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LES VILLES A LA RECHERCHE DE LEUR URBANITE

Dans le document La reconquête du centre-ville - RERO DOC (Page 45-49)

Seconde partie Concevoir dans l’existant

5.2. LES VILLES A LA RECHERCHE DE LEUR URBANITE

L'antagonisme centre-périphérie que nous venons d'évoquer suscite une réflexion sur la culture urbaine contemporaine ; qu'est-ce qui la caractérise ? Quels sont les contraintes et critères que les citadins doivent intégrer afin de faire émerger une culture urbaine « nouvelle » ? Comment cette urbanité peut- elle permettre de concilier tradition et modernité, niveau local et global ?

Définitions

L'urbanité faisait référence, au Moyen-Age, au gouvernement de la ville ; elle prit par la suite le sens de « caractère urbain » ; dès l’époque moderne, l'urbanité servit à définir les qualités de l'homme de la ville, c'est-à-dire la politesse, l'agrément, l'obligeance, la serviabilité et la civilité.

De nos jours, l'urbanité permet de souligner à la fois un cadre social et un cadre physique : l'urbanité renvoie donc d'une part aux relations et manières d'être, à un état d'esprit, des modes de vie, des codes de conduite et des conventions particulières ; d'autre part, l'urbanité évoque un cadre spatial. Enfin, ces deux dimensions peuvent être reliées, car la façon dont les éléments physiques sont agencés peut, dans une certaine mesure, contribuer au bien-être et à la qualité de vie des citadins.

Ainsi, l'urbanité est ce qui lie les hommes à la ville, ceci à travers une culture particulière. Cette idée de culture permet de souligner la dimension temporelle : l'urbanité s'est constituée au cours du temps, véhiculée par la mémoire collective et inscrite dans des formes matérielles, dans un patrimoine particulier ; l'urbanité est, par conséquent, le résultat d'un processus historique.

L'urbanité peut être définie à travers trois caractéristiques :

1. L’individualité s’affirme avec toujours plus de force ; les liens traditionnels et la nature de la vie familiale se modifient, alors que de nouveaux réseaux ou liens sociaux se mettent en place, l'individu ne pouvant « fonctionner » que s'il est inséré dans ces réseaux multiples.

2. Le multiculturalisme, lié à l’immigration, est considéré à la fois comme une chance et comme un risque.

3. La « glocalité » : les acteurs sont capables de penser et d'agir à la fois

localement et globalement. Les territoires (d'appartenance et d'intervention) sont

multiples et complexes (Bassand, 1997).

L'urbanité selon l'Ecole de Chicago16

Simmel (1903) souligne, dans son article « Métropoles et mentalités », les caractéristiques de l'urbanité : réserve, indifférence, esprit calculateur, « aversion, une mutuelle étrangeté et une répulsion partagée » qu'il oppose « à la sensibilité et aux rapports affectifs » de la petite ville ou du village. Parallèlement, la grande ville offre une certaine liberté, par contraste avec « les mesquineries et préjugés qui enserrent l'habitant de la petite ville ».

De ces écrits, d'autres auteurs comme Park, Burgess, McKenzie (1925), mais surtout Wirth (1938), dans son célèbre article « Le phénomène urbain comme mode de vie » tente de cerner ce fameux « comportement urbain ». Le citadin y est défini comme un individu sachant jouer divers rôles et mener diverses stratégies ; il est particulièrement mobile, à la fois spatialement et mentalement et est, par conséquent, capable d'adaptations multiples. Wirth propose que ces adaptations, résultant à la fois du nombre, de la densité et de l'hétérogénéité des individus, constituent des contraintes qui permettent un style de vie particulier, l'urbanité.

Selon Wirth, ce mode de vie urbain est caractérisé par des liens de solidarité segmentaires, épisodiques et superficiels, tendant vers l'anonymat (ceci en opposition aux liens interpersonnels développés dans les structures villageoises). La réserve dans l'échange et la préservation de l'intimité deviennent les conditions de l'interaction, le risque d'anomie étant cependant présent.

Simmel (1908) montre, quant à lui, que cette « culture de la ville » permet l'expérience de la différence (de classe, d'âge, de race, de goûts) ; dans son article « Les disgressions sur l'étranger », la ville est davantage conçue comme un lieu de concentration des différences qu'un lieu autorisant les différences. Simmel en relevant l'opposition entre le désir d'être anonyme, étranger, libre et celui d'être intégré, connu, lié aux autres souligne indirectement le lien entre le concept d'identité et celui de solidarité, et en d'autres termes, les rapports entre individus et communauté.

Si des auteurs comme ceux de l'Ecole de Chicago se sont ainsi penchés sur la question de l'urbanité, mettant en évidence les relations existantes entre espaces, groupes sociaux et modes de vie, il est évident que dans le contexte de métropolisation actuel, il devient de plus en plus difficile de trouver des correspondances entre des groupes de population homogènes et des modes de vie particuliers.

Urbanité et lien social

16 L'Ecole de Chicago regroupe des chercheurs, enseignants et étudiants de l'Université de Chicago et plus spécifiquement du département de sociologie (créé en 1892) ; ces chercheurs choisissent la ville de Chicago comme terrain pour leurs investigations, pendant la période de 1915-1949. Ils s'appuient sur les fondements de l'écologie et transposent aux modèles sociaux humains les connaissances acquises sur les espèces animales.

Claval fonde son ouvrage « La logique des villes » (1982) sur le postulat suivant : « Au lieu de partir d'une définition formelle de la cité (…), nous sommes partis de l'idée que la ville est une organisation destinée à maximiser l'interaction sociale » (Claval, 1982, p. 4) et place ainsi les relations sociales au cœur du débat urbain actuel. La ville constitue donc, à ses yeux, le lieu par excellence où les individus peuvent se rassembler pour se rencontrer, communiquer et partager ce qui a de la valeur, c'est-à-dire des biens matériels et immatériels.

La notion d'urbanité relève du comportement envers autrui, et « est une qualité des individus et des sociétés, elle ne peut être rapportée à des agents physiques » (Choay, Merlin, 1988). Dans ce sens, l'urbanité est constituée par les modes de gestion de la relation avec autrui, des formes de respect, des codes d'interaction permettant de faire face à l'imprévu. Ces procédés, ces formes et ces codes sont destinés à maîtriser les tensions qui pourraient naître de l'hétérogénéité des relations qui mettent en jeu une diversité de rôles et une multiplicité de groupes sociaux (Bourdin, 1987).

Ainsi, l'urbanité peut être comprise comme la manière dont les acteurs de la vie urbaine entretiennent des relations avec les autres groupes se partageant un même territoire.

En extension, l’urbanité renvoie à la constitution du lien social (Blanc, 1992), au « vivre ensemble » en milieu urbain ; elle implique par conséquent un certain nombre de questions : comment, par exemple, le lien social s'inscrit-il dans l'espace urbain ?

Soulignons que les formes actuelles du lien social ne sont plus forcément les mêmes que celles d'autrefois ; ainsi, la proximité (quartiers, immeubles) n'est plus le facteur déterminant, le lien social pouvant se tisser à diverses échelles et/ou se construire à la manière d'un réseau.

Enfin, de nombreux auteurs (dont les « pères fondateurs de la sociologie », Marx, Durkheim, Simmel) ont souligné l'importance du conflit et de l'opposition, en démontrant qu'ils impliquent des liens ou interactions et sont, par conséquent, des modes de relation non négligeables ; on ne peut les assimiler au rejet ou à l'indifférence, véritables ancrages à l'exclusion et à la fragmentation.

Le lien social se fonde ainsi sur l'acceptation de règles et de normes communes et prend appui sur un territoire donné.

Urbanité et cadre de vie

La notion d'urbanité permet aussi d'évoquer l'art du savoir-faire la ville dans sa

dimension architecturale et urbanistique ; ce sont les qualités des aménagements

urbains (éclairage, mobilier urbain, trames de verdure) et leur gestion qui sont, en ce sens, soulignés. Les formes urbaines contribuent-elles à générer du lien social ? Si oui, quels sont les éléments facilitant l'appropriation des lieux par les usagers et générant des ambiances particulières ? Quel est l'impact d'une transformation (destruction, réhabilitation) sur la constitution du lien social ?

De nombreuses recherches, guidées notamment par des préoccupations écologistes ou liées à la qualité de vie urbaine, ont tenté de cerner ces relations entre cadres physiques et pratiques des usagers. Ces relations, si elles ne sont guère « directes » ni évidentes, permettent néanmoins de s'interroger sur les conditions du bien-être urbain : comment, par exemple, peut-on associer à la conception technique (gestion des voiries) une conception sociologique (pratiques et représentations des usagers) ?

Mesurer l'urbanité : densité et diversité

Beaucoup plus tard, Lévy (1994), en s'appuyant sur Wirth, définit l'urbanité comme « le couple densité17 + diversité18 », c'est-à-dire le maximum de « choses

sociales » différentes présentes dans un minimum d'espace. En comparant Amsterdam à Johannesburg, il montre que seule la présence simultanée de ces deux facteurs peut générer des liens sociaux distants, mais tolérants. Lévy s'interroge aussi sur les conditions urbaines qui favorisent les « frottements » entre diverses catégories de population.

Ainsi, en suivant ces auteurs, nous postulons que la densité et la diversité constituent des facteurs essentiels permettant de générer de l'urbanité.

Les représentations de l'urbanité

Mais l'urbanité peut aussi se définir à travers les représentations que l'on s'en fait. Dans ce sens, Lévy nomme « habitus d’urbanité », l’évaluation que les individus se font de l’urbain et de la cohabitation urbaine.

Ainsi, plutôt que de se demander s'il faut densifier ou mélanger l'espace, il est important de s'interroger sur les manières dont les individus ressentent cette densité et diversité. Car en effet, un espace peut être vécu comme trop restreint et le sentiment de devoir subir des interactions non recherchées entraîner des sensations de stress ; au contraire, la foule peut être ressentie comme « euphorisante » ; enfin le peu de présence humaine peut devenir désécurisant.

L'urbanité peut donc être évaluée par le biais des opinions concernant la diversité et la densité, soit les deux éléments qui fondent le type d’urbanité relative d’une agglomération (Lévy, 1994).

Ainsi, l’urbanité en renvoyant à la fois à un style de vie, à un cadre spatial et à une gestion de la ville est une notion fondamentale à notre analyse. Elle permet de montrer que de nouvelles façons de « vivre ensemble », de créer la ville et de l’aménager sont en train d’émerger, prenant largement appui sur l’espace public et les vecteurs de la mémoire que sont les éléments patrimoniaux.

17 La densité peut être appréhendée par le bâti et le peuplement et renvoie à la relation entre la masse d’objets sociaux et l’échelle de l’aire où ils sont localisés (Lévy, 1994, p. 62).

18 La diversité correspond à la variété de ces objets sociaux, individus, groupes, institutions, organisations, activités, fonctions (Lévy, 1994, p. 62).

6. L'équilibre entre pleins et vides au cours du temps

Dans le document La reconquête du centre-ville - RERO DOC (Page 45-49)