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Un droit transformé : une approche de droit économique de l’environnement

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

Section 2. La conciliation nécessaire entre protection du climat et liberté d’entreprendre

A. Un droit transformé : une approche de droit économique de l’environnement

189. L’apparition d’un véritable droit économique de l’environnement792 est l’illustration parfaite des capacités transformatrices du droit (1). Ce droit, qui est né du déploiement de l’environnement dans l’ensemble du système juridique, peut-il être aujourd’hui l’outil de la conciliation de la liberté d’entreprendre avec la protection du climat ? Peut-on y trouver les réponses, notamment par la lecture qu’il propose des phénomènes juridiques ? par la façon dont il traite les questions transversales ? (2)

1. L’apparition d’un droit économique de l’environnement

190. Le droit économique de l’environnement naît du « déploiement du droit de l’environnement dans tout l’espace du système juridique »793. En effet, le champ de

l’environnement, « autrefois limité à la confrontation entre l’administration et le destinataire de

790 Ibid.

791 Ibid.

792 Voy. Pour un droit économique de l’environnement. Mélanges en l’honneur de Gilles J. Martin, Éditions Frison-Roche, 2013.

793 G. Martin, « Le droit et l’environnement. Rapport introductif », in Le droit et l’environnement, Association Henri Capitant, Journées nationales Tome XI / Caen, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2010, p. 1-12, spéc. p. 12.

la norme de police, occupe aujourd’hui l’ensemble du paysage juridique »794. « Tentaculaire, désormais incontournable, souvent complexe si ce n’est volontiers hermétique »795, le droit de l’environnement transcende désormais les frontières entre les disciplines et entre les ordres juridiques. Son empreinte est croissante notamment sur l’ensemble des disciplines du droit des affaires publiques ou privées, si bien qu’il est devenu impossible aujourd’hui, en droit économique comme ailleurs, de faire l’impasse sur les questions environnementales.

De nombreux phénomènes participent ainsi à l’apparition d’un droit économique de l’environnement. Le Professeur Martin souligne que depuis la fin des années 1980 et le début des années 1990 apparaissent progressivement, d’abord de nouveaux rapports juridiques, ensuite de nouveaux outils et de nouveaux acteurs796. L’émergence et la reconnaissance de « droits à », tels le droit à l’environnement797, à l’information, à la participation et à l’accès à la justice en matière environnementale798, participe ainsi à une « évidente subjectivisation qui tranche fortement avec l’approche objective qui jusque-là prédominait »799. À cela s’ajoute le développement de l’usage de l’outil contractuel800. En effet, le contrat se révèle être un outil essentiel de gestion des risques environnementaux et de protection de l’environnement. Par conséquent, on assiste à la multiplication de contrats innomés ayant pour objet l’environnement. Comme l’écrit le Professeur Hautereau-Boutonnet, « l’environnement est vu comme une “donnée”, tantôt négative dont il convient de se méfier, tantôt positive qu’il convient de saluer »801. Négativement, d’abord, l’environnement peut être une « donnée » dont il convient de tenir compte à l’occasion de relations contractuelles, car il représente un risque qu’il convient d’anticiper, de gérer ou de réduire. Il en est ainsi, par exemple, de la cession d’une entreprise comprenant un passif environnemental important802. Positivement, ensuite, l’environnement

794 G. Martin, « Les prémices de la régulation en matière environnementale : de la police administrative au Livre vert de la Commission européenne en date du 28 mars 2007 », in La régulation environnementale, sous la dir. de G. Martin et B. Parance, L.G.D.J., coll. « Droit et Économie », 2012, p. 9.

795 J.-P. Desideri, Droit de l’environnement, Foucher, 2010, p. 5.

796 G. Martin, « Le droit et l’environnement. Rapport introductif », op. cit., spéc. p. 7.

797 Voy. supra n° 141.

798 Consacrés, dans l’ordre interne, par la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement, JO, 3 février 1995, dite loi Barnier, et, dans l’ordre international, par la Convention d’Aarhus signée le 25 juin 1998.

799 G. Martin, « Le droit et l’environnement. Rapport introductif », op. cit., spéc. p. 8.

800 Voy. sur cette question : M. Hautereau-Boutonnet (dir.), et alii, Le contrat et l’environnement. Étude de droit

comparé, Bruylant, coll. « Droit(s) et développement durable », 2015 ; V. Monteillet, La contractualisation du droit de l’environnement, préf. A. Pélissier, Dalloz, coll. « Nouvelle Bibliothèque de Thèses », 2017.

801 M. Hautereau-Boutonnet, « Avant-propos. Des relations contrat-environnement au contrat environnemental »,

in Le contrat et l’environnement. Étude de droit comparé, sous la dir. de M. Hautereau-Boutonnet, Bruylant, coll.

« Droit(s) et développement durable », 2015, p. X.

802 P. Steichen, « Le principe de responsabilité – le cas des sites contaminés. Aspects de droit privé », in Droit

public et droit privé de l’environnement : unité dans la diversité ?, sous la dir. de M. Mekki et É. Naim-Gesbert,

peut être une « donnée » que le contrat entend protéger en raison de ses vertus. Les relations entre contrat et environnement sont aussi riches que complexes. Leur mise en lumière bouleverse les grilles de lecture traditionnelles. Le contrat possède des atouts qui expliquent qu’il entre en concurrence avec les instruments moins flexibles de police administrative. Parallèlement, il occupe une place croissante dans la protection de l’environnement. Plus généralement, le Professeur Hautereau-Boutonnet souligne que le contrat « signe sa métamorphose vers un droit plus flexible, plus négocié, faisant appel au consentement des destinataires de la norme. Rendre visible le phénomène contractuel en droit de l’environnement, c’est aussi reconnaître l’évolution substantielle de la discipline »803. Alors que le droit des contrats est traditionnellement conçu comme un droit individualiste, cette rencontre avec l’environnement révèle la place dans le contrat de l’intérêt général, marquant ainsi, si ce n’est un passage, du moins l’apparition d’une nouvelle dimension solidariste du droit des contrats804. Outre le droit des contrats, le droit de la responsabilité connaît aussi un renouveau face à la donnée environnementale. Sans nous attarder davantage pour l’instant, signalons tout de même l’évolution jurisprudentielle qui permet la prise en compte du préjudice écologique dit « pur », ou encore la question des relations entre sociétés mères et sociétés filiales opérationnelles qui s’est posée à propos de questions environnementales. Nous verrons plus loin que la responsabilité civile est devenue aujourd’hui un outil de protection de l’environnement.

191. Tous ces phénomènes contribuent à l’apparition d’un droit économique de

l’environnement qui a pour objet « l’étude du droit de l’organisation de l’économie lorsqu’il a pour finalité directe ou indirecte la protection de l’environnement ou la gestion des questions environnementales »805. Ce droit économique de l’environnement n’est pas une discipline nouvelle, une nouvelle branche du droit, mais un « champ d’investigations »806 qui illustre parfaitement la flexibilité du droit et de ses techniques. Les juristes de droit économique admettent d’ailleurs volontiers que le droit de l’environnement est « un terrain privilégié des

803 M. Hautereau-Boutonnet, « Avant-propos. Des relations contrat-environnement au contrat environnemental »,

op. cit., p. XI.

804 Voy. L. Grynbaum et M. Nicod (dir.), Le solidarisme contractuel, Economica, 2004 ; Ch. Jamin, « Plaidoyer pour le solidarisme contractuel », in Études offertes à Jacques Ghestin, Le contrat au début du XXIe siècle,

L.G.D.J., coll. « Anthologie du Droit », 2014, p. 441 ; C. Thibierge, « Libre propos sur la transformation du droit des contrats », RTD civ., 2008, p. 1 ; J. Attard, « Contrats et environnement : quand l’obligation d’information devient un instrument de développement durable », LPA, 2006, n° 19, p. 7.

805 G. Martin, « Le droit économique de l’environnement, une nouvelle frontière pour la doctrine et l’enseignement du droit de l’environnement ? », Revue juridique de l’environnement, 2016/HS16 (n° spécial), p. 72-81, spéc. p. 73.

analyses de droit économique »807. En ce sens, il illustre parfaitement le dépassement de la frontière entre droit public et droit privé808, qui est l’un des postulats du droit économique. Effectivement, dans sa conception renouvelée, le droit de l’environnement ne peut plus être considéré comme une branche du droit public. L’une de ses évolutions majeures consiste en sa « privatisation » progressive à travers le recours aux instruments de droit privé, tels que le contrat, la responsabilité civile voire le droit de propriété. Pour décrire toutes ces transformations du droit de l’environnement, le Professeur Martin utilise avec beaucoup d’aisance et de finesse une métaphore marine que nous reproduisons ici : « […] l’histoire du droit de l’environnement en France est celle d’un navire qui, quittant le port dans les années 60, a rencontré des vents soutenus dans les années 70, pour ne changer de cap qu’à l’aube des années 90. L’océan sur lequel il a, dans sa première période, navigué est longtemps demeuré “l’Océan de la modernité” […]. Cet océan était encore largement celui du “grand partage” : les vents qui poussaient le navire restaient pour l’essentiel ceux du droit public. […] À partir de la fin des années 80, le navire reçoit dans ses voiles des vents différents. Pour s’en tenir à l’essentiel, relevons le vent de l’incertitude, auquel se combine le souffle de la délibération qui déborde de plus en plus le Parlement des hommes, le recours à des instruments économiques et financiers, l’émergence des “droits à” et l’essor de la responsabilité sociale des entreprises. Ces nouveaux alizés se sont peu à peu renforcés, tandis que s’imposait l’idée selon laquelle l’intérêt général n’était plus seulement entre les mains de l’État »809.

C’est donc à partir des années 1990 qu’apparaissent les prémisses d’un droit économique de l’environnement, en plus des règles de police qui n’ont pas perdu leur utilité. Les préoccupations environnementales s’intègrent dans l’ensemble du système juridique810, y compris dans l’ordre concurrentiel811. Finalement, par des mécanismes proprement juridiques, le droit économique est « apte à rechercher une combinaison (idéalement harmonieuse) de

807 Centre de recherche en droit économique, « Introduction au droit économique de l’environnement », in Pour

un droit économique de l’environnement. Mélanges en l’honneur de Gilles J. Martin, Éditions Frison-Roche, 2013,

p. 15-37, spéc. p. 18.

808 Voy. supra n° 12.

809 G. Martin, « Rapport de synthèse », in Droit public et droit privé de l’environnement : unité dans la diversité ?, sous la dir. de M. Mekki et É. Naim-Gesbert, L.G.D.J., coll. « Grands colloques », 2016, p. 235, spéc. p. 225-226.

810 G. Martin et J. Malet-Vigneau, « L’intégration substantielle de l’environnement », in Pluralisme juridique et

effectivité du droit économique, sous la dir. de L. Boy, J.-B. Racine, J.-J. Sueur, Larcier, 2011, p. 245 et s. ; J.

Malet-Vigneau, L’intégration du droit de l’environnement dans le droit de la concurrence, op. cit.

811 G. Martin, « L’ordre concurrentiel et le droit de l’environnement », in L’ordre concurrentiel. Mélanges en

l’environnement et de l’économie »812. Dès lors, il peut s’avérer un outil efficace de conciliation de la protection du climat avec l’exercice des libertés économiques.

2. Le droit économique de l’environnement : un outil de conciliation

192. Il est certain que la recherche de la préservation de l’environnement et du climat

doit se faire au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la nation et, plus généralement, de l’humanité. Mais comment concilier la protection de l’environnement et du climat avec le développement économique et social ? Comment assurer et promouvoir un développement durable ?

Alors pourtant que ces questions font l’objet d’études depuis plusieurs décennies, les réponses qu’on leur donne demeurent encore partielles. Les cris d’alarme se transforment souvent en échos lointains, tandis que les esprits se calment, du moins jusqu’au prochain avertissement scientifique sur le destin assurément fatal de notre planète. Alors toutes les branches du droit sont de nouveau mobilisées et des juristes de tous horizons croisent leurs regards respectifs sur les solutions à donner. C’est ainsi qu’est né le droit économique de l’environnement, en tant que droit de rupture, proposant de nouvelles méthodes et grilles de lecture. Ce droit est donc le fruit de la rencontre inattendue, qui était aussi une rencontre « mouvementée, tumultueuse »813, entre le droit économique et le droit de l’environnement. C’est par définition lui qui va permettre de dégager des solutions équilibrées à ces problématiques de conciliation. Comme le soulignent des auteurs, « l’exercice d’équilibriste s’impose en effet à tous ceux qui veulent s’intéresser au droit économique de l’environnement »814. Et pour cause, car le dialogue entre les deux matières se produit à double sens. Elles s’alimentent l’une l’autre avant de fusionner. L’utilisation accrue d’instruments économiques dans la mise en œuvre des politiques de protection de l’environnement815 fait que le droit de l’environnement « s’économise »816. Sa « physionomie » change peu à peu817. En retour, toutefois, la protection de l’environnement pénètre dans l’ensemble du système juridique

812 Centre de recherche en droit économique, « Introduction au droit économique de l’environnement », op. cit., spéc. p. 17.

813 Ibid., p. 15.

814 Ibid.

815 G. Martin, « Le recours aux instruments économiques dans la mise en œuvre des politiques de protection de l’environnement », in Les politiques communautaires de protection des consommateurs et de l’environnement :

convergences et divergences, Story Scientia, coll. « Droit et consommation », 1995, p. 169 et s.

816 Centre de recherche en droit économique, « Introduction au droit économique de l’environnement », op. cit., spéc. p. 17.

817 G. Martin, « Le droit économique de l’environnement, une nouvelle frontière pour la doctrine et l’enseignement du droit de l’environnement ? », op. cit., spéc. p. 76.

et dans le droit du marché en particulier. Le droit économique « s’écologise »818, révélant ainsi « le paradoxe de notre économie [où] les signaux du marché s’appuient aussi sur des valeurs nouvelles non immédiatement marchandes, telles que l’environnement »819.

193. La matière climatique est un terrain d’exploration parfait et une merveilleuse illustration d’une problématique relevant du droit économique de l’environnement. Le régime juridique de protection du climat est « à cheval » entre les

branches du droit public et privé, transcende la question des ordres juridiques et exige, pour sa mise en œuvre, la mobilisation de tous les acteurs dans toute leur diversité. Une variété d’outils juridiques et économiques est mobilisée pour garantir la protection du climat, tout en proposant des solutions en adéquation avec la réalité économique de notre monde. Le contrat fait ainsi son apparition dans un domaine de prédilection de l’action de l’État et de la communauté internationale, venant bouleverser aussi bien le droit de l’environnement que le droit des contrats. De nouveaux marchés apparaissent, tel que le marché des quotas d’émission de gaz à effet de serre820, ce qui pose en filigrane la question – chère au droit économique – de la régulation de ces marchés. Globalement, la problématique climatique illustre également la mutation des sources du droit que révèlent les analyses de droit économique. Le système juridique évolue vers un retrait de l’État national et vers de nouvelles normativités. Dans le contexte de la mondialisation, les rapports de force sont modifiés, ce dont les négociateurs du régime climatique sont parfaitement conscients. La recherche d’équilibre entre libertés économiques et mesures de lutte contre le changement climatique devient donc un défi constant que l’on cherche à relever en admettant l’utilisation d’une palette d’instruments extrêmement divers. Finalement, l’analyse de ces différents phénomènes dans une approche de droit économique de l’environnement, c’est-à-dire détachée de toute représentation rigide et formelle, nous permet de constater que, petit à petit, le droit se transforme, le changement climatique devenant alors un « opérateur d’un changement du droit »821.

De surcroît, les transformations juridiques induites par le changement climatique se manifestent par de nouvelles participations à la gouvernance climatique. Les opérateurs économiques font partie des nouveaux acteurs associés à l’élaboration et à la mise en œuvre du

818 Centre de recherche en droit économique, « Introduction au droit économique de l’environnement », op. cit., spéc. p. 17.

819 G. Martin et J. Malet-Vigneau, « L’intégration substantielle de l’environnement », op. cit.

820 Voy. supra n° 122 et s.

821 A. Michelot, « Propos conclusifs », in Quel(s) droits pour le changement climatique ?, sous la dir. de M. Torre-Schaub, Ch. Cournil, S. Lavorel et M. Moliner-Dubost, Mare & Martin, 2018, p. 361-366, spéc. p. 361.

régime climatique. C’est logique, dans la mesure où ils sont les principaux intéressés par les éventuelles restrictions apportées à l’exercice de leurs libertés économiques par le régime du climat. Mais c’est aussi dangereux du fait de leur poids dans les négociations.

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