci facilite la transmission de l’information à des niveaux hiérarchiques supérieurs où s’effectue la décision d’allocation des fonds. En somme, ce type d’informations suppose un degré variable de délégation d’autorité et de pouvoir au profit de l’agent traitant l’information. Des études empiriques permettent de relayer ces conclusions théoriques (Berger et al., 2001 ; Berger et Udell, 2002 ; Berger et al., 2002a ; Berger et al., 2005). Dans le cadre de la relation bancaire, où l’activité de production et de traitement de l’information est déléguée au chargé de clientèle, celui-ci se voit octroyer une forte autorité, en raison notamment de la possibilité de manipuler l’information qualitative. Dans ce contexte, il occupe une position centrale dans la banque. Des organisations de petite taille, moins hiérarchisées et plus décentralisées sont davantage susceptibles de mieux tirer parti de ce type de relation. Jensen et Meckling (1992) s’intéressent au coût de transfert de l’information spécifique qui implique l’organisation des droits de décision et l’intégration de droits d’aliénation de l’information. La prise en compte de ces deux éléments nécessite la mise en place d’un système de contrôle au sein de l’économie. Dans cette étude, la distinction porte sur l’information générale et l’information spécifique, la différence étant le coût de transfert. L’information spécifique est plus coûteuse et nécessite une délégation de pouvoir à l’agent plus importante.

Liberti (1999) mène une étude empirique sur l’effet du changement de la structure hiérarchique sur les incitations des agents dans une grande banque étrangère en Argentine durant la période 1999-2001. Les hypothèses testées portent sur l’impact de la délégation de l’autorité et de la diminution du contrôle sur les incitations et les efforts des agents. Liberti (1999) confronte la délégation de l’autorité (contrôle décentralisé) à un contrôle centralisé. Dans la pratique, le changement hiérarchique dans le département de crédit permet l’octroi d’une part plus importante d’autorité à certains managers en ce qui concerne la prise de décision, avec une diminution de la surveillance et du contrôle par les supérieurs. Les résultats mettent en évidence un accroissement du temps de la relation et de l’effort perçu ainsi qu’une diminution du nombre de plaintes. Les agents ayant reçu plus d’autorité utilisent leur information soft plus efficacement. La transmission et la fiabilité de ce type d’informations sont plus importantes dans les organisations décentralisées.

Une étude du rôle de l’information sur les marchés financiers est également proposée par Ozerturk (2004). L’auteur examine l’influence du schéma de rémunération sur les incitations du gérant de fonds à acquérir de l’information plus précise. Ce schéma inclut des commissions et une part des résultats du fonds géré par l’agent. Celui-ci agit pour le compte d’un investisseur principal en exerçant un effort coûteux afin d’obtenir une rentabilité des actifs.

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L’effort déployé influence la précision de son information, qui est modélisée par un signal. La précision et l’effort ne sont pas observables par le principal, de même que la réalisation du signal. Un contrat de rémunération linéaire par rapport au rendement du portefeuille géré incite l’agent à acquérir plus d’informations lorsque les participants du marché ont des anticipations rationnelles. En effet, les prix des actifs dépendent de la demande et influencent ainsi les incitations du manager à acquérir plus d’informations. Par ailleurs, un autre facteur de nature exogène peut orienter le choix de la nature de l’information à produire sans que l’institution financière ne soit préparée à un tel changement du type d’informations à adopter. Il s’agit de l’incidence du niveau de la concurrence bancaire sur la nature de l’information collectée et produite par les banques.

Les travaux récents portant sur la gestion des risques par le banquier mettent en avant l’importance du traitement de l’information. Ainsi, Hakenes (2004) considère le banquier comme un « spécialiste » du traitement de l’information et du contrôle des risques. Danielsson et al. (2002), de leur côté, analysent le choix du système de gestion des risques en envisageant différents niveaux de délégation du pouvoir impliquant des transmissions d’informations plus ou moins importantes. Cependant, ces travaux ne distinguent pas l’information quantitative de l’information qualitative. Godbillon et Godlewski (2005) proposent un modèle principal-agent avec aléa moral et information cachée, à travers lequel ils ont mis en évidence une économie de fonds propres pour la couverture de la VaR grâce au recours à l’information qualitative. Cependant, ils montrent également l’existence d’une incitation à la manipulation du signal de type qualitatif par le chargé de clientèle. Un schéma de rémunération adéquat qui empêche la manipulation est alors proposé. Ils procèdent ensuite à la comparaison des solutions issues des deux cadres (information qualitative versus information quantitative), effectuée au moyen de simulations et confirment que l’information qualitative peut être avantageuse bien que nécessitant des modifications organisationnelles particulières, puisqu’elle permet effectivement la réduction des fonds propres alloués à la VaR.

Aux termes de cette revue de la littérature relative à la fonction de production d’informations au niveau de l’industrie bancaire, nous avons relevé l’existence de deux types d’informations produites par les banques : l’information quantitative, et l’information qualitative. Cela suppose deux méthodes d’attribution des prêts : la banque transactionnelle vs la banque relationnelle. La prise en compte de l’information qualitative est notamment susceptible d’accroître la précision des estimations de la qualité des emprunteurs (Lehmann, 2003 ; Grunert et al., 2005), mais, peut également influencer la gestion des risques par la banque. La littérature théorique a établi un lien entre le niveau de concurrence bancaire et le

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choix de la nature des informations traitées par les établissements de crédit. Nous nous proposons d’examiner empiriquement, dans la section suivante, l’existence d’une influence de la concurrence bancaire sur la nature des informations employées par les chargés d’affaires dans l’appréciation de la qualité des emprunteurs.

3.3 Présentation des variables du modèle empirique

L’objectif de notre investigation empirique est de vérifier le rôle que pourrait jouer la concurrence bancaire dans le choix de la nature de l’information utilisée par les chargés d’affaires dans l’évaluation du niveau du risque crédit des clients. Nous présentons dans cette section les variables utilisées dans nos différentes estimations économétriques en commençant par définir la variable dépendante de notre modèle, pour ensuite passer en revue les différentes variables de contrôle sélectionnées.