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Liens entre scores de MdT et mesures de complexité syntaxique

4. Discussion

4.2 Liens entre scores de MdT et mesures de complexité syntaxique

Mise en évidence d’un lien entre les performances de MdT et de syntaxe

Nous constatons que les scores composites d’empans simples et d’empans complexes corrèlent avec toutes les mesures de syntaxe. Par ailleurs, chacune des épreuves de MdT prise isolément corrèle avec au moins deux mesures de complexité syntaxique. De plus, les analyses de corrélations partielles, contrôlant l’effet du niveau de raisonnement non-verbal, nous ont permis de constater que ces corrélations persistent alors même que cette variable n’intervient pas. Ces résultats rejoignent ceux d’Adams et Gathercole (1995, 2000) qui observent une corrélation entre les empans simples et le développement du langage, ainsi que ceux de Danahy et al. (2007) qui retrouvent une corrélation significative entre le score au counting span, évaluant les empans complexes, et les performances langagières. Ces résultats sont en faveur d’un lien entre les compétences en syntaxe et les compétences en MdT (empans simples et empans complexes). Jakubowicz postule que ce lien s’explique par les ressources limitées en MdT qui contraignent le calcul syntaxique nécessaire au traitement des phrases complexes. Selon cet auteur, ce sont donc les limitations en MdT qui induisent des phrases moins complexes chez les jeunes enfants. Afin d’évaluer le poids des performances en MdT sur les performances en syntaxe, nous avons procédé à des analyses de régression multiple. Les résultats révèlent que l’épreuve du counting span, ainsi que celle du running span dans une moindre mesure, apparaissent comme des variables prédictrices sur toutes les mesures de langage spontané ainsi que sur le score obtenu à l’ECOSSE. Nous notons par ailleurs que le raisonnement non-verbal n’apparaît à aucun moment en tant que variable prédictrice pour les mesures de syntaxe. Ces résultats nous permettent de constater la forte valeur prédictive des empans complexes sur les épreuves en syntaxe.

Empan de chiffres envers : éléments de réflexion

Nous remarquons que l’épreuve d’empan complexe du WISC envers n’apparaît en tant que variable prédictrice dans aucune analyse de régression. Nous pouvons alors nous questionner quant à la validité de cette épreuve en ce qui concerne l’évaluation des empans complexes.

Cette question a déjà été soulevée par St-Clair Thompson (2010), en effet l’épreuve d’empan de chiffres envers diffère d’une tâche d’empans simples par la transformation de l’ordre des chiffres à effectuer et donc par le traitement impliqué. Cependant, elle diffère également d’une tâche d’empans complexes classique car tous les items à rappeler sont présentés successivement et ce, sans activité concurrente entre chaque item. Cet auteur a alors administré des tâches d’empans simples (empan de mots, empan de chiffres endroit) et d’empans complexes (empan de lecture, empan de comptage) à une population d’enfants de sept ans et à une population de jeunes adultes. Il ressort de cette étude que chez les enfants de sept ans, l’épreuve d’empan de chiffres envers prédit les scores d’empans complexes tandis que chez les jeunes adultes cette épreuve prédit davantage les scores d’empans simples. Ainsi, dans cette tâche d’empan de chiffres envers, la transformation de l’ordre nécessiterait un traitement important chez les jeunes enfants alors que pour les adultes cette activité semblerait exiger moins de ressources. Nous constatons donc qu’une même tâche peut impliquer différents mécanismes selon le niveau cognitif des sujets. Cela remet en question la validité de cette épreuve pour notre population, il paraît difficile de s’assurer que cette tâche d’empan de chiffre envers teste les mêmes mécanismes chez tous nos participants et dès lors de pouvoir conclure sur la pertinence de cette mesure dans nos analyses statistiques. Nous aurions pu réitérer des analyses de régression multiple pour chaque groupe afin de vérifier si la variable indépendante « WISC envers » apparaissait alors comme variable prédictrice pour expliquer les mesures syntaxiques chez les plus jeunes au même titre que les autres épreuves d’empans complexes. Cependant, le nombre plus restreint d’individus par groupe d’âge aurait été à prendre en considération dans la conclusion que nous aurions pu en tirer.

Répétition de phrases complexes : éléments de réflexion

Nous avons constaté que les épreuves d’empans complexes avaient une forte valeur prédictive sur la quasi-totalité des épreuves en syntaxe. Cependant, une épreuve, la répétition de phrases complexes, est prédite par les empans simples. Nous pouvons alors nous demander si cette relation de prédiction n’est pas due au fait que cette épreuve requerrait uniquement le maintien de la phrase en MdT le temps de la répétition immédiate ce qui la rendrait dépendante des capacités des empans simples seulement. Cette observation nous questionne

quant au choix de cette épreuve dans notre protocole. Nous avons vu que les phrases complexes étaient certes plus difficiles à rappeler que les phrases simples (cf. section 2.2.3.3 pour une description de l’épreuve) ; cependant, pouvons-nous en conclure que cette épreuve évalue réellement la complexité syntaxique ? Afin de contrôler au maximum cet effet, nous avons choisi comme mesure le « respect de la structure et de l’enchâssement » qui prend en compte uniquement les phrases complexes (cf. section 2.2.3.3 pour une description de la mesure) ; les phrases simples nous ont permis de contrôler l’effet de longueur mais seules les phrases complexes interviennent dans notre mesure. Cependant, nous pouvons critiquer notre mesure qui manque de finesse en ne prenant pas en compte la variation de complexité existant entre nos phrases complexes au niveau de leur structure (pseudo- relative < relative sujet <

relative objet < relative objet avec inversion) et au niveau de leur degré d’enchâssement (0 < 1

< 2 < 3). En effet, nous avons regroupé toutes les phrases complexes ce qui ne nous permet pas de situer les erreurs de nos participants et de les attribuer à un effet de complexité au niveau de la structure ou au niveau du degré d’enchâssement. Nous pouvons supposer qu’une comparaison entre chaque type de phrase aurait pu mettre en évidence un effet de complexité plus marqué.

Par ailleurs, il est difficile de savoir à quel niveau exactement se situe la complexité de cette épreuve, et notamment de savoir si elle met en jeu des capacités de compréhension syntaxique, car nous pouvons supposer que l’enfant peut tout à fait répéter la phrase sans l’avoir entièrement comprise. En effet, nous avons observé, et plus particulièrement dans les productions des plus jeunes enfants, des phrases correspondant à la cible au niveau de la structure et du degré d’enchâssement mais ayant un sens différent comme en (37).

(37) Phrase cible Rel 1 suj : La maîtresse voit le garçon [qui lit un livre sur Noël].

Production de l’enfant : Le garçon regarde un homme [qui lit un livre sur la table de Noël].

Willis et Gathercole (2001) observent chez des enfants de quatre et cinq ans que les empans simples sont liés à la répétition de phrases, mais pas à la compréhension de phrases ; ces deux épreuves n’impliquent donc pas les mêmes mécanismes. En effet, les empans simples sont caractérisés par un simple maintien de l’information tandis que les empans complexes sont caractérisés par le maintien et le traitement de l’information. Dans notre étude, la variance à l’épreuve de répétition de phrases est également expliquée par les empans simples à hauteur de 49%. Notre épreuve de compréhension de phrases complexes est quant à elle prédite par les empans complexes à hauteur de 54%. Ceci suggère que la compréhension de phrases

complexes implique clairement un traitement tandis que la répétition de phrases nécessiterait davantage le maintien de l’information dans le stock phonologique puis la répétition subvocale mais ne nécessiterait pas pour autant de traitement important. Ceci conduit à penser que lors de la répétition de phrases, même complexes, l’accès au sens n’est pas forcément requis. Nous pouvons alors nous demander pourquoi les phrases simples sont plus faciles à répéter ? En nous référant à l’hypothèse de complexité computationnelle de Jakubowicz (2007), nous pouvons imaginer que les phrases simples nécessitent un calcul syntaxique peu coûteux et sont donc faciles à comprendre, elles seraient ainsi traitées au niveau du sens avant d’être répétées. La compréhension des phrases complexes impliquerait, quant à elle, un calcul syntaxique trop important par rapport aux ressources en MdT, ces phrases ne pourraient pas être à la fois stockées et traitées, elles seraient donc uniquement maintenues dans le stock phonologique le temps de la répétition. Ceci pourrait expliquer un taux d’erreur plus important sur les phrases complexes que sur les phrases simples. De plus, nous avons vu que les comparaisons inter-groupes montrent une différence significative des performances en répétition de phrases complexes entre chaque groupe d’âge (cf. section 3.2.2), les enfants les plus âgés et les adultes ont de meilleures performances à cette épreuve ; la maturation des empans complexes expliquerait ainsi une meilleure réussite à cette épreuve pour le groupe des 11-12 ans et pour le groupe des adultes par rapport aux deux autres groupes.

D’autre part, le facteur « compréhension » aurait peut-être pu être contrôlé comme en (38) en posant une question fermée à l’enfant une fois la phrase répétée de manière à vérifier s’il avait compris et donc traité au niveau syntaxique la phrase entendue.

(38) Elle dit [que Pierre regarde la fille [que punit la maîtresse]].

Est-ce que la maîtresse punit la fille ?

Par ailleurs, si nous avions précisé à l’enfant l’importance qu’il comprenne la phrase, nous aurions peut-être observé des performances moins bonnes en répétition en faveur de la compréhension et par la même occasion une contribution plus importante des empans complexes.

ECOSSE : éléments de réflexion

En ce qui concerne les modalités de passation de l’ECOSSE, nous avions supposé que les capacités des empans simples pouvaient intervenir dans cette épreuve dans la mesure où les images sont présentées à l’enfant seulement après qu’il ait entendu la phrase. A partir de cette observation, nous pouvons nous demander si les relations observées entre l’ECOSSE et la MdT sont dues au seul maintien des phrases le temps de la présentation des images ou

également au traitement des phrases complexes. Il est en effet difficile de distinguer la part de ressources utilisées pour maintenir la phrase active en MdT avant la présentation des quatre images de celle nécessaire au traitement syntaxique. Nous aurions peut-être pu contrôler ce phénomène en présentant la phrase et les images simultanément au risque de créer alors une possible interférence immédiate entre le traitement de l’input visuel et de l’input verbal.

Cependant, nous observons une forte valeur prédictive des empans complexes à l’ECOSSE au détriment des empans simples. Les capacités de stockage verbal et de traitement sont mises en jeu, mais cette relation indique que la compréhension de phrases complexes requiert avant tout les ressources des empans complexes. Ces résultats rejoignent ainsi les observations de Montgomery et al. (2008) qui constatent que les empans complexes interviennent dans la compréhension de phrases complexes.

Relation de prédiction inverse : éléments de réflexion

Nous avons démontré que les scores en MdT, et plus particulièrement les empans complexes, avaient une valeur prédictive nette sur les mesures de syntaxe. Cependant, nous restons très prudents quant au sens du lien prédictif entre les mesures de MdT et de syntaxe. En effet, certaines études montrent une relation de prédiction inverse entres ces deux composantes.

Majerus (2008) met ainsi en évidence l’influence des connaissances langagières sur les performances des empans simples à des stades relativement précoces du développement cognitif par un effet de lexicalité sur des tâches de rappels de mots chez des enfants de 4 ans.

Selon cet auteur, les connaissances langagières influencent les empans simples « de façon directe, automatique, obligatoire et invariante d’un point de vue de la trajectoire développementale ». Zebib (2009) démontre également le rôle primordial de la lecture sur le développement de la MdT chez des jeunes enfants de cinq à huit ans. Baddeley (2003) propose quant à lui une notion de réciprocité entre le développement du langage et la MdT. Il suggère que chez les jeunes enfants, des tâches d’empans simples tels que la répétition de pseudo-mots pourraient prédire le développement du vocabulaire, puis en grandissant, le niveau de vocabulaire influencerait à son tour les performances en répétition de pseudo-mots.

Une co-construction de la MdT et de la syntaxe pourrait également être possible. En conséquence, nous avons répliqué les analyses de régression dans le sens inverse afin de savoir si la prédiction inverse était également vraie. Les résultats montrent que certaines mesures de complexité syntaxique (répétition de phrases complexes, LME, ECOSSE) apparaissent comme variables prédictrices pour expliquer l’ensemble des scores en MdT.

Cependant, nous notons que le raisonnement non-verbal intervient également dans ces

analyses de régression comme première ou seconde variable prédictrice qui explique la variance des scores en MdT, et ce pour la quasi-totalité des épreuves. Ainsi, les épreuves d’empans simples sont donc prédites par le niveau de raisonnement non-verbal et la répétition de phrases complexes. En ce qui concerne les épreuves d’empans complexes, leur variance est principalement expliquée par le niveau de raisonnement non-verbal associé à la mesure de LME et au score à l’ECOSSE. Ceci soutient également l’implication de mécanismes différents lors des épreuves d’empans simples et d’empans complexes qui sont en effet prédites par des mesures différentes. Ces résultats révèlent l’existence de la relation de prédiction inverse : les mesures de syntaxe associées à celles du raisonnement non-verbal prédisent les scores en MdT. Il parait important dès lors d’inclure les mesures du niveau de raisonnement non-verbal qui semblent avoir autant de poids que les mesures de syntaxe pour expliquer les scores en MdT. D’autre part, Engel de Abreu, Conway et Gathercole (2010) trouvent des liens entre les mesures du raisonnement non-verbal et la MdT chez des enfants suivis de la dernière année d’école enfantine à la deuxième année de primaire. Ces auteurs constatent que les tâches d’empans complexes (counting span, empan de chiffre envers) prédisent le raisonnement non-verbal (matrices de Raven) alors que les tâches d’empans simples seules (répétition de pseudo-mots et empan de chiffres endroit) ne le prédisent pas.

Ces découvertes suggèrent que les tâches d’empans complexes partagent des compétences cognitives certaines avec les mesures de raisonnement non-verbal telles que les mécanismes de contrôle attentionnel permettant de relever les informations pertinentes en cas d’interférence. Ces données permettent d’expliquer la présence du niveau de raisonnement non-verbal comme variable prédictrice des scores en MdT. Nous pourrions également nous attendre à observer la présence de la variable « niveau de raisonnement non-verbal » pour expliquer les mesures de syntaxe au même titre que les empans complexes. Cependant, rappelons-nous que la valeur prédictive des empans complexes sur les compétences syntaxiques n’implique pas le niveau de raisonnement non-verbal. Nous pouvons présumer que le développement de la syntaxe est plus fortement dépendant des capacités de MdT uniquement. Au regard de ces observations, nous pouvons conclure que le développement des compétences en MdT, et plus précisément celles des empans complexes, permet le développement du traitement syntaxique complexe confirmant ainsi l’hypothèse de Jakubowicz. Puis, une fois un certain niveau de développement atteint, les performances en complexité syntaxique, associées au niveau de raisonnement non-verbal (lui-même lié aux mesures de MdT), influenceraient à leur tour les capacités de MdT, la relation deviendrait ainsi plus réciproque.