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Les limites voulues

DROIT COMMUN

Paragraphe 1. La liberté d’entrer en pourparlers

B. Les limites voulues

84. Il est donc des cas où le contrat d’auteur est forcé, par les juges ou par la loi. Ces restrictions à la liberté n’écorchent cependant pas le principe, il s’agit d’exceptions. Malgré ces entorses, le principe reste bien la liberté d’entrer en pourparlers, ou non. La liberté contractuelle se manifeste ici pleinement, et celle-là même permet aux parties de réduire dès leurs premiers échanges leur liberté précontractuelle.

B. Les limites voulues

85. Négocier un contrat d’auteur peut être une entreprise longue, coûteuse et incertaine. Afin de se donner toutes les chances de parvenir à un accord, les parties à la négociation peuvent décider de structurer le temps des pourparlers, en s’engageant non sur la conclusion du contrat définitif mais sur l’organisation des négociations, restreignant par là même leur liberté précontractuelle (1). Ce contrat, qui ne présente pas les caractéristiques d’un contrat d’auteur, verra tant ses conditions de validité que sa sanction entièrement soumises au droit commun (2).

1.Le contrat de négociation, instrument d’organisation de la négociation

86. Les contrats de négociation. Le besoin de sécurité dans cette période de négociation informelle peut conduire les parties à contractualiser leurs négociations, et ce dès l’entrée en pourparlers. Mousseron distingue ainsi les pourparlers non contractuels des pourparlers

Propriété littéraire et artistique, op. cit., p. 602 et s.

158 Cette possibilité a été admise notamment dans un arrêt de la Cour de Cassation du 28 février 1989. Dans cette affaire, les juges du fond avaient condamné la veuve et unique héritière du peintre Léonard Foujita à voir l’œuvre de son mari exploitée, passant outre son autorisation, considérant qu’elle avait commis un abus manifeste dans l’exercice de ses droits, en s’obstinant à refuser à un éditeur l’autorisation de publier la représentation d’œuvres picturales de son mari dans un livre qui lui était consacré : CA Versailles, 3 nov. 1987 : RIDA, avr. 1988, p. 160. La Cour de cassation casse finalement l’arrêt, considérant que l’abus notoire n’était pas caractérisé, mais ne remet pas en cause la possibilité d’une exploitation forcée de l’œuvre : Cass. 1re civ., 28 févr. 1989 : RIDA, 1998, n°141, p. 257, note A. FRANÇON.

159 CA Paris, 9 juin 1964 : JCP G, 1965, II, 14172, note A. FRANÇON. Cité par M. VIVANT et J.-M. BRUGUIERE, Droit d’auteur, op. cit., p. 625. Le gardien du droit moral verra son comportement sanctionné sur le fondement de l’article L. 121-3 du CPI en cas d’abus notoire de sa part dans l’exercice de ce droit moral.

58 contractuels160. La pratique a inventé toute une palette de contrats ayant pour finalité d’organiser, de prévoir ou d’imposer la négociation du contrat définitif. Les parties peuvent pour cela laisser libre cours à leur imagination en créant des contrats correspondant parfaitement à leurs besoins et fixant les points sur lesquels elles souhaitent d’ores et déjà s’entendre.

87. La diversité des contrats de négociation. Les parties peuvent, par de tels contrats, s’obliger à négocier le contrat définitif, à poursuivre cette négociation, elles peuvent organiser les négociations en fixant des dates, un calendrier, un formalisme particulier, le lieu de la négociation, ou encore les conditions de l’arrêt des négociations. « La convention de négociation a pour principal effet la création d’une obligation de discuter les conditions d’un contrat futur dont la nature et l’objet principal sont connus. Cette obligation porte sur deux prestations : entreprendre la discussion (obligation de résultat) et la conduire de bonne foi (obligation de moyen) »161. Ces contrats « préparatoires », ou « préliminaires » ont pour unique objet d’organiser les négociations, et peuvent être conclus à toutes les étapes de celles-ci. Ces accords innommés162 tendent à se généraliser dans les relations contractuelles complexes.

88. La diversité des appellations. L’on retrouve de telles formules contractuelles sous des appellations diverses : contrat de pourparlers, accords de principe, lettres d’intention, contrats de négociation. Derrière tous ces termes, se dissimulent parfois les mêmes contrats tandis que la même appellation peut abriter des contrats très différents. On constate ici le pouvoir « d’ingénierie » juridique des praticiens, et les incertitudes de qualifications propres aux contrats innommés. Nous ne visons ici que ceux ayant pour objet une obligation de négocier le contrat futur, que Monsieur Cédras définit ainsi : « Négocier, c’est mener des échanges en vue de se mettre d’accord. L’obligation de négocier consiste donc à obliger les individus à un échange de propositions et de contre-propositions impliquant éventuellement des concessions réciproques, et dont le but, pour le juriste, est de parvenir précisément à un negotium, décision contraignante pour ses auteurs »163. Nous

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J.-M. MOUSSERON, M. GUIBAL et D. MAINGUY, L’avant-contrat, 1re éd., Francis Lefebvre, 2001. 161

J. SCHMIDT, Négociation et conclusion des contrats: Dalloz Droit usuel, 1982, n°379, cité par J.-M. MOUSSERON, M. GUIBAL et D. MAINGUY, L’avant-contrat, op. cit., p. 270.

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Précisons cependant que s’il s’agit pour l’instant de contrats innomés, le projet Catala, dans son article 1104-1, prévoit que « les parties peuvent, par un accord de principe, s’engager à négocier ultérieurement un contrat dont les éléments sont à déterminer, et à concourir de bonne foi à leur détermination ».

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59 étudierons les autres obligations pouvant naître de ces contrats préparatoires ultérieurement pour chaque aspect de la négociation.

2. L’absence de spécificité des contrats de négociation du contrat d’auteur

89. Une validité soumise au seul droit commun. De tels contrats de négociation sont tout à fait envisageables en ce qui concerne la construction des contrats d’auteur. Ils ne sont en effet pas soumis au droit d’auteur dans la mesure où ils n’ont pas la nature d’un contrat d’auteur, ni celle d’un avant-contrat qui pourrait se voir imposer ses règles impératives164. Leur objet n’est pas d’organiser la cession des droits d’auteur, mais uniquement d’organiser la négociation du contrat de cession des droits d’auteur. L’auteur peut s’engager à négocier le contrat, il n’engage pas ici le sort de ses droits d’auteur. Ces contrats sont ainsi valables pour autant qu’ils respectent les conditions traditionnelles de validité des contrats. L’auteur et son futur cocontractant doivent exprimer clairement leur volonté de s’engager à négocier le contrat. Le constat d’un tel contrat sera soumis aux règles de preuves classiques du droit commun des contrats.

90. Une sanction de droit commun. Tout comme la validité et la preuve des contrats de négociation, la sanction de son inexécution, trouvant son fondement dans l’article 1147 du Code civil, ne présente pas de spécificité en droit d’auteur. La partie débitrice de cette obligation de négocier le contrat doit accomplir un acte positif envers son partenaire. Il s’agit d’une obligation de faire. Ne pas entamer ou ne pas reprendre les négociations constitue alors une faute susceptible d’engager sa responsabilité contractuelle. Cette faute peut se manifester de différentes manières, selon les termes du contrat. En cas d’inexécution de cette obligation contractuelle, la sanction la plus adaptée reste certainement l’exécution par équivalent. Nous pouvons en effet écarter toute exécution forcée en nature de l’obligation de négocier. Ne s’agissant pas d’une obligation de conclure le contrat, l’exécution forcée ne concernerait pas sa conclusion mais sa négociation. Or, il paraît délicat de contraindre une partie à négocier un contrat, et a fortiori de l’obliger à le négocier de bonne foi par voie judiciaire. Il est communément admis par la doctrine qu’une telle solution serait peu satisfaisante165, « la responsabilité consécutive à l’inexécution de l’accord de négociation ne peut conduire à envisager une réparation en nature consistant dans l’exécution forcée de l’obligation ; on ne saurait d’avantage contraindre une partie à négocier qu’un peintre à exécuter le tableau promis.

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164Voir infra, n°15 et 16.

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C’est alors la présence d’une clause d’astreinte, seule modalité qui permette en pratique d’obtenir une exécution forcée sous la contrainte, qui peut être discutée dans la mesure où le principe de l’obligation de négocier est contenu dans sa limite : la possibilité de ne pas conclure le contrat »166

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Nous nous rallions à cette position, a fortiori en droit d’auteur où l’ensemble de la relation contractuelle se doit d’être présidée par la notion de confiance et de coopération. Obliger l’auteur ou son exploitant à poursuivre des négociations qu’ils souhaitent voir avorter conduirait dans tous les cas à de mauvaises relations contractuelles. La seule sanction possible est alors une exécution par équivalent, qui consiste à attribuer des dommages et intérêts au créancier de l’obligation de négocier. Ces dommages et intérêts ne pourront dans tous les cas pas conduire à indemniser le gain manqué lié à la non conclusion du contrat, mais seulement certains frais engagés à l’occasion des négociations, à moins que le contrat ne prévoit dès le départ la répartition des frais dans une telle hypothèse.

91. Un contrat utilisé par la pratique. Dans la pratique du droit des contrats d’auteur, ces contrats de négociation sont de plus en plus fréquents, car la négociation du contrat d’auteur est complexe et peut prendre beaucoup de temps. Ainsi, s’est par exemple développée ces dernières années, entre autres contrats de négociation, la pratique du mini deal, ou memo deal, sorte de « mini-contrat » ayant parfois pour seul objet de fixer le cadre des négociations167, les points à négocier ainsi que le délai à l’issue duquel chacun retrouvera sa liberté si aucun accord n’a pu être trouvé. La liberté contractuelle permet ainsi de limiter la liberté précontractuelle, en obligeant l’auteur et son exploitant à négocier le contrat futur. Identifiés par des appellations diverses, les contrats de négociation abritant une obligation de négocier le contrat sont aujourd’hui nombreux.