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Dans son ouvrage How to do things with words (Quand dire c’est faire), J.-L. Austin introduit une nouvelle catégorie d’énonciations qu’il nomme « les performatifs ». Ces énonciations ont pour particularité que leur production équivaut à l’exécution d’une action76. Cependant, il constate que toute énonciation consiste à faire quelque chose et distingue trois aspects de l’acte de parole77 : l’acte locutoire (acte de dire quelque chose), l’acte illocutoire (acte produit en disant quelque chose) et l’acte perlocutoire (produit par le fait de dire quelque chose).

Aussi Austin classe-t-il les énonciations en cinq catégories selon leur valeur illocutoire: les verdictifs (rendre un verdict), les exercitifs (rendre une sentence.), les promissifs (promettre quelque chose), les comportatifs (faire des excuses, féliciter etc.) et les expositifs (expliciter ce qu’on est en train de dire)78.

4.2. Les énoncés performatifs

L’objectif des campagnes que nous étudions est d’augmenter le taux de recyclage. Par conséquent, les énoncés figurant dans notre corpus visent à produire des effets perlocutoires : faire en sorte que les habitants de Genève recyclent davantage leurs déchets. En revanche, à

75 ADAM J.-M. et BONHOMME M., op. cit., 2007, p. 126

76 AUSTIN J.-L, Quand dire c’est faire, 1970, p. 42

77 Ibid., p. 113

Genève, il n’existe pas d’instruments légaux permettant de faire appliquer les

recommandations des campagnes sur le recyclage. De ce fait, la production des énoncés de notre corpus n’équivaut pas nécessairement à l’exécution de l’acte du recyclage et nous ne pouvons pas leur attribuer de valeur performative. Considérons l’affirmation suivante :

Les piles se recyclent. (voir éléments 1 et 2 du corpus unilingue) Cet énoncé consiste en un acte illocutoire, verdictif, qui établit le caractère recyclable des piles. L’objectif perlocutoire, lui, consiste à recycler les piles mais reste implicite.

Considérons un second exemple :

Depuis le 1er janvier 2003, reprise gratuite de tous les appareils électriques et électroniques usagés dans tous les points de vente spécialisés. (voir éléments 10, 11 et 12 du corpus unilingue) Cet énoncé possède une valeur illocutoire exercitive dans la mesure où il implique que les revendeurs ont des obligations et les consommateurs des droits79.

De plus, il fait allusion à l'ordonnance sur la restitution, la reprise et l'élimination des appareils électriques et électroniques (OREA) et, notamment, à son Art. 4 : Reprise obligatoire80. De ce fait, l’objectif perlocutoire est davantage explicite que dans le premier exemple et nous pouvons donc considérer cette énonciation comme performative bien qu’elle n’ait pas de valeur juridique à proprement parler.

4.3. L’embrayage et la modalisation

Selon D. Maingueneau81, il existe deux types d’énonciation : les énoncés embrayés et les énoncés non embrayés. Les premiers sont en relation avec leur situation d’énonciation et comportent différents types d’embrayeurs : le couple JE-TU qui manifeste de manière explicite la présence de l’énonciateur et du co-énonciateur, divers déictiques temporels (marques de temps des verbes, mots à valeur temporelle qui ont pour repère le moment de l’énonciation) ainsi que les déictiques spatiaux (adverbes dont le repère est le lieu

79 Ibid., p. 157

80OREA, Art. 4 (http://www.admin.ch/ch/f/rs/814_620/a4.html)

81 MAINGUENEAU D., op. cit., 2007, pp. 83-100

d’énonciation) ainsi que les groupes nominaux déterminés par ce (« cet étrange magazine »,

« cette bouteille mystérieuse »82).

Les plans non embrayés sont coupés de la situation d’énonciation. Ainsi, ils sont censés être toujours vrais quels que soient les situations d’énonciation et les co-énonciateurs.

Le papier se recycle. (voir éléments 1, 2, 4 et 5 du corpus unilingue) Ils comportent les caractéristiques suivantes : effacement du couple JE-TU, emploi du présent non-déictique et du passé simple, repérage spatial et temporel hors contexte (« Depuis le 1er janvier 2003 »83 et « En Suisse »84).

Dans l’analyse des temps verbaux relatifs aux plans embrayés, D. Maingueneau mentionne le présent déictique qui permet d’articuler le passé et le futur autour du moment de

l’énonciation :

Le verre qui compose cette bouteille mystérieuse a déjà été recyclé 237 fois !

(voir élément 16 du corpus unilingue) Les tiroirs utilisés sont le passé composé et l’imparfait pour le passé et, pour le futur, le futur simple et le futur périphrastique :

« Quand mon aspirateur sera à bout de souffle, je le rapporterai dans un magasin. »

(voir éléments 10, 11 et 12 du corpus unilingue) Par ailleurs, D. Maingueneau mentionne que la présence de l’énonciateur ne se fait pas uniquement sentir au travers des déictiques et qu’il faut prendre en compte les modalisations, à savoir « la relation que le locuteur entretient avec ce qu’il dit ».85 Il relève quatre possibilités dans les plans d’énonciation :

1) textes embrayés modalisés, 2) textes embrayés non modalisés, 3) textes non embrayés modalisés, 4) textes non embrayés non modalisés.

82 Voir corpus unilingue, éléments 14, 15, 16 et 17

83 Voir corpus unilingue, éléments 10, 11 et 12

84 Voir corpus unilingue, élément 15

Par ailleurs, ces différents plans se combinent la plupart du temps. Considérons l’exemple suivant :

Cet étrange magazine est composé à plus de 70% de papier recyclé embrayé modalisé Etonnant ?*

Précieux le papier > Précieux le tri non embrayé modalisé

*C’est pourtant la vérité :

En Suisse, le vieux papier constitue la principale matière première des papeteries. non embrayé non modalisé Pourtant, il représente encore plus du quart du contenu de nos poubelles. embrayé non modalisé

4.4. Les créations linguistiques 4.4.1. Les libertés syntaxiques

Nous observons au niveau du slogan (accroche et phrase d’assise) des agrammaticalités qui sont justifiées par la fonction phatique et conative de ce dernier. En effet, selon Lugrin86 :

Le discours publicitaire, à la fois non sollicité, unidirectionnel et devant satisfaire une lecture extrêmement brève doit se faire remarquer (fonctions phatique et conative) et se faire comprendre.

Pour cette raison, il oscille entre inattendu et attendu, séduction et information, originalité et intelligibilité.

Dans le slogan « Pensez-y, pensez tri », il y effacement de la préposition « à » propre à la construction du verbe « penser à quelque chose », ceci afin de produire une assonance avec le premier membre du slogan « pensez-y ».

Dans le slogan « Précieux le verre > Précieux le tri », il y a effacement du verbe « être » et l’adjectif attribut est antéposé. De par sa position dans la phrase et sa répétition, l’adjectif

« précieux » est mis en évidence. Ainsi la connotation positive liée au terme « précieux » est transférée aux deux autres termes, « verre » et « tri », qui en sont valorisés.

4.4.2. Les jeux de mots

Les jeux de mots au niveau de l’accroche de certaines affiches entraînent la personnification de l’objet à recycler, en lui attribuant des caractéristiques humaines (figure rhétorique de la prosopopée):

86 LUGRIN, G., op. cit., 2006, p. 89

Quand mon aspirateur sera à bout de souffle (voir élément 10 du corpus unilingue) Quand mon portable aura décroché (voir élément 11 du corpus unilingue) Quand mon robot sera K.O. (voir élément 12 du corpus unilingue) Ce procédé permet de renforcer l’identification du lecteur avec l’objet à recycler.

De manière générale, les libertés syntaxiques et les jeux de mots participent au masquage du macro-acte directif (la recommandation d’action), propre au message publicitaire.

C. L’ IMAGE PUBLICITAIRE