• Aucun résultat trouvé

I.4 Les limitations du coeur numérique du code Salammbô

I.4.2 Limitations du coeur numérique de Salammbô

L’implémentation du code Salammbô a très peu évolué au cours des années à l’inverse de sa mo-délisation de plus en plus complexe et raffinée des interactions physiques. Cette dette technique induit aujourd’hui de fortes limitations aussi bien numériques que physiques, qu’on va maintenant préciser, et qui forment les verrous auxquels on s’est attaqué dans ce travail de thèse.

I.4.2.1 Rappels sur les propriétés des schémas de résolution numérique

La résolution numérique des équations aux dérivées partielles exige le respect de propriétés nu-mériques primordiales assurant la cohérence de la solution numérique vis-à-vis de la solution exacte, comme schématisé dans la figure I.27 :

— La précision, reflète le degré de fidélité de la solution numérique à la solution exacte, pour un raffinement de maillage donné . Elle est transcrite par l’erreur numérique Err = fexacte− fnum et son évolution asymptotique à travers l’ordre de convergence.

— La consistance, lie la solution discrète à la solution continue quand les pas de discrétisation spatial et temporel tendent vers 0. Le schéma DF est consistant par définition (développement de Taylor tronqué).

— La stabilité, reflète la capacité d’un schéma numérique à limiter l’amplification des erreurs numériques dans le temps.

— La convergence, assure une solution numérique qui tend vers la solution exacte de l’EDP quand le pas de temps et la taille des éléments du maillage spatial tendent vers 0.

Grâce au théorème de Lax, la convergence d’un schéma est obtenue lorsqu’il est consistant et stable [108]. Comme la convergence est asymptotique (lim∆x,∆t→0fnum = fexacte), il faut s’assurer que la solution numérique sur un maillage fini, respecte elle aussi les propriétés physiques imposées par le problème étudié (conservation de la masse, de l’énergie, fonction de distribution positive...).

Figure I.27 – Relation entre les propriétés du schéma numérique avec le problème discret et le problème continu. Figure inspirée de [109].

L’étude des schémas n’est pas limitée à la discipline d’analyse numérique. On accorde une grande importance à leur complexité d’implémentation, leur coût en temps de calcul et leur extensibilité (scalability ) au changement d’échelle de la résolution (temps de simulation, raffinement du maillage spatial...). Cet aspect d’étude est d’autant plus pertinent si le schéma numérique est intégré à un outil d’analyse statistique ou séquentielle, comme c’est le cas pour Salammbô avec l’assimilation de donnée [2].

I.4.2.2 Origine des limitations : une diffusion locale spatialement très homogène et très anisotrope

Les cartographies 2D de la figure I.28 rapportent l’évolution bidimensionelle des coefficients de diffusion Dyy,DEE et DyE sur le plan L = 6.2, représentatifs qualitativement de ce qui se passe sur d’autres plans L. Elles montrent en particulier une évolution spatiale très inhomogène et très raide. La diffusion en angle d’attaque présente souvent un plateau de forte diffusion à haute énergie, relatif aux interactions résonnantes avec les ondes. On observe aussi un fort gradient de Dyy proche de y = 1, imputé à l’effondrement du régime diffusif à l’équateur. La diffusion en énergie en revanche, est concen-trée essentiellement à haute énergie à des angles d’attaques grands. Un petit saut du coefficient DEE s’opère sur un nombre réduit de nœuds proche de E = 10−2 MeV. La diffusion croisée ne déroge pas à la règle, présentant une évolution spatiale disparate ainsi qu’un changement de signe brutal proche de l’équateur ou à faible énergie.

Cette évolution spatiale particulière des coefficients de diffusion est observée sur tous les plans L comme on le voit dans la figure I.29. Il y a un fort déséquilibre entre les valeurs moyennes et minimales de chacun des coefficients Dyyet DEE. On voit aussi que très souvent, Dyy domine DEE. Les évolutions moyennes des coefficients Dyy, DEEet DL∗L∗rappellent la balance des processus invoquée dans la partie I.2.3, avec une prédominance de la diffusion radiale à fort L favorisant l’apport de particules et la prédominance de la diffusion en angle d’attaque à faible L, favorisant les pertes.

Figure I.28 – Représentation 2D des coefficients de diffusion Dyy,DEE et DyE sur la grille fine (y, E) de Salammbô, évalués au le plan L =6.2 et à l’extérieur de la plasmasphère (coefficients de diffusion issus de l’interaction onde-particule).

Figure I.29 – Valeurs maximales, minimales et moyennes des coefficients de diffusion Dyy,DEE et DL∗L∗ en fonction de L pour un étalement de la plasmasphère maximal (à gauche) et minimal (à droite) (selon de le modèle de Carpenter [41]).

En plus de cette forte inhomogénéité spatiale, les coefficients de diffusion sont variables via Kp. Cette contrainte temporelle risque de s’accentuer dans le futur, si on envisage une mise à jour rapide des coefficients, grâce à une meilleure cartographie spatiale et temporelle des mesures ou par la para-mètrisation via un indice géomagnétique plus fin.

Compte tenu du déséquilibre entre les coefficients de diffusion Dyy,DEE et DyE, la diffusion locale est caractérisée par une très forte anisotropie. Cette dernière est mesurée par le ratio d’anisotropie, qui est le rapport entre la valeur propre maximale et la valeur propre minimale du tenseur de diffusion. Comme le montre la figure I.30, ce ratio évolue en moyenne sur 5 ordres de grandeur, à des valeurs conséquentes (105 - 1010). A titre indicatif, les ratios d’anisotropie moyens observés sur des problèmes usuels de diffusion (thermique, mécanique des fluides) se limitent à 102.

Figure I.30 – Évolution radiale du ratio d’anisotropie du tenseur de diffusion locale quand il est exprimé dans les coordonnées (y, E), pour Kp = 9.

I.4.2.3 Impacts sur le coeur numérique : Dégradation de la précision, de la stabilité et omission de processus physiques

Une gestion limitée de la forte inhomogénéité spatiale des coefficients : La discrétisation de Salammbô nécessite l’estimation numérique des termes DaDaa, analogues à des gradients de coefficients de diffusion. Or comme le montrent les courbes de la figure I.31, les gradients numériques des coefficients de diffusion peuvent évoluer sur plus de 6 ordres de grandeur d’un noeud du maillage à un autre. On introduit donc une forte erreur sur l’estimation des termes DaDaa.

Une contrainte très restrictive sur le pas de temps : Le schéma Euler explicite est conditionel-lement stable. Sa stabilité est imposée par le respect de la condition CFL (Courant–Friedrichs–Lewy) [110] qui dans un cas de diffusion 1D uniforme s’écrit :

∆t < 1 2

∆x2

D (I.27)

Dans le cas de Salammbô, la condition de stabilité est très restrictive du fait du raffinement fin de la grille E (∆Emin∼ 10−4) et des résonances des coefficients (Dmax/Dmin ∼ 106). Elle impose une forte contrainte sur le choix du pas de temps, ce qui accroît vigoureusement le temps de calcul. Actuellement, une simulation 3D d’un jour sur la grille fine, nécessite ∼ 4h de calcul avec une machine dotée de 8 Go de RAM et d’un processeur 3.5 Ghz, dans une configuration de calcul en série. La même simulation dure ≈ 10 minutes si on utilise la grille réduite.

Figure I.31 – À gauche : Évolution radiale du maximum du gradient discret des coefficients de diffusion Dyy,DEE,DyE,DL∗L∗ pour un étalement minimal de la plasmaphère (Kp = 9). À droite : Évolution radiale du maximum du gradients discret des termes du tenseur de diffusion effectif J1Dyy,J2DEE,J1DyE,J2DyE,J3DL∗L∗, pour un étalement minimal de la plasmasphère (Kp = 9).

Omission de la diffusion croisée, à l’origine d’artefacts numériques fâcheux : La diffusion croisée n’est pas prise en compte dans la version actuelle du code. En effet, quand DyE 6= 0, on observe l’apparition de valeurs non physiques de la fonction de distribution (f < 0, f > maximum requis par la physique, oscillations internes), dégradant fortement la qualité de la restitution (voir les zones blanches de figure I.32). Cette déstabilisation est souvent imputée à la forte intensité du coefficient de diffusion croisée, qui rend les termes D1,2,3,4 dans (I.26) dominants par rapport aux autres poids de discrétisation [111].

Figure I.32 – Apparition de valeurs négatives (en blanc) de la fonction de distribution à haute énergie pendant une simulation avec le coeur numérique actuel de Salammbô, quand DyE 6= 0.

Notons que le rôle de la diffusion croisée dans le modèle diffusif théorique fut sujette à diverses discussions. Jusqu’à récemment et à cause des artefacts numériques qu’elle engendre, elle a été ignorée dans la représentation physique de plusieurs codes de calcul de la communauté d’étude des ceintures de radiation [112][113] à l’image de Salammbô-Électron [82][114][115][107]. Cependant, on a commencé à voir surgir un intérêt à sa prise en compte dernièrement pour une description plus complète de la diffusion locale [116][117][118][119]. Grâce à une approche analytique basée sur la fonction de Green, on sait que la diffusion croisée a un rôle non négligeable sur la forme de la fonction de distribution et impacte sa jonction avec le bord du domaine [111]. Sur des cas de simulations réelles, elle est responsable d’une diminution plus forte de la PSD proche du cône de perte [116][120]. Un effet dynamique lui a été attribué lors les phases de rétablissement post-orage magnétique en inhibant les accélérations locales issues des ondes [120].