• Aucun résultat trouvé

1. Partie théorique

1.1 Mémoire de travail

1.1.2 Le modèle de Baddeley

Selon le modèle princeps de Baddeley et Hitch (1974), la MdT est définie comme un système consacré au stockage temporaire et à la manipulation de l’information. Ce modèle propose un système hiérarchisé comportant de multiples composantes qui fonctionnent de manière autonome. Il se compose de deux systèmes esclaves, la boucle phonologique et le calepin visuospatial, qui stockent les informations de manière spécifique en fonction de la nature du matériel et d’un système de contrôle attentionnel de ces systèmes esclaves, l’administrateur central (Baddeley, 1998, 2003 ; Barrouillet et Camos, 2007), (voir figure 1).

Figure 1 : modèle princeps de la mémoire de travail à trois composantes (Baddeley et Hitch, 1974)

1.1.2.1 La boucle phonologique

La boucle phonologique s’articule autour de deux composantes. Le stock phonologique, de capacité limitée, assure le stockage des informations verbales et acoustiques sous forme de codes phonologiques pendant des durées très brèves. Le mécanisme de récapitulation articulatoire, quant à lui, est un système de répétition subvocale qui a pour fonction de maintenir actives les informations dans le stock phonologique à court terme et également d’y faire entrer les informations verbales présentées visuellement en les recodant sous une forme phonologique.

Mesures de la boucle phonologique

La capacité de la boucle phonologique est évaluée par des tâches d’empans simples sur du matériel verbal. Ces tâches requièrent un simple maintien de l’information verbale (Barrouillet et Camos, 2007). Pour définir cet empan, on présente généralement des listes de chiffres, de lettres ou encore de mots de longueur croissante ; l’empan correspond à la plus longue liste pouvant être rappelée dans l’ordre sans erreur et représente la quantité d’information qui peut être conservée en mémoire à court terme après une seule présentation. Pour certains auteurs, la répétition de pseudo-mots, qui consiste à présenter des mots sans signification dont le nombre de syllabes augmente progressivement, est la mesure la plus pure

d’empans simples car elle ne génère pas l’activation de représentation lexicale en mémoire à long terme et se rapproche également plus d’une situation d’apprentissage (Baddeley, 2003).

Pour Poncelet et Van der Linden (2003), cette tâche évalue spécifiquement le stock phonologique de la boucle phonologique. En effet, répéter immédiatement après présentation auditive des items verbaux non familiers de longueur variable laisse peu de place à la mise en œuvre et à l’exécution de la récapitulation articulatoire.

Développement des empans simples

Les empans simples progressent fortement avec l’âge, principalement entre deux et neuf ans pour atteindre les valeurs adultes (7 +/‐ 2 items) à l’adolescence (Miller, 1956) ; après neuf ans, les empans simples évoluent alors de manière moins « intense » (Barrouillet et Camos, 2007). D’autres auteurs retrouvent une augmentation régulière des performances en répétition de pseudo-mots chez des sujets de trois ans à l’âge adulte et de manière particulièrement importante entre quatre et six ans (Gathercole, 1998 ; Poncelet et Van der Linden, 2000).

Pross, Gaonac’h et Gaux (2008) retrouvent une augmentation des empans simples sur des épreuves d’empans de mots et de pseudo-mots chez des enfants entre huit et dix ans. Case, Kurland, et Goldberg (1982, cités par Barrouillet et Camos, 2007) expliquent cette progression par l’identification et l’encodage des mots à rappeler qui deviennent plus efficaces entre trois et six ans libérant ainsi des ressources attentionnelles disponibles pour le stockage temporaire. Certains auteurs expliquent le développement des empans simples par l’émergence de la répétition subvocale vers sept ans. Avant cela, la boucle phonologique servirait seulement de stock phonologique (Gathercole, 1998 ; Majerus, Poncelet, Greffe, Van der Linden, 2006). L’utilisation plus systématique de la répétition subvocale ainsi que l’augmentation de la vitesse de répétition expliqueraient une part non négligeable de l’augmentation du niveau d’empan entre sept et quinze ans (Baddeley, 1998) en permettant de rafraîchir plus de mots avant leur disparition du stock phonologique et donc d’obtenir un meilleur maintien de l’information (Baddeley, 1986).

En synthèse, les empans simples progressent fortement avec l’âge ; l’émergence de la répétition subvocale vers sept ans permet une augmentation importante des empans simples jusqu’à neuf ans puis l’évolution se poursuit de manière plus lente jusqu’à l’âge adulte.

1.1.2.2 Le calepin visuo-spatial

Le calepin visuo-spatial, de capacité limitée, assure le stockage temporaire des informations visuelles et spatiales. Il permet la génération et la manipulation des images mentales (Baddeley, 1998 ; Gathercole et al., 2004 ; Barrouillet et Camos, 2007). Il peut être évalué avec des tâches d’empans simples visuo-spatiaux dans lesquelles le sujet doit reproduire des séquences visuo-spatiales sans faire appel au codage verbal (Barrouillet et Camos, 2007).

Cependant, nous ne cherchons pas à évaluer cette composante dans notre recherche.

1.1.2.3 L’administrateur central

L’administrateur central est le système de contrôle attentionnel des systèmes esclaves. Il sélectionne, coordonne et contrôle de manière amodale les opérations de traitement de la boucle phonologique et du calepin visuo-spatial. Il serait fractionnable en sous-composantes exécutives permettant la coordination de deux tâches, la récupération et la manipulation des informations en mémoire à long terme ainsi que l’attention sélective1 (Baddeley, 1998 ; Barrouillet et Camos, 2007 ; Pross et al., 2008).

Mesures de l’administrateur central

Les capacités de l’administrateur central sont mesurées avec des tâches d’empans complexes définies par Barrouillet et Camos (2007) comme des « doubles tâches où le sujet doit maintenir une liste d’items en vue du rappel tout en effectuant une activité concurrente telle que lire des phrases, dénombrer des collections, résoudre des opérations, etc. ». Les tâches d’empans complexes telles qu’une tâche d’empan de chiffres envers ou toute épreuve dite de « double tâche » sont donc caractérisées par le traitement et le maintien simultanés de l’information. Par exemple, Daneman et Carpenter (1980) proposent la tâche du « reading span » (« empan de lecture ») pour mesurer l’empan complexe. Le sujet doit lire des séries de phrases sans lien entre elles. Il doit alors juger de la véracité de chaque phrase et en retenir le dernier mot puis restituer tous les mots à la fin de chaque série. Le nombre maximal de phrases dont le dernier mot peut être rappelé constitue l’empan de lecture et apparaît comme étant un bon prédicteur de la compréhension en lecture.

1 L’attention sélective permet de sélectionner l’information la plus pertinente de l’environnement immédiat et de la mémoire à long terme, en la maintenant active jusqu’à ce que l’action soit correctement planifiée (Baddeley, 1998).

Développement des empans complexes

Rappelons que les empans complexes verbaux se caractérisent par le maintien et le traitement de l’information. Ils dépendent donc des capacités de l’administrateur central, lui-même en interaction avec la boucle phonologique (Baddeley, 2000). Ces deux composantes sont donc à prendre en compte lorsqu’on parle d’empans complexes verbaux. Siegel et Ryan (1989, cités par Seigneuric, Guibert, Megherbi, Potier et Picard, 2008) présentent une tâche de « listening span » (« empan d’écoute ») pour les enfants anglophones, inspirée des travaux de Daneman et Carpenter (1980), dans laquelle les phrases sont lues aux enfants. Ils observent alors une augmentation linéaire des empans complexes chez ces enfants entre sept et douze ans.

Seigneuric et al. (2008) adaptent alors cette épreuve en français et retrouvent des résultats similaires, à savoir une augmentation significative des empans complexes entre sept et neuf ans. Cette augmentation a été également démontrée chez des enfants de huit à dix ans par Pross et al. (2008) sur cette tâche du listening span. Gathercole et al. (2004) observent également cette progression chez des enfants de six à quinze ans. Ils leur administrent les épreuves d’empans complexes suivantes : listening span (Daneman et Carpenter, 1980), rappel de chiffres à l’envers et « counting span2 » (Case, Kurland, & Goldberg, 1982), tâche dans laquelle les enfants comptent et mémorisent le nombre de points de couleur sur une série de planches et les rappellent dans l’ordre au signal. Les performances des enfants sur ces trois épreuves augmentent de manière linéaire de six à quatorze ans et se stabilisent entre quatorze et quinze ans. Siegel (1994) décrit ensuite l’évolution des empans complexes jusqu’à l’âge adulte et observe une augmentation régulière sur la tâche du listening span entre six et vingt ans. Par ailleurs, il est difficile d’administrer des tâches d’empans complexes à des enfants avant six ans car ce type de tâches excède leurs capacités ; la facilité croissante avec laquelle l’enfant gère la tâche secondaire libère des ressources et pourrait ensuite expliquer l’augmentation des empans complexes à partir de six ans (Barrouillet et Camos, 2007). Ainsi, les ressources nécessaires au traitement de la tâche secondaire diminueraient au profit de ressources supplémentaires consacrées au stockage (Case, 1985, cité par Barrouillet et Camos, 2007). D’autres auteurs considèrent que les traitements, devenant plus efficaces, permettent une exécution plus rapide de la tâche secondaire (Towse et Hitch, 1995).

2 Le counting span fait partie des épreuves que nous utilisons pour évaluer les empans complexes, nous la décrivons plus précisément dans la section 2.2.2.2.

En synthèse, la maturation des empans complexes est plus tardive que celle des empans simples, elle semble plus régulière et continue d’augmenter jusqu’à la fin de l’adolescence (Barrouillet et Camos, 2007).

1.1.2.4 Ajout du buffer épisodique

Un quatrième composant, le buffer épisodique, est ajouté en 2000 (Baddeley, 2000). Il s’agit d’un système de stockage temporaire, de capacité limitée, capable d’intégrer des informations provenant de sources et de types différents. Contrôlé par l’administrateur central, il sert d’interface entre les deux systèmes esclaves et la mémoire à long terme (ou mémoire épisodique, voir figure 2). Il n’existe pas d’épreuve qui teste spécifiquement le buffer épisodique.

Figure 2 : Modèle de la mémoire de travail à composants multiples (Baddeley, 2000).