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LE CENTRE VILLE : DU FONCTIONNEL AU SYMBOLIQUE

Dans le document La reconquête du centre-ville - RERO DOC (Page 42-45)

Seconde partie Concevoir dans l’existant

5.1. LE CENTRE VILLE : DU FONCTIONNEL AU SYMBOLIQUE

Dynamiques actuelles

Nous nous trouvons, de nos jours, dans une situation nouvelle : les cités historiques ne constituent plus la ville en tant que telle, mais un noyau parmi d’autres. En effet, après la Seconde Guerre Mondiale et surtout depuis vingt- cinq ans, une ceinture urbaine importante s’est développée autour du centre primaire, donnant lieu au paysage périurbain et suburbain que nous connaissons actuellement.

La dichotomie ville/campagne tend ainsi à se gommer : la ville englobe ses alentours, ce qui nous permet de parler d'agglomération, de « métapolis » (dépassement de la ville) ou de « métropole ». Ces métropoles se caractérisent par : une centralité mondiale de nature à la fois économique, politique, sociale et culturelle ; une population dépassant le million d’habitants ; une densité importante ; un réseau de transports performant ; enfin, les dynamiques constitutives des métropoles sont l'extension/dissolution d'une part, la concentration/intensification d'autre part (Bassand, 1996). Il s'agit donc d'une croissance différentielle de l'espace, espace qui devient à la fois distendu et polynucléaire.

Les agglomérations et métropoles doivent relever le défi d’une concurrence sévère, tant au niveau national qu’international, l’attraction des entreprises et du secteur touristique en constituant les principaux enjeux. Par ailleurs, l'équilibre centre-périphérie est en pleine mutation : l’exode des habitants et des entreprises vers les périphéries a lourdement affecté les centres des villes qui ont perdu leur vitalité et se sont vus affecter des charges et des services qu’ils ne peuvent que gérer difficilement. Enfin, le trafic pendulaire (entre centres et communes périphériques) a augmenté à tel point que d’importantes atteintes ont été portées à l’environnement et que les structures socio-culturelles des quartiers se sont trouvées profondément bouleversées.

L'urbain : perspective adoptée

Nous considérons que les mutations urbaines, telle l’accélération des moyens de transports, la multiplication des références et des images aboutissent certes à des transformations (physiques, sociales, etc.), mais ne signifient nullement un désinvestissement des espaces de vie. En d'autres termes, le contexte actuel n’implique pas que nous vivions dans un monde de non-lieux (Augé, 1992), mais plutôt dans un monde aux repères changeants. Les lieux restent à notre avis des lieux investis de sens, des lieux identitaires, relationnels et historiques. Nous soutenons que les citadins sont (ou peuvent être, sous certaines conditions) autre chose que des spectateurs passifs : ce sont des acteurs à part entière, tissant un ensemble de relations, s'appropriant la ville à travers une multitude d'usages et de représentations, déclinant l'urbain à divers échelons.

Ainsi, si les transformations en cours impliquent une affirmation du global, le local garde un caractère fondamental, local qu'il est essentiel de prendre en considération.

Centre et centralité : essai de définitions

Dans le contexte des villes contemporaines, parler de centre est devenu complexe ; tentons toutefois de cerner ce concept. Retenons, dans un premier temps, la définition proposée par Reynaud (1992) : le centre, c'est essentiellement « là où les choses se passent, le nœud de toutes les relations », ceci indépendamment de l'échelon considéré ; ainsi, il est possible de parler de centre de quartier, de centre-ville, de centre de pays, pour autant qu’une « concentration » d’éléments, de facteurs ou de valeurs soit présente. En outre, le centre peut varier considérablement selon les individus (ou groupes) : limites, caractéristiques, éléments de référence, se modifient en fonction des points de vue et des représentations, les analyses à partir des cartes mentales ayant largement mis en exergue ces divergences.

Le centre est à la fois un point (ou pôle) de convergence et de rayonnement, ceci en analogie à l'usage qu'il est fait du terme en physique et en mécanique (centres d'attraction et de gravitation). Ce rayonnement (ou centralité) peut être de type politique, économique, social, culturel, etc. et se mesure en termes d'aires d'influences multiples (ville, agglomération, région, nation, continent, monde).

Le centre peut ainsi être abordé à travers les notions de concentration et de

densité (populations et activités). Au niveau fonctionnel, le centre-ville regroupe

en effet un ensemble de services et de commerces (indépendants des usages quotidiens), d'équipements de loisirs et de culture. Par ailleurs, le centre représente le lieu du pouvoir, qu'il soit financier et/ou économique : s'y trouvent regroupés les directions de services étatiques, les sièges sociaux d'entreprises ou de sociétés. Au niveau symbolique, le centre permet de véhiculer la mémoire collective, mémoire qui s'incarne dans des éléments patrimoniaux particuliers : bâtiments ou espaces publics, tracé et noms de rues, etc. ; cet espace central n'est par conséquent pas figé, mais s'est façonné au cours du temps. Enfin, le centre urbain peut être considéré comme le point de jonction entre sacré et profane, le lieu de transition entre divers niveaux de réalité (Racine, 1993).

Cette importance du centre a incité certains auteurs à le considérer en tant qu’essence même de la ville, dimension constitutive de l'urbain : lieu de simultanéité, de rassemblement, de rencontre d'éléments à la fois réels (activités, individus, objets) et virtuels (concentration des mémoires et des temporalités).

Ledrut (1973) montre à quel point le centre est qualifié socialement ; « les grandes artères, les places comme les monuments sont à la fois d'ordre quantitatif (éléments d'un réseau spatial) et d'ordre qualitatif (point de concrétisation de la ville pour chacun de nous) » (Ledrut, 1973, p. 113). A travers ses analyses empiriques, Ledrut souligne l'importance des dimensions matérielles (usages du centre) et symboliques du centre ; ainsi, le centre évoque pour les citadins à la fois un lieu, une forme, un monument, mais aussi des activités et des qualités particulières.

Rémy (1981) oppose, quant à lui, le centre au quartier : alors que le premier est propriété de tous, la population non-résidente s'y sentant à l'aise, le quartier est propriété d'un groupe limité qui estime avoir le droit d'en exclure les non- résidents.

Vers des centralités multiples

Les deux modèles, celui du centre, avec ses quartiers denses et mixtes et celui de la périphérie, caractérisé par un habitat éloigné des lieux de travail et présentant des populations relativement homogènes, se sont pendant longtemps opposés. A ce modèle simple - issu des villes du Moyen-Age, avec leurs bourgs et faubourgs - s'ajoute de nos jours un modèle plus complexe qui est celui de la métropole : il se caractérise par une multitude de noyaux centraux et périphériques. Villes polycentriques dont le centre ne constitue qu'un pôle15 parmi d'autres (certaines villes se caractérisant même par une

absence de centres) ; ces pôles, plus ou moins bien reliés entre eux (système de transports et de télécommunications), tendent à devenir spécialisés et unifonctionnels : zones d'habitations, de travail, de loisirs, etc. Le pôle central de la ville doit par conséquent sans cesse se démarquer, que ce soit de façon interne (par rapport aux autres centralités plus périphériques), ou externe (par rapport aux autres villes).

Ainsi, alors que le centre de nombreuses villes tend à devenir un lieu de loisirs et d'habitat prestigieux, un lieu de consommation plutôt que de production, les nouveaux centres périphériques regroupent, quant à eux, des équipements de loisirs, de commerces et de services. Des centralités multiples émergent donc, se constituant fréquemment autour des nœuds de transport (gares, aéroports), des parcs d'activités ou des campus scientifiques ; ces pôles, qui offrent des services aux individus et aux entreprises, combinent recherche, gestion, stockage, conditionnement et expédition, ainsi que tous les services nécessaires aux personnes présentes. De nos jours, les territoires de la centralité sont donc largement redistribués (Ascher, 1997).

Ainsi, le centre-ville n'est plus forcément l'élément organisateur de l'espace urbain ; les nouveaux lieux périphériques prennent une importance considérable, que ce soit du point de vue fonctionnel, social ou symbolique. Ces périphéries apparaissent comme fortement différenciées en termes morphologiques, de types de populations, de modes de vie, etc. Parallèlement, les fragmentations se font multiples : fragmentation entre un centre et une périphérie accaparés par des groupes de population spécifiques, fragmentation au sein d'un même centre ou entre divers centres. Ces processus de fragmentation ont des conséquences multiples, la perte de la mixité et l'embourgeoisement des centres (gentrification) étant les phénomènes les plus frappants.

Cette complexité implique donc une rediscussion du binôme centre- périphérie, le modèle d'une ville diffuse et étalée pouvant parfois coïncider avec celui d'une ville dense et construite sur elle-même, que ce soit au sein d'une

15 L'Ecole de Chicago avait, à travers ses modèles (ville en zones concentriques, en secteurs et en noyaux multiples) souligné cette évolution.

même ville (Paris), ou dans des villes différentes (Los Angeles : étalée ; Amsterdam : dense). Enfin, si des formes de compétition persistent entre le centre et la périphérie, elles ne sont plus uniquement fondées sur des valeurs marchandes (concurrence par le prix, performances, etc.) : d'autres valeurs s'ajoutent, relatives à l'histoire, la culture, l'urbanité.

Parallèlement, les modes d'appropriation se modifient : les multi- appartenances, multi-identités (au quartier, au groupe social, etc.) sont fréquentes, favorisées par l'accroissement de la mobilité et une capacité accrue à choisir ; l'on assiste ainsi à une recomposition des identités territoriales (en fonction du travail, de l'habitat, des loisirs, etc.) et à une multiplication de liens sociaux, parfois éphémères et fragiles.

Dans le document La reconquête du centre-ville - RERO DOC (Page 42-45)