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Les limites subies

DROIT COMMUN

Paragraphe 1. La liberté d’entrer en pourparlers

A. Les limites subies

79. Dans le but de favoriser l’accès du public aux œuvres ainsi que la gestion des droits, tant le législateur (1) que le juge (2) posent parfois les limites de la liberté de négociation des œuvres.

1. Les limites instaurées a priori par le législateur

80. Les licences forcées. Il existe des hypothèses de « contrats forcés » en droit d’auteur151 limitant tant la liberté contractuelle de l’auteur que sa liberté précontractuelle. C’est le cas notamment des licences obligatoires que l’auteur peut se voir imposer. Le législateur a en effet créé un certain nombre de licences légales, associées souvent à une gestion collective des droits imposée aux auteurs. L’on peut ainsi penser par exemple au droit de prêt. L’article L. 133-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que « lorsqu’une œuvre a fait l’objet d’un contrat d’édition en vue de sa publication et de sa diffusion sous forme de livre, l’auteur ne peut s’opposer au prêt d’exemplaires de cette édition par une bibliothèque accueillant du public ». Pour des raisons de simplification de la gestion des droits, un renvoi est fait à l’article L. 133-4 du CPI, qui organise les modalités du droit à rémunération au profit de l’auteur. L’on peut également mentionner le cas prévu

collaboration est la propriété commune des coauteurs ». Les coauteurs possèdent un droit indivis sur l’œuvre, et doivent, au terme de l’alinéa 2 de cet article, exercer les droits d’exploitation « d’un commun accord ». L’acte d’exploitation requiert donc le consentement de tous les auteurs : Cass. 1re civ., 19 déc. 1983 : Bull. civ. I, n°304. A défaut, l’acte de contrefaçon devrait être caractérisé : Cass. 1re civ., 19 mai 1976 : RIDA, janv. 1977, p. 104.

151Quelques auteurs utilisent l’expression « contrat forcé », notamment : P.-Y. GAUTIER, Propriété littéraire et artistique, op. cit., n°556, p. 602 et s. Ŕ C. CARON, Droit d’auteur et droits voisins, op. cit., 9, n° 295 à 301, p. 242 et s. Ŕ S. JACQUIER, Le contrat forcé en droit d’auteur : CCE, 2001, chron. p. 13.

55 par le législateur pour la reproduction à usage privé152. S’agissant de licences légales, l’autorisation de l’auteur n’est pas requise mais celui-ci reçoit des redevances. Il n’y a pas ici de place faite à la négociation, le législateur fixe les conditions de l’exploitation ainsi que l’ampleur de la rémunération de l’auteur.

81. Les cessions forcées. Il existe également des cas de cession légale des droits patrimoniaux de l’auteur à des sociétés de perception et de répartition des droits. C’est le cas du droit de reproduction par reprographie. L’article L. 122-10 prévoit ainsi que « la publication d’une œuvre emporte cession du droit de reproduction par reprographie à une société régie par le titre II du livre III et agréée à cet effet par le ministre chargé de la culture. Les sociétés agréées peuvent seules conclure toute convention avec les utilisateurs aux fins de gestion du droit ainsi cédé ». L’auteur est là aussi dépossédé de la gestion de ses droits et ne peut en négocier les conditions.

82. La gestion individuelle des droits d’auteur donne elle aussi lieu, parfois, à des cessions forcées. L’auteur salarié ayant créé un logiciel dans l’exercice de ses fonctions ou d’après les instructions de son employeur voit ainsi ses droits, nés sur sa tête, dévolus à son employeur153, sans qu’il puisse bénéficier de redevance pour l’exploitation de son œuvre154

. Les journalistes contribuant à l’élaboration d’un titre de presse voient eux aussi leur liberté de négociation paralysée par une disposition expresse du droit d’auteur. L’article L. 132-36 du CPI, issu de la loi du 12 juin 2009, prévoit que « sous réserve des dispositions de l’article L. 121-8, la convention liant un journaliste professionnel ou assimilé au sens des articles L. 7111-3 et suivant du Code du travail, qui contribue, de manière permanente ou occasionnelle, à l’élaboration d’un titre de presse, et l’employeur emporte, sauf stipulation contraire, cession à titre exclusif à l’employeur des droits d’exploitation des œuvres du journaliste réalisées dans le cadre de ce titre, qu’elles soient ou non publiées ». Le principe est donc celui d’une cession automatique des droits par l’effet du contrat de travail à l’entreprise éditrice. Tout comme pour les auteurs de logiciels salariés, cette cession automatique des

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L’article L.122-5, alinéa 2 du CPI autorise « les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, à l’exception des copies des œuvres d’art destinées à être utilisées à des fins identiques à celles pour lesquelles l’œuvre originale a été créée et des copies d’un logiciel autres que la copie de sauvegarde établie dans les conditions de l’article L. 122-6-1 ». L’article L. 311-1 du même Code prévoit la rémunération des auteurs à ce titre.

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L’article L. 113-9 du CPI dispose que « sauf dispositions statutaires ou stipulations contraires, les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation créés par un ou plusieurs employés dans l’exercice de leurs fonctions ou d’après les instructions de leur employeur sont dévolus à l’employeur qui est le seul habilité à les exercer ». 154

56 droits n’emporte pas d’obligation pour l’employeur de rémunérer l’auteur au titre de cette exploitation, celle-ci ayant pour contrepartie, au regard de l’article L. 132-37, le salaire du journaliste. Il convient également de mentionner le cas des créateurs fonctionnaires. La loi du 1er Aout 2006 est venue organiser une cession automatique des droits sur les œuvres créées par les agents de l’État dans l’exercice de leurs fonctions155. Là encore, le créateur personne physique bénéficie ab initio des droits sur son œuvre156, mais il ne peut alors ni décider du sort de celle-ci, ni en négocier les conditions d’exploitation, sous réserve du respect de son droit moral.

2. Les limites révélées a posteriori par le juge

83. C’est parfois le juge qui impose aux parties de conclure le contrat, dans le cadre du pouvoir qui lui est expressément reconnu par la loi, lorsque le refus de conclure le contrat présente un caractère abusif. Le refus de contracter peut tout d’abord contrarier les règles du droit de la concurrence, en cas d’abus de position dominante ou d’entente illicite157

. Nous ne développerons pas ici ces hypothèses dans la mesure où il est difficilement imaginable que l’auteur, premier cessionnaire des droits d’auteur, ait une position telle qu’il puisse fausser le jeu de la libre concurrence. Nous consacrons nos développements aux contrats conclus par l’auteur personne physique. En dehors d’un engagement de sa part, le juge ne devrait pas pouvoir prononcer la conclusion forcée du contrat d’auteur, sauf à prouver un usage de ses droits non conforme à leur finalité, ce qui peut être le cas par exemple en cas de refus de négocier l’exploitation d’une œuvre de collaboration. Nous l’avons vu, le principe demeure dans un tel cas la liberté. Cependant, celle-ci ne doit pas conduire à valider un usage abusif des droits d’auteur, et bloquer indéfiniment l’exploitation d’une œuvre. L’article L. 113-3 alinéa 3 offre au juge la possibilité de passer outre le refus de l’un des coauteurs afin d’autoriser les autres à conclure le contrat d’exploitation. Ainsi, « en cas de désaccord, il appartient à la juridiction civile de statuer ». Le juge a également le pouvoir de

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Cette cession automatique des droits au bénéfice de l’Etat est organisée par l’article L. 131-3-1 du CPI : « Dans la mesure strictement nécessaire à l’accomplissement d’une mission de service public, le droit d’exploitation d’une œuvre créée par un agent de l’Etat dans l’exercice de ses fonctions ou d’après les instructions reçues est, dès la création, cédé de plein droit à l’Etat ». Nous aurons l’occasion d’y revenir.

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L’article L. 111-1 du CPI prévoit dans son alinéa 3 que : « L’existence ou la conclusion d’un contrat de louage d’ouvrage ou de service par l’auteur d’une œuvre de l’esprit n’emporte pas dérogation à la jouissance du droit reconnu par le premier alinéa, sous réserve des exceptions prévues par le présent code. Sous les mêmes réserves, il n’est pas non plus dérogé à la jouissance de ce même droit lorsque l’auteur de l’œuvre de l’esprit est un agent de l’Etat, d’une collectivité territoriale, d’un établissement public à caractère administratif, d’une autorité administrative indépendante dotée de la personnalité morale ou de la Banque de France ».

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57 contraindre les représentants de l’auteur décédé à conclure un contrat d’exploitation, en cas d’abus notoire de leur part dans l’exercice de ses droits d’exploitation158. Ce pouvoir est issu de l’article L. 122-9 du CPI. Les « héritiers du droit moral », en tant que gardiens de la mémoire de l’auteur, devront également agir au plus près de ce qu’il aurait souhaité, ce qui devrait les conduire à accepter parfois l’exploitation de l’œuvre contre leur propre volonté159

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84. Il est donc des cas où le contrat d’auteur est forcé, par les juges ou par la loi. Ces restrictions à la liberté n’écorchent cependant pas le principe, il s’agit d’exceptions. Malgré ces entorses, le principe reste bien la liberté d’entrer en pourparlers, ou non. La liberté contractuelle se manifeste ici pleinement, et celle-là même permet aux parties de réduire dès leurs premiers échanges leur liberté précontractuelle.