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Les limites à la liberté d’entreprendre liées à la protection de l’environnement

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

Section 1. La conciliation difficile entre protection du climat et liberté d’entreprendre

B. Les limites à la liberté d’entreprendre liées à la protection de l’environnement

B. Les limites à la liberté d’entreprendre liées à la protection de l’environnement

140. Encore aujourd’hui, dans beaucoup d’esprits, la liberté d’entreprendre et la

protection de l’environnement sont deux choses profondément inconciliables. De façon générale, le droit de l’environnement est perçu comme un obstacle aux libertés économiques. En effet, du fait des nombreuses contraintes liées au besoin de protection de l’environnement, il est très difficile de concevoir un monde où les opérateurs économiques jouissent pleinement de leurs libertés individuelles (1). Le maître-mot est cependant le « besoin ». La protection de l’environnement n’a pas été pensée et construite en opposition à l’exercice de la liberté d’entreprendre. Tout simplement, en l’état de notre monde, elle est devenue une nécessité incontestable, un impératif incontournable. C’est également le cas de la protection du climat. L’urgence d’agir en matière de lutte contre le changement climatique implique des actions positives et provoque des changements juridiques. Il en résulte naturellement des limitations des libertés économiques des opérateurs privés (2).

1. La liberté d’entreprendre et la protection de l’environnement

141. La protection de l’environnement, qui a longtemps été considérée comme un objectif d’intérêt général543, constitue désormais un objectif de valeur constitutionnelle544. À ce titre, elle peut justifier des limitations à la liberté d’entreprendre.

En 1972, la Déclaration de Stockholm a posé les bases d’un droit à l’environnement, en proclamant que « l’homme a un droit fondamental à la liberté, à l’égalité et à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permette de vivre dans la dignité et le bien-être. Il a le devoir solennel de protéger et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures »545. Vingt ans plus tard, en 1992, la Déclaration de Rio consacra à son tour ce droit à l’environnement en ces termes : « les êtres humains sont au centre

543 J.-F. Calmette, « Le droit de l’environnement : un exemple de conciliation de l’intérêt général et des intérêts économiques particuliers », Revue juridique de l’environnement, n° 3, 2008, p. 265-280.

544 Voy. Cons. const., 31 janvier 2020, n° 2019-823 QPC, Union des industries de la protection des plantes

[Interdiction de la production, du stockage et de la circulation de certains produits phytopharmaceutiques], AJDA

2020, p. 264, note E. Benoit.

545 Déclaration de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement, Conférence des Nations Unies sur l’environnement, 16 juin 1972, principe 1.

des préoccupations relatives au développement durable. Ils ont droit à une vie sainte et productive en harmonie avec la nature »546. En droit interne, c’est la loi Barnier du 2 février 1995547 qui a consacré le droit à l’environnement en proclamant que « les lois et règlements organisent le droit de chacun à un environnement sain »548. Ce droit a acquis une valeur constitutionnelle depuis que la Charte de l’environnement a été adossée à la Constitution par la loi du 1er mars 2005549. Désormais, le droit à l’environnement est un droit de l’homme. D’ailleurs, comme l’écrivait le Professeur Prieur, « discuter de la question de savoir si l’environnement peut faire l’objet d’un droit de l’homme, est un faux débat. Un anthropocentrisme étriqué paraît aujourd’hui d’un autre âge. Il est scientifiquement admis par tous que la vie des hommes sur terre est étroitement liée à celle des autres espèces vivantes. Protéger la nature, à travers la faune, la flore et la biodiversité, est en même temps protéger l’homme. Détruire la nature ou épuiser ses ressources, prive l’homme d’un développement durable »550. Il n’est pas anodin de relever que la question de la constitutionnalisation d’un droit de l’homme à l’environnement a été soulevée dès le premier numéro de la première revue juridique entièrement dédiée à l’environnement551. En 1976 déjà, le Professeur Kiss décrivait les avantages que pouvait procurer l’inscription d’une disposition dans la Constitution garantissant le droit à un environnement humain : « Elle consacrerait la valeur qui doit être reconnue à la protection de l’environnement ; elle créerait moins un droit de caractère social qu’une obligation morale pour le législateur ; elle permettrait de reconnaître à la protection de l’environnement sinon la priorité, du moins l’égalité par rapport à d’autres intérêts nationaux, et notamment les intérêts économiques. Enfin, elle permettrait de combler les lacunes qui peuvent exister dans la législation protégeant l’environnement et d’atténuer les effets des retards pris par la législation ou par des mesures administratives par rapport aux besoins réels »552.

546 Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, 14 juin 1992, principe 1.

547 Loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement, JO, 3 février 1995.

548 C. env., art. L. 110-2.

549 Loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement, JO, 2 mars 2005.

550 M. Prieur, « Vers un droit de l’environnement renouvelé », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 15, 2004, p. 136.

551 A. Kiss, « Peut-on définir le droit de l’homme à l’environnement ? », Revue juridique de l’environnement, n° 1, 1976, p. 15-18. Voy. a contrario : J. Untermaier, « Droit de l’homme à l’environnement et libertés publiques : Droit individuel ou droit collectif. Droit pour l’individu ou obligation pour l’État », Revue juridique de

l’environnement, n° 4, 1978, p. 329-367. L’auteur se demande si le droit de l’homme à l’environnement n’est pas

un « luxe inutile », à défaut d’être une « panacée ».

L’article 1er de la Charte de l’environnement prévoit que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». Par cette disposition, la Charte consacre ce qu’une partie de la doctrine a qualifié de droit de « troisième génération », ou droit « de solidarité », au même titre que le droit à la paix ou le droit au développement apparus après 1945 et fondés sur la solidarité entre les peuples. Mais à vrai dire, cette qualification importe peu. En réalité, la distinction entre les trois générations de droits de l’homme553, qui repose d’ailleurs davantage sur une théorie, et non pas sur une base analytique solide, n’a aucune pertinence juridique554. Il semble effectivement aujourd’hui que cette théorie est devenue quelque peu obsolète. On peut s’interroger sur sa pertinence, dans la mesure où elle ne tient pas compte de la porosité évidente entre les catégories de droits. Par ailleurs, elle conduit à diviser les droits en droits-créances, ou « droits à »555, et droits-libertés, ou « droits de ». On dit que les libertés sont « opposables à l’État », tandis que les créances sont « exigibles de lui »556. Le droit-créance implique donc une intervention positive. Il doit être mis en œuvre. En l’absence de cette concrétisation, il « demeure virtuel »557. Dès lors, à condition d’admettre préalablement que cette opposition puisse avoir un certain intérêt, on peut se poser la question de savoir si le droit à l’environnement est un droit-créance ou un droit-liberté. Tout d’abord, dans une approche restrictive558, le droit à l’environnement est un droit-créance qui exige à ce titre une action positive de l’État dans le sens d’une protection optimale de l’environnement naturel. Tel est d’ailleurs le sens retenu par le rapporteur du projet de loi constitutionnelle pour qui le droit à l’environnement représente un objectif à valeur constitutionnelle dont les particuliers peuvent demander le respect par l’État559. À l’inverse, la portée du droit à l’environnement est considérablement étendue s’il est qualifié de droit-liberté, ou droit subjectif560. Dans ce cas, il produit des effets horizontaux, ce qui signifie que des particuliers peuvent en revendiquer le respect par d’autres particuliers. Pour le Professeur Prieur, l’article 1er de la Charte correspond

553 La première génération regroupe les droits civils et politiques. La deuxième : les droits économiques, sociaux et culturels. Enfin, la troisième génération regroupe les droits collectifs ou de solidarité.

554 M. Prieur, Droit de l’environnement, Dalloz, coll. « Précis », 7ème éd., 2016, p. 24.

555 Voy. sur cette notion : D. Cohen, « Le droit à … », in Mélanges en hommage à François Terré. L’avenir du

droit, Dalloz, 1999, p. 394 ; M. Pichard, Le droit à. Étude de législation française, préf. M. Gobert, L.G.D.J.,

2006.

556 J. Robert et J. Duffar, Droits de l’homme et libertés fondamentales, Montchrestien, 5ème éd., 1994, p. 64.

557 J. Rivero, Les libertés publiques. Tome 1 : Les droits de l’homme, PUF, coll. « Thémis », 1995, p. 100.

558 L. Neyret, « Environnement », Répertoire de droit civil, Dalloz, octobre 2013 (mise à jour : avril 2017).

559 Rapport n° 1595 fait au nom de Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi constitutionnelle (n° 992) relatif à la Charte de l’environnement, par N. Kosciusko-Morizet, déposé le 12 mai 2004, p. 73.

« en droit à la fois à un droit fondamental subjectif et à un droit-créance »561. C’est ce qu’a retenu le juge administratif dans une décision du 29 avril 2005 : « en adossant à la Constitution une charte de l’environnement qui proclame en son article 1er que chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, le législateur a nécessairement entendu ériger le droit à l’environnement en liberté fondamentale de valeur constitutionnelle »562. Dans cette affaire, le juge a admis l’intérêt à agir d’associations de protection de l’environnement et de personnes morales de droit public en cas de menaces graves d’atteintes à l’environnement. Il a fait référence à l’article 1er de la Charte pour admettre la recevabilité de l’action de ces associations au regard de leur objet statutaire. Quelques mois plus tard, le juge répressif a confirmé cette position, en reconnaissant à son tour la valeur constitutionnelle de la Charte de l’environnement563. Dans ce contexte, le Conseil d’État a, dans l’arrêt d’assemblée Commune d’Annecy du 3 octobre 2008564, reconnu la valeur constitutionnelle de l’ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement. Cette décision s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence du Conseil constitutionnel du 19 juin 2008 relative à la loi sur les organismes génétiquement modifiés565.

S’agissant plus précisément de l’article 1er de la Charte de l’environnement, le Conseil constitutionnel a indiqué, dans la fameuse affaire Michel Z.566, qu’il peut être valablement invoqué à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité. Ce faisant, il l’a reconnu comme un droit ou liberté que la Constitution garantit. Plus précisément, après avoir rappelé les dispositions des articles 1er (droit à un environnement sain) et 2 (devoir de préservation) de

561 M. Prieur, « Les nouveaux droits », AJDA, 2005, p. 1159. Voy. a contrario : B. Mathieu, « La portée de la Charte pour le juge constitutionnel », AJDA, 2005, p. 1170. Pour le Professeur Mathieu, il ne s’agit que d’un objectif à valeur constitutionnelle.

562 TA Châlons-en-Champagne, ord., 29 avril 2005, Conservatoire du patrimoine naturel, Ligue de protection des oiseaux, Fédération des conservatoires d’espaces naturels c/ Préfet de la Marne, réq. nos 0500828, 0500829 et 0500830, JCP A, 2005, p. 834, note Ph. Billet.

563 T. corr. Orléans, 9 déc. 2005, Sté Monsanto c/ Dufour et a., n° 2345/S3/2005 ; A. Gossement, « Le fauchage des OGM est-il nécessaire ? Réflexions sur la relaxe des faucheurs volontaires par le tribunal correctionnel d’Orléans », Environnement, 2006, p. 9-13.

564 CE, ass., 3 oct. 2008, Commune d’Annecy c/ État, n° 297931, RFDA, 2008, p. 1147, concl. Y. Aguila ; L. Janicot, « La valeur constitutionnelle de la Charte de l’environnement, note sous l’arrêt d’Assemblée du Conseil d’État du 3 octobre 2008, Commune d’Annecy », RFDA, 2008, p. 1158 ; V. Champeil-Desplats, « La Charte de l’environnement prend son envol aux deux ailes du Palais-Royal », Revue juridique de l’environnement, n° 2, 2009, p. 230-244 ; A. Boyer, « Dialogue des juges et promotion de la Charte de l’environnement », Revue juridique

de l’environnement, n° 4, 2009, p. 435-442.

565 Cons. const., 19 juin 2008, n° 2008-564 DC, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés, AJDA, 2008, p. 1614, note O. Dord ; RFDA, 2008, p. 1237, note A. Roblot-Troizier ; RFDC, 2009, p. 189, note A. Capitani ;

Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Dalloz, coll. « Grands arrêts », 17ème éd., 2013, p. 480.

566 Cons. const., 8 avril 2011, n° 2011-116 QPC, M. Michel Z et a., D., 2011, p. 1258, note V. Rebeyrol ; D., 2011, p. 2298, note B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ; AJDA, 2011, p. 762, obs. S. Brondel ; AJDA, 2011, p. 1158, note K. Foucher ; RDI, 2011, p. 369, note F.-G. Trébulle ; P. Steichen, « La Charte de l’environnement et les troubles anormaux de voisinage », Revue juridique de l’environnement, vol. 36, n° 3, 2011, p. 393-399.

la Charte de l’environnement, le Conseil a précisé « que le respect des droits et devoirs énoncés en termes généraux par ces articles s’impose non seulement aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leur domaine de compétence respectif mais également à l’ensemble des personnes »567. Il en a déduit « que chacun est tenu à une obligation de vigilance à l’égard des atteintes à l’environnement qui pourraient résulter de son activité »568. Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a jugé que le législateur est compétent pour définir les conditions dans lesquelles une action en responsabilité peut être engagée contre l’auteur de nuisances dues à une activité agricole, industrielle, artisanale, commerciale ou aéronautique sur le fondement de cette obligation de vigilance. De même, dans une décision du 23 novembre 2012569, après avoir cité les articles 1er (droit à un environnement sain) et 3 (devoir de prévention) de la Charte de l’environnement, le Conseil constitutionnel a rappelé « qu’il incombe au législateur et, dans le cadre défini par la loi, aux autorités administratives de déterminer […] les modalités de la mise en œuvre de ces dispositions »570. À cet égard, il a précisé « qu’il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle du législateur sur les moyens par lesquels le législateur entend mettre en œuvre le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé »571. Il faut savoir que les commentateurs de ces deux décisions ont estimé que, dans la mesure où le Conseil constitutionnel ne s’est pas prononcé sur la portée du seul article 1er de la Charte de l’environnement, concrètement, il n’a pas fait du droit à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé un droit subjectif invocable en tant que tel572. Certains auteurs ont cependant été troublés par une telle interprétation susceptible de priver cet article de toute effectivité573. Dans une autre décision, en date du 17 octobre 2014574, l’article 1er de la Charte a été invoqué seul par le requérant. Même si le Conseil a jugé qu’il n’était pas violé en l’espèce575, nous pouvons tout de même conclure, avec d’autres576, qu’il fut implicitement reconnu comme invocable seul.

567 Ibid., considérant n° 5.

568 Ibid.

569 Cons. const., 23 nov. 2012, n° 2012-282 QPC, Association France Nature Environnement et a., Revue juridique

de l’environnement, n° 2, 2013, p. 295-311, note B. Crottet.

570 Ibid., considérant n° 7.

571 Ibid., considérant n° 8.

572 Voy. les commentaires des décisions sur le site internet du Conseil constitutionnel.

573 Voy. notamment : F.-G. Trébulle, « Droit de l’environnement : septembre 2012 – octobre 2013 », D., 2014, p. 104 : « On peut évidemment s’interroger sur la densité du droit proclamé à l’article 1er de la Charte, mais sauf à le priver de toute effectivité et à occulter la reconnaissance européenne et internationale du droit à un environnement sain, la formule évoquée est probablement trop elliptique ».

574 Cons. const., 17 oct. 2014, n° 2014-422 QPC, Chambre syndicale des cochers chauffeurs CGT-taxis, AJDA, 2015, p. 226, note A. Haquet.

575 Ibid., considérant n° 13.

142. Il est sans doute possible de reconnaître un intérêt, essentiellement pédagogique,

à toutes ces interrogations relatives à l’existence, à la portée exacte et à la nature juridique précise du droit à l’environnement. Cependant, s’engager dans un pareil exercice suppose d’assumer qu’en fonction des qualifications qui seront opérées, le degré de protection de l’environnement sera plus ou moins étendu. C’est un lourd fardeau à porter pour les juristes, surtout compte tenu de l’ampleur des enjeux de la protection de l’environnement, que plus personne n’ignore aujourd’hui. Un auteur écrivait ainsi, à propos du droit de l’environnement, que celui-ci est « une histoire, l’image du parcours d’une pensée collective, d’une prise de conscience de nouveaux enjeux »577. En vérité, il importe peu que le droit à l’environnement soit un droit de la troisième génération, ou qu’il s’agisse d’un créance ou d’un droit-liberté. Comme le rappelle le Professeur Prieur, « pour savoir si un droit de l’homme contient une norme de valeur constitutionnelle, le seul critère à considérer est la reconnaissance de ce droit dans la Constitution (y compris dans son préambule) ou non »578. Et l’auteur d’ajouter que « par définition, toutes les normes sont invocables devant les juges. Il n’appartient ni au juge ni à la doctrine de prétendre que des droits humains ne seraient pas vraiment des droits mais simplement de vagues objectifs »579. La place accordée aux considérations environnementales dans l’ordonnancement juridique ne peut plus faire l’objet de discussion. La seule question qui peut encore se poser est d’une toute autre nature : il s’agit de savoir de quelle manière la protection de l’environnement doit-elle être conciliée avec les autres objectifs, droits et libertés, et notamment avec la liberté d’entreprendre.

143. La liberté d’entreprendre et la protection de l’environnement, toutes deux constitutionnellement garanties, sont bien souvent considérées comme antinomiques. La

liberté d’entreprendre, en tant que liberté individuelle, garantit un certain épanouissement individuel, tandis que la protection de l’environnement est d’intérêt général580. Dans son rapport sur l’intérêt général581, le Conseil d’État définissait ce dernier comme « la pierre angulaire de l’action publique, dont il détermine la finalité et fonde la légitimité ». L’intérêt général est, nous dit-il, « la clef de voûte du droit public français »582. Cependant, « le débat sur l’intérêt général

577 D. Bidou, « Préface : Un prisme redoutable », in P. Martin-Bidou, Droit de l’environnement, Vuibert, 2010, p. 3.

578 M. Prieur, Droit de l’environnement, op. cit., p. 24.

579 Ibid.

580 C’est ce qu’affirma le Parlement par la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, JO, 13 juillet 1976. Il donnait ainsi un fondement législatif au droit de l’environnement moderne.

581 Conseil d’État, Rapport public 1999, EDCE, n° 50, La Documentation française, 1999.

n’est pas seulement l’affaire des pouvoirs publics. Il concerne en réalité chaque citoyen »583. L’idée même d’intérêt général implique que les individus prennent de la distance avec leurs propres intérêts. Il semble effectivement que le paradigme français privilégie un intérêt général qui dépasse la simple somme des intérêts particuliers. Si ce n’était pas le cas, l’intérêt général serait, sans doute, en pratique, l’expression des intérêts les plus puissants. Le souci de la liberté l’emporterait, dès lors, sur celui de l’égalité.

La notion d’intérêt général peut parfois sembler un peu « vieillotte ». Mais, en réalité, les contours de cette notion ne sont pas nettement définis et son contenu est éminemment mouvant. Comme l’écrit un auteur, il faut « s’affranchir de toute conception figée de l’intérêt général »584. « Cœur du droit, épicentre de l’équilibre fragile des politiques publiques, il est – et pour un long temps sans doute encore – une science des temps historiques où se forge le langage du juste raisonné, et où s’écrivent les mots des grands équilibres structurant les nations »585. L’intérêt général évolue en fonction des nouveaux enjeux et besoins sociaux à satisfaire. L’émergence de la question écologique ou, plus récemment, de la question climatique en est une belle illustration. La protection de l’environnement est, en effet, considérée comme un intérêt collectif majeur. Comme l’écrit un auteur, « c’est sans doute dans le domaine de l’environnement qu’il est le plus souvent donné de vérifier que la finalité des intérêts économiques risque d’aller à l’encontre de l’intérêt général en l’absence d’intervention publique »586. Par ailleurs, le droit de l’environnement, qui est caractérisé par un critère finaliste de protection, est influencé par la forte connotation « idéologique »587 de l’intérêt général. Cela dit, nous verrons plus tard588 que, dans une conception renouvelée, le droit de l’environnement est de plus en plus considéré comme un droit « à portée économique » qui cherche à concilier au mieux les intérêts privés et l’intérêt général589.

583 Ibid. Voy. également en ce sens : J.-F. Calmette, « Le droit de l’environnement : un exemple de conciliation de l’intérêt général et des intérêts économiques particuliers », op. cit., spéc. p. 268 : « La participation, relativement récente, d’individus ou de groupes organisés à la définition de l’intérêt général est l’un des facteurs de l’évolution de ce dernier et contribue grandement à sa reformulation ». Nous renvoyons aux exemples cités d’associations (p. 269) et d’entreprises (p. 270) qui se sont saisies de la définition de l’intérêt général.

584 F. Kauff-Gazin, La notion d’intérêt général en droit communautaire, thèse, Université Strasbourg III, 2001, p. 58.

585 É. Naim-Gesbert, « L’indicible intérêt environnemental », Revue juridique de l’environnement, vol. 40, n° 2, 2015, p. 205-207, spéc. p. 205.

586 J.-F. Calmette, « Le droit de l’environnement : un exemple de conciliation de l’intérêt général et des intérêts économiques particuliers », op. cit., spéc. p. 266.

587 J. Chevallier, « Réflexions sur l’idéologie de l’intérêt général », in Variations autour de l’idéologie de l’intérêt

général, vol. 1, CURAPP, PUF, 1978, p. 11-45 ; voy. également : F. Rangeon, L’idéologie de l’intérêt général,

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