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Un lieu de mixité

Dans le document La reconquête du centre-ville - RERO DOC (Page 65-67)

Seconde partie Concevoir dans l’existant

7. L'espace public aujourd'hu

7.1. LE SENS DE L ' ESPACE PUBLIC

7.1.5. Un lieu de mixité

De la mixité théorique à la mixité réelle

Weber (1921) concevait l'espace public comme le lieu de la rencontre pour des individus de classes sociales, de races et d'ethnies diversifiées, le lieu même de la mixité. En effet, les espaces publics, en étant théoriquement ouverts à tous, sont des espaces potentiellement mixtes 27.

Cependant, la réalité est plus complexe ; il n'est pas rare que certains espaces publics soient appropriés par des groupes de populations particuliers, ceci à tel point que ces derniers limitent ou interdisent l'accès aux autres. Il s'agit, par conséquent, de relativiser l'utopie de libre circulation et d'aborder, de ce fait, les espaces publics non seulement en termes de projection fonctionnelle (usages prévus), mais en termes de logiques d'appropriation réelles.

Dès lors, la question suivante émerge : la mixité « théorique » est-elle réalisable et est-elle désirable ?

Les villes contemporaines sont marquées par une double tendance :

1. L’on assiste d'un côté, à davantage de fermeture, d'exclusion. Ce processus est lié au sentiment d'insécurité et à une accentuation de la distinction entre le « nous », familier et connu, et les autres, « étranges », étrangers et inconnus. Il implique une séparation des groupes et des fonctions dans la recherche d'une meilleure maîtrise, d'un contrôle et d'une sécurité. La mise en place de dispositifs permettant de contrôler ou de limiter l'accès à certains lieux reflète cette tendance.

Ainsi, face aux menaces multiples28, des réflexes de fermeture et de repli sur

la vie privée sont élaborés, émanant fréquemment des couches sociales moyennes et supérieures qui tendent, en s'auto-enfermant ou auto-ségréguant, à éviter les désagréments et la promiscuité. L'on pense avant tout aux Etats- Unis avec leurs « gatted communities », communautés encloses ou villes fermées caractérisées par des systèmes de sécurité importants et leur « nimby » (not in my back yard, c'est-à-dire partout où vous voulez, mais pas dans mon jardin), mais aussi aux grandes villes du Brésil ou du Mexique. Enfin, ces processus sont apparents au sein des centres-villes, qui se voient abandonnés par certaines catégories de population et accaparés par d'autres (gentrification). Les conséquences de ces mouvements sont la rupture du lien social, le refus de mélanges sociaux et culturels et la perte du sentiment d'appartenance collectif.

2. Parallèlement, la tendance vers davantage d'ouverture et de mixité existe aussi ; l'idée est alors celle d'une ville multiple, intégrant ses contraires. Diversité, différence, multiplicité des usages sont les mots-clés. Ces espaces mixtes, « non marqués », correspondent mieux que tout autre au système de valeur occidental, dans le sens qu'ils renvoient aux idées de non-repérage et de liberté individuelle (Rémy et Voyé, 1981), ce qui va de pair avec une dévalorisation des marquages idéologiques et sociaux.

L'ouverture totale des espaces publics n'est donc que théorique. Les qualités, la localisation, l’accessibilité, les services offerts et enfin les représentations (réputation) qui caractérisent les espaces influent, pour une large part, sur les populations en présence. Certains groupes s'affirment donc au détriment d'autres, imposant des barrières, plus ou moins tacites (codes, comportements). Ainsi, certaines conditions d'accessibilité aux espaces publics existent ; elles reposent notamment sur l'argent, l'âge, l'ethnie, le sexe. Enfin, de plus en plus de formes d'appropriation existent, notamment dans les aires de voisinage (îlots, cours, etc.), au cœur des villes ou au sein des ensembles périphériques, qui deviennent des lieux fortement marqués par la présence de certains groupes d'habitants en particulier.

Relevons que, bien que ces appropriations puissent se faire de façon pacifique, l'espace public est fréquemment la scène de jeux de pouvoir dans lesquels des groupes tentent de s'assurer la domination sur les autres. Ce sont souvent les espaces publics dont le statut est le plus mal défini et/ou qui ont été en quelque sorte détournés de leur fonction initiale (entrées d'immeubles, passages, etc.), qui deviennent les lieux dont les enjeux (d'appropriation) sont les plus importants.

L'accessibilité

La mixité des espaces publics dépend étroitement de leur accessibilité ; celle- ci renvoie à l'aptitude à accéder à l'espace et est ce qui permet les usages.

28 Si le sentiment d'insécurité a des causes objectives, il est cependant reconnu que ceux qui ressentent de la peur ne sont pas forcément ceux qui sont les plus menacés. Ainsi, le sentiment d'insécurité n'est pas directement lié à une exposition réelle à la violence.

L'accessibilité physique

Lorsque l'on aborde l'accessibilité physique aux espaces publics, il est fondamental d'introduire une dimension temporelle : en effet, les heures d'ouverture et de fermeture de certains espaces publics (parcs, centres commerciaux, cimetières) impliquent une alternance entre le jour et la nuit, entre une fréquentation importante et une désertification totale (l'espace devient alors interdit).

Par ailleurs, durant la journée, certaines séquences sont observables ; il s'agit donc de distinguer les situations de succession de populations, qui ne se côtoient en réalité jamais, des situations de réelle cohabitation. Une multitude d'espaces/temps fragmentés, plutôt que des espaces publics au sens strict du terme, existent : femmes qui font leurs courses, heures de jeux des enfants, promenades des personnes âgées, adolescents en bandes, retour du travail des adultes, etc., usagers diversifiés qui s'approprient et marquent l'espace.

L'accessibilité « indirecte »

Le critère d'accessibilité tend à impliquer que le seul moyen d'accéder à un lieu est de s'y trouver physiquement. Cependant, d'autres modes d'accès existent, mobilisant les divers sens. Voir à travers une paroi transparente ce qui se passe dans la rue ou sur la place, entendre les bruits qui s'y trouvent, sont des formes d'accessibilité aux espaces publics, même si elles sont indirectes et lointaines. Concevoir ainsi l'espace public permet d'introduire une idée de porosité, de perméabilité et de rediscuter les limites strictes entre espace privé et public.

La satisfaction retirée

Par ailleurs, même si un espace public était ouvert à tous, encore faudrait-il qu'il suscite le désir de s'y rendre, c'est-à-dire que les individus y trouvent une certaine satisfaction en le visitant. Ceci introduit l'idée d'ambiance, de puissance évocatrice des lieux et rappelle que les appropriations « réelles » ne suivent pas nécessairement les intentions projetées par les aménageurs.

Dans le document La reconquête du centre-ville - RERO DOC (Page 65-67)