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Lien entre MdT et syntaxe dans le développement du langage oral chez l’enfant

1. Partie théorique

1.3 Lien entre MdT et syntaxe dans le développement du langage oral chez l’enfant

Beaucoup d’études établissent un lien entre le développement du lexique et celui de la MdT chez les enfants tout-venant (Gathercole, 2006 ; Majerus et al. 2006), mais peu d’études se sont intéressées au lien précis entre la MdT et le développement de la syntaxe.

Adams et Gathercole (1995) s’intéressent au lien entre les empans simples, testés via la répétition de pseudo-mots et l’empan de chiffre, et la production de langage spontané chez des enfants anglophones de trois ans. Ils effectuent des transcriptions et une analyse des indices du développement du langage (nombre de mots différents utilisés ; longueur moyenne d’énoncés ; complexité syntaxique : phrases nominale, verbale, interrogative, négative ; complexité de la structure allant d’une combinaison de deux mots à une phrase contenant plusieurs verbes). Les enfants avec un empan simple plus élevé produisent des phrases plus longues et grammaticalement plus complexes que les enfants ayant un empan simple plus faible. Ces mêmes auteurs (2000) testent alors de la même manière des enfants de quatre ans.

La répétition de pseudo-mots corrèle avec tous les indices de développement du langage. Les enfants avec un meilleur empan simple produisent en moyenne plus de mots variés, des phrases plus longues avec un degré de construction syntaxique supérieur que les enfants dont l’empan simple est plus faible. Ces auteurs confirment donc la relation entre l’acquisition de la syntaxe et le développement des empans simples chez des enfants de quatre ans. Willis et Gathercole (2001) s’intéressent au rôle des empans simples dans la compréhension et la répétition de phrases chez des enfants anglophones de quatre à cinq ans. La tâche consiste à lire à l’enfant une phrase qu’il doit répéter immédiatement. Ensuite, quatre images lui sont présentées et il doit choisir l’image correspondant à la phrase entendue. Les phrases sont issues du TROG10 (Bishop, 1982) et sont de complexité syntaxique variable. Les auteurs administrent également aux enfants les tâches d’empans simples de répétition de pseudo-mots et d’empan de chiffres. Le groupe d’enfants ayant un meilleur empan simple est plus performant et plus précis en répétition de phrases mais la différence n’est cependant pas significative en ce qui concerne la compréhension. Gathercole et Willis postulent alors que la répétition de phrases serait contrainte par les capacités d’empans simples. Elle serait plus fortement soutenue par l’accès aux représentations phonologiques temporaires alors que la compréhension serait davantage dépendante de la capacité de l’enfant à traiter la phrase aux

10 Nous utilisons la version française du TROG (Bishop, 1982), l’ECOSSE (Lecocq, 1996), que nous décrivons dans notre méthodologie en 2.2.3.2.

niveaux syntaxique et conceptuel. Montgomery, Magimairaj et O’malley (2008) cherchent à étudier le rôle de la MdT dans la compréhension de phrases complexes chez des enfants anglophones de six à douze ans. Ils s’intéressent aux empans simples, évalués par une épreuve de répétition de pseudo-mots, ainsi qu’aux empans complexes, qu’ils évaluent avec une épreuve adaptée du listening span. Cette épreuve d’empans complexes se compose de vingt phrases dont le dernier mot est un pseudo-mot. L’enfant doit retenir ce pseudo-mot tandis qu’une question fermée concernant la phrase entendue lui est posée comme dans l’exemple (12) ci-dessous.

(12) The bird is singing at the dopedgi.

Is the bird singing?

Finalement, ces auteurs proposent une épreuve de compréhension de phrases qui se compose de phrases simples contrôles et de phrases complexes passives ou contenant un pronom. Ces structures de phrases sont familières pour les enfants dès six ans. La répétition de pseudo-mots ne corrèle pas avec cette épreuve de compréhension de phrase ; ces résultats rejoignent les observations de Willis et Gathercole (2001). En effet, les empans simples n’apparaissent pas comme étant impliqués dans le traitement et la compréhension de phrases complexes dont la structure est familière, en tout cas pas pour les phrases courtes utilisées ici. D’autre part, les empans complexes corrèlent avec la compréhension de phrases complexes, ce qui n’est pas le cas pour les phrases simples. Les auteurs concluent que les empans complexes jouent un rôle considérable dans la compréhension de phrases complexes, même quand la structure est familière.

Par ailleurs, de nombreuses études se sont intéressées à la recherche d’un lien entre les troubles développementaux du langage et la MdT (Danahy, Windsor et Kohnert, 2007 ; Majerus, 2006 ; Majerus et al., 2009). Comme nous avons vu en section 1.2.3, les enfants avec un trouble spécifique du langage (TSL) se différencient des enfants tout-venant par un retard dans leur développement langagier (Jakubowicz, 2007), nous pouvons alors imaginer que les liens observés entre la MdT et la syntaxe chez des enfants avec TSL peuvent se retrouver chez des enfants ordinaires plus jeunes. Gathercole et Baddeley (1990) comparent le niveau d’empans simples d’enfants de sept à neuf ans avec TSL à celui d’enfants tout-venant.

Ils observent alors des performances plus faibles chez les enfants avec TSL dans les tâches évaluant les empans simples, notamment en ce qui concerne l’empan de mots et la répétition de pseudo-mots. Les auteurs n’expliquent pas ces résultats par des limitations langagières, en effet ces données persistent même quand les enfants n’ont pas besoin de donner une réponse

verbalement. De plus, en répétition de pseudo-mots, la complexité articulatoire a les mêmes effets chez les enfants avec TSL et chez les enfants contrôles. Les faibles performances aux tâches testant les empans simples ne sont donc pas induites par des limitations langagières ou articulatoires et font bien appel aux capacités mnésiques. Ces auteurs concluent ainsi qu’un déficit au niveau des empans simples pourrait être à la base des difficultés langagières observées. Bishop, North et Donta (1996) désirent étendre les travaux de Gathercole et Baddeley (1990) et testent alors des jumeaux de sept à neuf ans, dont l’un au moins a une histoire de TSL passée ou actuelle. Ils évaluent les empans simples avec une épreuve de répétition de pseudo-mots. Les matrices de Raven sont utilisées pour s’assurer d’un raisonnement non-verbal dans la norme et une série d’épreuves évalue les capacités langagières telles que la compréhension (TROG, Bishop 1982) et la répétition de phrases. Ces auteurs retrouvent des performances plus faibles en répétition de pseudo-mots chez les enfants avec TSL, comparés à des enfants tout-venant, mais aussi chez certains enfants dont le TSL est résolu. En 2009, Majerus et al. étudient également le niveau d’empans simples chez des enfants avec TSL comparés à deux groupes contrôles d’âge chronologique et d’âge lexique.

Dans une première tâche, ils présentent des séquences de chiffres à l’enfant dont seul l’ordre de présentation varie. Ils utilisent ces items familiers et connus à l’avance dans le but de minimiser l’influence des capacités langagières. L’enfant doit reconstruire l’ordre à l’aide de cartes sur lesquelles les chiffres entendus sont imprimés, il doit donc seulement se rappeler de la position des chiffres. Dans un second temps, deux séquences de chiffres sont présentées à l’enfant ; il doit juger si elles sont de même longueur et si elles sont identiques au niveau de la position des chiffres. Les résultats montrent que les enfants avec TSL ont des niveaux de performances réduits dans les tâches nécessitant la rétention d’une information « ordre sériel » comparés à des enfants tout-venant du même âge. Ces difficultés s’observent surtout pour la tâche de reconstruction de l’ordre sériel dans laquelle les informations de la séquence en entier doivent être rappelées. Les performances sont moins déficitaires pour la tâche de reconnaissance de l’ordre qui est probablement moins sensible étant donné que l’enfant peut rejeter la séquence même s’il n’est pas capable de la reconstruire en entier. Les auteurs observent par ailleurs une diminution des performances surtout quand les informations

«ordre» et «item» doivent être combinées comme c’est le cas pour la tâche de répétition de pseudo-mots où ils notent un déficit sévère des empans simples pour les enfants avec TSL, rejoignant les observations de Gathercole et Baddeley (1990) ainsi que celles de Bishop et al.

(1996). A partir des travaux de Montgomery et al. (2008), Montgomery et Evans (2009) s’intéressent au rôle des empans simples et des empans complexes dans la compréhension de

phrases complexes chez des enfants avec TSL de six à douze ans, comparés à deux groupes contrôles d’âge chronologique (AC) et d’âge lexique (AL). L’épreuve de compréhension utilisée est la même que dans leur recherche précédente. Les empans simples sont évalués avec une épreuve de répétition de pseudo-mots et les empans complexes avec une épreuve adaptée du listening span. L’enfant entend une phrase simple de trois mots, il doit retenir le dernier mot tandis qu’une question fermée concernant le sens de la phrase lui est posée. Les performances des enfants avec TSL sont plus faibles que celles des enfants du même âge sur toutes les tâches de MdT. Les trois groupes obtiennent des performances similaires en compréhension de phrases simples, cependant les enfants avec TSL et les enfants AL ont de moins bonnes performances pour la compréhension de phrases complexes. Les auteurs observent chez les enfants avec TSL et AL une relation entre la compréhension de phrases complexes et les empans complexes, ce qui n’est pas le cas pour les empans simples.

Cependant, les empans simples corrèlent avec la compréhension de phrases simples chez les enfants avec TSL. Les auteurs concluent que la compréhension de phrases simples et complexes est une activité qui requiert des ressources en MdT de manière plus significative pour les enfants avec TSL que pour les enfants tout-venant ; par ailleurs les faibles scores en compréhension des phrases complexes chez les enfants avec TSL sont associés à une limitation des empans complexes. Danahy et al., (2007) s’intéressent alors à un outil permettant de différencier les enfants tout-venant d’enfants avec TSL à partir de leurs performances à une épreuve d’empans complexes. Ces auteurs utilisent l’épreuve du counting span pour comparer les performances de trois groupes d’enfants appariés en âge : des enfants monolingues de langue maternelle anglaise, des enfants bilingues dont l’anglais est la langue seconde ainsi que des enfants monolingues anglophones avec TSL. Cette étude examine la performance de ces trois groupes d’enfants dans une tâche d’empans complexes qui requiert une charge linguistique relativement faible. Les auteurs observent alors un meilleur niveau d’empans complexes pour les deux groupes d’enfants ordinaires, monolingues ou bilingues, comparé à celui des enfants avec TSL. Ils établissent ainsi un lien entre un faible empan complexe et un TSL et posent l’hypothèse que les enfants avec des performances faibles au counting span auront plus de risque d’avoir un TSL.

Certains auteurs retrouvent également un lien entre les empans complexes et les performances syntaxiques chez des adultes (Gibson et Thomas, 1999 ; Gimenes, Rigalleau et Gaonac’h, 2007). Gimenes et al. (2007) présentent une épreuve composée de phrases doublement enchâssées comme dans l’exemple (13).

(13) Le poisson / [que le vieux marin / [que la municipalité et la communauté / ont congratulé] / a pêché en pleine mer] / mesurait un mètre de longueur.

Le deuxième syntagme verbal, ici souligné, peut être omis, il est alors remplacé par un syntagme nominal pour contrôler la longueur de la phrase ce qui la rend agrammaticale comme en (14).

(14) Le poisson / [que le vieux marin / [que la municipalité et la communauté / ont congratulé] / la semaine dernière / mesurait un mètre de longueur.

Le syntagme nominal le plus enchâssé est composé de deux prénoms ou de deux noms communs ([que la municipalité et la communauté] ou [que Marie et Anne]). Les auteurs constituent des blocs de mots à rappeler composés de trois mots similaires aux mots de la phrase, c'est-à-dire de même catégorie lexicale (noms communs : messe institution ambassade ou prénoms : Tiffany Amandine Elsa) ou composées de trois mots différents, c'est-à-dire de noms communs si la phrase contient des prénoms et inversement. Le sujet écoute les trois mots, il doit les rappeler ; la phrase lui est ensuite présentée, il doit en évaluer subjectivement la difficulté puis rappeler à nouveau les trois mots. Le rappel de mots s’avère être moins bon lorsque les mots sont similaires aux mots de la phrase, surtout dans la condition dans laquelle le deuxième syntagme verbal est présent. Cet effet n’est pas constaté pour les phrases jugées plus faciles par les lecteurs. L’accroissement de la complexité grammaticale induit par la présence d’un verbe supplémentaire augmente l’effet d’interférence entre les mots à rappeler et les mots de la phrase. Ainsi, une phrase à double enchâssement réduit spécifiquement la mémorisation de mots appartenant à la même catégorie lexicale que les mots de la phrase. Le double enchâssement induirait donc bien un coût spécifique en MdT. Par ailleurs, selon Kimball (1973 cité par Gibson et Thomas, 1999), la limitation des ressources est quantifiée en termes de nombre de propositions partielles qui sont stockées en MdT à tout moment du traitement de la phrase. C'est-à-dire que lorsque le lecteur commence à traiter une phrase à plusieurs enchâssements, il traite d’abord le premier nom, ce qui débute une proposition, il attend donc un verbe, mais un deuxième sujet apparaît et ouvre une deuxième proposition ; il faut garder en MdT ces propositions partielles en cours pour comprendre la phrase au moment où les verbes apparaissent. Pour Gibson, en lisant une phrase complexe, le lecteur commence par traiter des noms sans connaître les verbes auxquels ces noms doivent être rattachés. La MdT permet de maintenir les noms et les prédictions syntaxiques, ce qui deviendrait particulièrement coûteux lors de la lecture du troisième nom de la phrase. Il propose ainsi une métrique permettant d’évaluer le coût du maintien de chaque prédiction en MdT. Ce coût dépendrait du nombre de référents discursifs traités à partir du moment de l’élaboration de la

prédiction. La difficulté de traitement des phrases à multiples enchâssements ne serait donc pas due à une limitation des compétences langagières mais serait plutôt liée à une restriction des capacités de calcul (Gibson et Thomas, 1999 ; Gimenes et al., 2007). Les enchâssements multiples entraîneraient ainsi une surcharge des capacités de MdT qui seraient sensibles à la complexité computationnelle des opérations successives à effectuer pour comprendre la phrase. Les observations de Gibson se rapprochent de la théorie de Jakubowicz chez les enfants (Jakubowicz, 2007 ; Jakubowicz et Tuller, 2008) présentée précédemment (cf. section 1.2.3). Les limitations langagières entrainées par des ressources limitées en MdT chez le jeune enfant se retrouvent donc également chez les adultes dans le traitement des phrases à multiples enchâssements (Gibson et Thomas, 1999).