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4. C AS DES FUITES : UNE APPROCHE NOUVELLE POUR LIER PATRIMOINE ET GESTION

4.2. Limites et insuffisances de l’existant

Il existe également des procédés sans tranchée qui peuvent s’avérer utiles lors de chantiers particuliers (centre ville, traversée de voie ferrée).

Parmi ceux-ci, on peut évoquer le forage ou le forçage. Une machine, combinant foret et jet d’eau sous pression, creuse le terrain et entraîne derrière elle le nouveau tuyau, généralement en acier ou thermoplastique. Il existe également des techniques dites destructives. L’ancienne canalisation est remplacée par une nouvelle, en PVC (polychlorure de vinyle) ou PEHD, d’un diamètre supérieur ou égal. Pour cela, on introduit dans l’ancienne conduite un marteau éclateur tracté à son extrémité. Des ailerons articulés, situés en tête du marteau, sont actionnés par un circuit hydraulique et permettent de pulvériser la conduite. On peut aussi remplacer les conduites après extraction, par l’intermédiaire d’un câble passé à l’intérieur de l’ancienne conduite jusqu’à une tête de tirage sur laquelle est ancrée la nouvelle conduite. Enfin, le microtunnelier « mange tube » permet de pousser le nouveau tuyau derrière la machine assurant le creusement. Il s’agit d’une technique représentant un coût élevé.

Ainsi, de nombreuses technologies innovantes existent dans le domaine de la recherche de fuites, du renouvellement ou de la réhabilitation des conduites. Ces opérations ne sont pas toujours effectuées à un rythme suffisant sur certains services, ce qui peut expliquer des dérives du débit de fuite. Le fait de ne pas connaître préalablement la portée positive sur le débit de fuite de ces opérations peut constituer un frein logique à leur mise en application. Il s’agit d’une des motivations du présent travail dont les objectifs sont présentés dans le paragraphe 5.

L’image que donnent ces grandeurs des pertes observées sur le réseau est fixe. Des comparaisons avec les valeurs annuelles précédentes peuvent éventuellement indiquer une tendance d’évolution, que l’on peut extrapoler, mais il est impossible de prévoir avec certitude le degré de cette évolution. La répétition des mêmes moyens engagés sur l’année écoulée n’assure pas les mêmes résultats sur l’année à venir. La prédiction nécessaire à une gestion pluriannuelle est encore moins envisageable dans le domaine restreint des fuites proprement dites avec de tels indicateurs.

De plus, dans ce cadre, la performance acceptable ou optimale est difficile à définir. Le rendement ne s’appuie sur aucune des caractéristiques du réseau et, en ce sens, certaines comparaisons entre réseaux n’ont parfois pas de signification. Ainsi, il semble inadapté de comparer deux valeurs de rendement sur deux réseaux dont la date de pose de l’un correspondrait au début du XXème siècle par exemple, celle de l’autre aux années 60. La performance technique doit dans ce cas être évaluée sous le double éclairage de l’état respectif des réseaux et de la gestion qui y est exercée. La comparaison du niveau des fuites entre deux services, pour juger des performances de l’exploitant, n’a de sens que si les caractéristiques patrimoniales et d’environnement des réseaux sont proches. La mise en place d’une valeur de référence unique est de même illusoire. Aucune règle établie ne permet de juger une valeur de rendement ; son appréciation demeure à la libre interprétation des parties prenantes, interprétation parfois contradictoire. Si sur certains réseaux un rendement de 90%

est un objectif réaliste à atteindre à faible investissement et dans des délais relativement courts, il n’en va pas de même sur tous les réseaux. Les indices de perte introduisent toutefois cette notion de patrimoine puisqu’ils se réfèrent soit au linéaire de conduites, soit au nombre de branchements. Ils ne tiennent cependant pas compte de l’âge du réseau.

Enfin, et il s’agit d’une problématique spécifique aux fuites par rapport aux casses, rendement et indices de perte n’informent pas sur la nature des moyens à mettre en œuvre pour les améliorer. La réduction du taux de casses passe par des opérations de renouvellement, voire de réhabilitation, mais traiter des fuites nécessite de choisir entre opérations de recherche de fuites et de renouvellement. Les indicateurs évoqués ici ne permettent pas cette distinction, essentielle dans une optique de maîtrise des fuites.

4.2.2. Méthodologie Lambert

Les travaux de Lambert, notamment ceux concernant les fuites incompressibles, ont été présentés au paragraphe 2.2.3.2.3. Ils constituent dans le domaine des fuites un progrès par rapport aux indicateurs classiques de rendement ou de pertes, en ce sens qu’ils isolent et expriment les fuites. La quantité évaluée est dite incompressible et s’observe systématiquement sur tous les réseaux : seule une partie des fuites est donc formulée. La différence entre les pertes observées et les fuites incompressibles ne renseigne que peu sur les fuites (diffuses et non repérées) réellement présentes sur le réseau.

La décomposition proposée (voir Tableau 4), même si elle s’appuie à la fois sur des données observées et issues d’études bibliographiques, reste très subjective comme l’a souligné Renaud (2004). En effet, les valeurs associées à chaque type de fuite (taux de défaillance, durées, débits moyens) font implicitement référence à un niveau de service, tant sur le plan de l’exploitation que de la politique patrimoniale. Ce niveau est jugé excellent par Lambert sur les réseaux étudiés. Mais ce qui est vrai sur un réseau ne l’est pas nécessairement sur un autre, tant ils peuvent différer par leur nature ou leur configuration. L’ensemble de ces données n’est pas intégré à la formulation de Lambert et il n’est ainsi pas rare d’observer des pertes réelles en décalage avec le calcul des volumes incompressibles, c’est à dire des pertes totales inférieures aux fuites supposées incompressibles.

C’est par exemple le cas pour de nombreux réseaux girondins pour lesquels le calcul a été mené par Renaud (2004). Plus précisément, il constate que la valeur des fuites incompressibles est surestimée pour des réseaux avec de faibles densités d’abonnés. Une explication peut être avancée en observant les valeurs unitaires proposées. Par exemple, Lambert et al. (1999) donnent pour les casses manifestes une fréquence de 0,124 casse.km-1.an-1, à un débit de 12 m3.h-1 et ce pendant trois jours (voir Tableau 5). Ce débit est dans certains cas de l’ordre de grandeur de la capacité de production du réseau. On comprend bien que le gestionnaire s’aperçoit nécessairement de l’existence de la casse (vidage des réservoirs, signalement des coupures d’eau) bien avant le délai de trois jours estimé. Ceci peut expliquer en partie les surestimations constatées.

Il résulte de ces observations que le modèle développé par Lambert semble assez peu adapté aux petites unités de distribution, majoritaires.

A cela s’ajoute encore le fait que la quantité incompressible est une simple constante. Par là, Lambert estime qu’une gestion appropriée à un moment donné, servant de fondement au

concept de fuites incompressibles, l’est tout autant quelle que soit la période de la vie du réseau considérée. C’est occulter le vieillissement et la dégradation des réseaux. Une réévaluation des grandeurs fournies, à 20 ans d’écart, sur les mêmes réseaux et en considérant les mêmes critères pour définir la bonne gestion, conduirait certainement Lambert à revoir les valeurs incompressibles proposées à la hausse. Le gestionnaire doit a priori intensifier ses efforts pour conserver un même niveau de performance à mesure que l’âge du réseau augmente, à moins de parvenir, par le biais du renouvellement, à le maintenir constant. Si l’objectif de l’indicateur ILI pour un réseau jeune peut raisonnablement être 1, demandant probablement peu d’aménagements et d’efforts supplémentaires à la gestion pratiquée, il n’en va pas de même pour un réseau très âgé ayant été peu ou pas du tout entretenu. Cet objectif de 1 peut être fixé à un horizon lointain, mais il nous semble plus judicieux de disposer d’une quantité incompressible qui tienne compte de l’âge du réseau et potentiellement atteignable à court terme.

Ainsi, le concept de fuites incompressibles est établi pour un niveau de gestion donné, sur des réseaux avec des infrastructures en bon état, initialement ou par le fait de la gestion. Il semble trop rigide, par l’absence de prise en compte des spécificités d’âge des réseaux, pour être applicable à tous les niveaux. Notamment, lorsque la situation initiale du réseau est très fortement dégradée, quelle que soit la gestion pratiquée il semble que la valeur de l’indicateur ILI doive nécessairement être éloignée de 1. La notion de fuites incompressibles doit être revue dans ce cas et adaptée à la réalité du réseau, de sorte que l’on puisse réellement juger de la prestation du gestionnaire. Ceci ne remet pas en cause la distinction établie entre fuites diffuses, fuites non repérées et casses manifestes. Elle constitue une voie d’étude intéressante puisque cette décomposition porte à la fois sur la nature des fuites et sur les moyens pour les faire diminuer.

Il n’existe donc pas actuellement dans le domaine des fuites un indicateur satisfaisant sur lequel fonder une gestion qui tienne compte des différentes formes de fuites.