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L’émergence de la question climatique sur la scène internationale

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

Section 1. La lutte contre le changement climatique dans l’ordre juridique international

A. L’émergence de la question climatique sur la scène internationale

48. La lutte contre le changement climatique est présentée souvent comme le plus

grand défi environnemental de notre époque, et pour cause, puisque cette lutte permet de conserver une composante globale de l’environnement de notre planète : le climat (1).

201 J.-J. Guillet, Rapport d’information n° 1669, sur « L’environnement, nouveau champ d’action de la diplomatie française », AN, Commission des affaires étrangères, 13 mai 2009, p. 5.

202 Voy. sur l’humanité en tant que principe fondamental du droit international public : C. Le Bris, L’humanité

saisie par le droit international public, L.G.D.J., coll. « Bibliothèque de droit international et communautaire »,

2012. L’auteure considère l’humanité comme un concept juridique, susceptible de constituer un outil de systématisation du droit.

Cependant, la question climatique n’est pas qu’une question environnementale. En effet, si les changements climatiques ont encore parfois « tendance à être perçus comme un problème essentiellement environnemental »203, il n’en demeure pas moins que lutter contre les changements climatiques constitue également un « formidable défi économique »204 (2).

1. La question climatique en tant que question environnementale

49. Les questions environnementales sont devenues l’un des sujets les plus

marquants de l’agenda politique mondial. Leur caractère complexe et préoccupant pour l’ensemble des habitants de la planète a justifié l’apparition, dès les années 1970, de ce que l’on a pu appeler la gouvernance mondiale de l’environnement. En 1972, une conférence internationale sur le thème de l’environnement205 s’est tenue sous l’égide des Nations Unies à Stockholm, en Suède. Cette conférence constitue le point culminant de la montée en puissance de la critique écologique portant sur les interactions entre population, environnement et développement et sur la nécessaire préservation du capital naturel. Les participants à cette conférence ont adopté une déclaration contenant vingt-six principes et un vaste plan d’action pour lutter contre la pollution. De plus, les dirigeants mondiaux se sont engagés à se rencontrer tous les dix ans pour faire le point sur l’état de notre planète. Pour cette raison, la Conférence de Stockholm a reçu a posteriori la qualification de premier Sommet de la Terre. Depuis, les questions environnementales ont été placées au rang de préoccupations internationales.

À cette époque déjà, les États ont encouragé le développement des connaissances dans le domaine du climat. La possibilité d’un réchauffement climatique dû aux activités humaines avait d’ailleurs commencé à être invoquée dans les milieux scientifiques206. Constatant que l’humanité est devenue capable de se détruire elle-même, notamment par l’altération des conditions de sa survie, des inquiétudes sont apparues quant à son destin « apocalyptique »207. Le sentiment d’avoir franchi un seuil fut partagé par la plupart des États du monde. Les participants à la Conférence de Stockholm ont recommandé à l’Organisation météorologique mondiale (OMM) de mener des travaux pour « surveiller de façon suivie les tendances globales

203 M. Malloch Brown, « Une occasion à saisir », Notre planète – Le magazine du Programme des Nations Unies pour l’environnement, vol. 17, n° 2, 2006, p. 7.

204 G. de Lassus Saint-Geniès, Droit international du climat et aspect économique du défi climatique, Pedone, 2017, passim, spéc. p. 3.

205 Il s’agit de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement, aussi connue sous le nom de Conférence de Stockholm. Elle a eu lieu du 5 au 16 juin 1972.

206 Voy. supra n° 5.

207 Évoqué par Jean-Pierre Dupuy dans : Pour un catastrophisme éclairé. Quand l’impossible est certain, Seuil, coll. « Essais », 2002.

à long terme des constituants et des caractéristiques de l’atmosphère qui peuvent entraîner des changements dans les caractéristiques météorologiques, y compris des changements climatiques »208. En 1979, cette instance a organisé la première conférence mondiale sur le climat209, au cours de laquelle fut lancé un programme de recherche climatologique mondial. La problématique climatique est devenue un sujet de discussions intergouvernementales et un objet politique sur la scène internationale.

50. Puisqu’elle émerge dans un contexte très marqué par la discussion des problèmes d’environnement globaux, dans l’esprit collectif, la question climatique est avant tout une question environnementale. Nous allons voir que la plupart des instruments

juridiques destinés à protéger le climat sont qualifiés d’accords environnementaux multilatéraux210. Cette étiquette informelle apposée à ces instruments pourrait trouver sa justification dans la nature environnementale des intérêts en jeu. En effet, les exemples de perturbations environnementales dues au réchauffement climatique sont très nombreux : hausse du niveau des océans, amplification des phénomènes météorologiques extrêmes (tempêtes, ouragans, cyclones, inondations, canicules, sécheresses), perte de biodiversité. Généralement, ces exemples alarmants sont les outils de l’argumentation dans les discours à propos de la nécessité de lutter contre le réchauffement climatique. Or, il faut le dire, en tant que question environnementale, la question climatique n’arrive pas à intéresser l’ensemble des acteurs.

La reconnaissance de l’interdépendance des questions d’environnement et de développement a pu changer la donne. À cet égard, le principe 13 de la Déclaration de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement énonce qu’« afin de rationaliser la gestion des ressources et ainsi d’améliorer l’environnement, les États devraient adopter une conception intégrée et coordonnée de leur planification du développement, de façon que leur développement soit compatible avec la nécessité de protéger et d’améliorer l’environnement dans l’intérêt de leur population »211. Plus encore, le principe 4 de la Déclaration de Rio énonce que « pour parvenir à un développement durable, la protection de l’environnement doit faire

208 Plan d’action pour l’environnement, Conférence des Nations Unies sur l’environnement, 16 juin 1972, texte reproduit dans : Rapport de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement, Stockholm, 5-16 juin 1972, A/CONF.48/Rev.1, 1973, p. 24, recommandation n° 79 a).

209 Du 12 au 23 février 1979, à Genève (Suisse).

210 Voy. infra n° 56.

211 Déclaration de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement, Conférence des Nations Unies sur l’environnement, 16 juin 1972, texte reproduit dans : Rapport de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement, Stockholm, 5-16 juin 1972, op. cit., p. 5.

partie intégrante du processus de développement et ne peut être considérée isolément »212. L’approche retenue pour parvenir à une meilleure protection de l’environnement est une approche intégrée, c’est-à-dire qui recherche la définition d’un équilibre entre le développement économique et la préservation du milieu naturel. Dans la même logique, nous verrons que la nécessité d’agir au cœur des activités économiques pour lutter efficacement contre le changement climatique a été bien prise en considération par les États. C’est pourquoi il ne paraît pas juste de résumer la question climatique à une simple question environnementale. Il s’agit aussi – pour certains, surtout213 – d’un défi économique.

2. La question climatique en tant que question économique

51. Les enjeux économiques de la question climatique sont loin d’être négligeables. Ils ont été à l’origine de son apparition sur la scène internationale, sans doute

davantage que les enjeux environnementaux à proprement parler. Mais en quoi la question climatique est-elle une question économique ?

52. Premièrement, le fonctionnement actuel de l’appareil productif mondial repose,

encore aujourd’hui, essentiellement sur les énergies fossiles. Les progrès technologiques de la première révolution industrielle ont conduit à généraliser l’usage de ces énergies fossiles (charbon, gaz, pétrole), alors que l’organisation et le fonctionnement de l’activité économique reposaient traditionnellement sur une exploitation des ressources végétales qui respectait « les régulations de la biosphère »214. La croissance économique des États s’est basée sur l’exploitation de ces énergies, à tel point que l’on a pu constater l’existence d’une corrélation entre croissance économique des États et croissance de leur consommation d’énergies fossiles215. Or, c’est justement la consommation de ces énergies qui modifie la composition chimique de l’atmosphère et perturbe le système climatique, en libérant des gaz à effet de serre.

Il convient, dès lors, pour lutter contre le réchauffement climatique, de porter l’action sur de nombreux domaines de l’activité humaine où les besoins en énergie ont pour contrepartie

212 Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, 14 juin 1992, texte reproduit dans : Rapport de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, Rio de Janeiro, 3-14 juin, A/CONF.151/26/Rev.1 (Vol. I), 1993, p. 3.

213 Voy. sur les aspects économiques du défi climatique : G. de Lassus Saint-Geniès, Droit international du climat

et aspect économique du défi climatique, op. cit.

214 A. Vallée, Économie et environnement, Seuil, 2002, p. 20.

215 M. Abbas, Économie politique globale des changements climatiques, PUG, coll. « L’économie en plus », 2010, p. 43.

de significatives émissions de gaz à effet de serre216. Le processus de développement économique doit être réorienté et la dépendance des activités économiques aux énergies fossiles réduite. La décarbonisation217 des modes de production est, en effet, un enjeu majeur pour lutter contre le réchauffement climatique. Elle est étroitement liée aux politiques et stratégies de transition énergétique218. Autrement dit, lutter contre le changement climatique implique la refonte du paradigme de développement et la mise en place à l’échelle mondiale d’un autre mode de développement économique. Cependant, ce programme correspond à la mise en œuvre de stratégies de plus long terme où les avantages sont souvent imperceptibles dans l’immédiat.

53. Pour cette raison, la lutte contre le changement climatique suscite parfois des

craintes auprès de certains États. Elle suppose de modifier les fondements de leurs économies, à travers l’intégration de la problématique climatique dans les politiques de développement économique. À court terme, effectivement, la mise en place d’actions dans ce domaine peut entraîner des effets néfastes sur les perspectives de développement économique. Cependant, il est acquis aujourd’hui que l’inaction n’est pas non plus la solution. À terme, le choix de l’inaction peut s’avérer plus coûteux que celui de l’action, en raison des manifestations croissantes du changement climatique. C’est donc en cela aussi que la problématique climatique est un défi économique. Mais la coordination entre la protection du climat et la protection des intérêts économiques nationaux n’est pas évidente. Cela se fait parfaitement ressentir dans la manière dont le régime juridique international du climat a été construit. Alors qu’il est censé articuler les préoccupations économiques actuelles et les préoccupations environnementales de plus long terme, il paraît, en pratique, qu’une attention prioritaire soit accordée à la préservation des intérêts économiques nationaux. Or, comme le souligne un auteur, cette préservation des intérêts économiques des États joue finalement au détriment de la protection du climat219. Pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique, il est crucial que ces préoccupations n’empêchent pas l’élaboration de politiques climatiques ambitieuses.

216 L. Fonbaustier, « L’État face au changement climatique », D., 2015, p. 2269.

217 La décarbonisation vise à redéfinir le monde de l’énergie en déployant rapidement des énergies renouvelables (notamment l’énergie solaire photovoltaïque, l’énergie éolienne, l’énergie hydraulique, la géothermie, la biomasse), afin de ne plus utiliser de combustibles fossiles, tels que le charbon, le gaz et le pétrole.

218 La transition énergétique est un concept souvent utilisé pour désigner l’abandon progressif de certaines énergies (notamment les énergies fossiles) conjointement au développement d’autres énergies (renouvelables), accompagné notamment par des actions d’efficacité énergétique. Née dans les années 1980 en Allemagne, la notion de transition énergétique s’inscrit dans un contexte de plus grande prise en compte des enjeux environnementaux et climatiques.

219 G. de Lassus Saint-Geniès, Droit international du climat et aspect économique du défi climatique, op. cit., p. 101 et s.

B. La construction du régime juridique international du climat

54. Le régime juridique220 du climat trouve son origine dans l’adoption, en 1992, d’un traité international, la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques221. Cette convention fut complétée, en 1997, par le Protocole de Kyoto222, consolidant les assises du régime du climat. Ces deux traités marquent la naissance du régime juridique international du climat (1). Depuis, l’environnement normatif ainsi créé n’a cessé d’évoluer (2). Sa reconfiguration fut achevée avec l’adoption, en 2015, de l’Accord de Paris.

1. La naissance du régime juridique international du climat

55. Les premières sources du régime climatique onusien sont la Convention-cadre

des Nations Unies sur les changements climatiques (a) et le Protocole de Kyoto (b). Malgré leurs imperfections, ces deux premiers instruments juridiques en matière de lutte contre le réchauffement climatique ont incontestablement produit des effets.

a) La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques

56. Traditionnellement, l’élaboration d’une convention internationale est

institutionnalisée dans l’enceinte d’une conférence internationale ou dans le cadre de l’organe permanent d’une organisation internationale223. La matière environnementale n’échappe pas à cette pratique, comme le démontre l’exemple de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (ci-après « CCNUCC »).

Cette convention a souvent reçu la qualification d’accord environnemental multilatéral. Par accord environnemental multilatéral, il convient d’entendre « un instrument conventionnel qui énonce les principes devant servir de fondement à la coopération entre les États parties dans un domaine déterminé, tout en leur laissant le soin de définir, par des accords séparés, les modalités et les détails de la coopération, en prévoyant, s’il y a lieu, une ou des

220 La notion de « régime juridique » correspond à un « système de règles, considéré comme un tout, soit en tant qu’il regroupe l’ensemble des règles relatives à une matière […], soit en raison de la finalité à laquelle sont ordonnées les règles », G. Cornu (dir.), et alii, Vocabulaire juridique, PUF, 8ème éd., 2007, p. 785.

221 La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) a été adoptée le 8 mai 1992 et est entrée en vigueur le 21 mars 1994. Aujourd’hui, elle recense 197 membres.

222 Signé le 11 décembre 1997 lors de la 3ème Conférence des Parties (COP3) à Kyoto, au Japon, et entré en vigueur le 16 février 2005.

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