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Lien entre inharmonicité et régimes quasi-périodiques

La nature et le mécanisme de génération des multiphoniques etsonidos rajadosétant compris, il devient plus facile d’étudier l’influence de différents paramètres sur l’apparition de ces régimes d’oscillation.

Certains paramètres de facture (i.e. liés à la géométrie de l’instrument) semblent avoir une influence particulière sur l’apparition de régimes non périodiques. C’est notamment le cas de l’inharmonicité des fréquences de résonance, dont l’influence sur l’apparition de régimes quasi-périodiques a été démontrée dans le cas des instruments à anche [40,51].

Dans le cas des flûtes, la forme très particulière du résonateur des flautas de chinos, com-binée au fait qu’elles sont conçues pour produire des sons quasi-périodiques, peut suggérer que cette caractéristique du résonateur favorise la production de sonidos rajados. Par ailleurs, les travaux de Blanc [19] et les mesures d’admittance d’entrée réalisées sur ces flûtes [44] mettent en évidence une inharmonicité particulièrement marquée. De la même façon, dans le cas des flûtes à bec, l’utilisation d’une bouche artificielle permet de mettre en évidence que pour des para-mètres d’excitation identiques, un doigté produit un régime périodique, alors qu’un autre doigté (correspondant à d’autres caractéristiques du résonateur) produit un régime quasi-périodique.

D’après les facteurs de flûtes [22], les doigtés dits de fourche (pour lesquels au moins un trou est fermé après un ou plusieurs trous ouverts), connus pour être particulièrement inharmoniques [11,106] (voir figure4.25), ont tendance à favoriser l’apparition des multiphoniques. Par ailleurs, des travaux préliminaires sur un modèle très simple, qui peut être vu comme une simplification du modèle de l’état de l’art des instruments de la famille des flûtes, ont démontré l’influence de l’inharmonicité de deux modes de résonance sur l’apparition de régimes non périodiques [139].

Ces différents éléments posent la question de l’influence de l’inharmonicité du résonateur sur les seuils d’apparition des régimes quasi-périodiques. Ceux-ci étant issus de la déstabilisation,via une bifurcation de Neimark-Sacker, d’une branche de solutions périodiques, le fait qu’une telle bifurcation survienne pour une faible valeur de la pression d’alimentation Pm favorisera, pour le musicien, l’accès à un son multiphonique, ou de type sonido rajado. A l’inverse, si une telle bifurcation ne se produit que pour une valeur de Pm relativement élevée par rapport à la plage de ce paramètre habituellement utilisée, il sera plus facile pour le musicien d’éviter ce type de régime, souvent plutôt considéré comme un défaut. Dans ce cadre, la méthode de continuation de points de bifurcations, détaillée en section2.3.7est particulièrement intéressante, dans le sens où elle permet de suivre la valeur de Pm à laquelle survient une bifurcation de Neimark-Sacker donnée en fonction d’un second paramètre du modèle.

200 f1 600 2f1 3f1 1400 4f1 1800

−60

−40

−20 0

frequence (Hz)

module de Y (dB ref 1)

0 200 f1 700 2f1 1200 2f1 1600 3f1

−80

−60

−40

−20 0

frequence (Hz)

module de Y (dB ref 1)

Figure4.25: Module de l’admittanceY(ω) du résonateur d’une flûte à bec alto Zen-OnBressan, calculé avec WIAT [97], pour le doigté desol 3 (en haut) et le doigté defourchedesi bémol 3 (en bas). Dans chaque cas, les multiples de la première fréquence de résonancef1 sont indiqués par des pointillés, mettant en évidence la forte inharmonicité du doigté de fourche : l’inharmonicité associée aux résonances d’ordre 2 à 5 vaut respectivement 1.82%, 0.5%, -3.22% et -5.12% pour le doigté desol 3 et -10%, -19.2%, -16%, -16.9% pour le doigté de si bémol 3.

4.4.1 Adaptation du modèle : définition d’un paramètre d’inharmonicité glo-bale

Afin d’étudier de façon simplifiée l’influence de l’inharmonicité sur les seuils d’apparition des régimes quasi-périodiques, un paramètre d’inharmonicité ζ est introduit, qui caractérise le décalage des fréquences de résonance d’ordre supérieur à 1, par rapport aux multiples de la première fréquence de résonancef1 :

fn=n·f1×(1 +ζ); (4.3)

nest un entier correspondant au rang du mode de résonance considéré. Suivant cette défini-tion, l’inharmonicité, définie pour lenième mode de résonance par :

In= fnn·f1

n·f1 (4.4)

est identique pour toutes les fréquences de résonance :I2=I3=· · ·=In=ζ. Cette situation est bien entendu idéalisée, l’inharmonicité (positive ou négative) ayant plutôt tendance à augmenter avec l’ordre du mode de résonance [30].

4.4.2 Branches de points de bifurcation de Neimark-Sacker

Un premier diagramme de bifurcation, calculé pour une inharmonicité négative de 5% (i.e.

ζ = −0.05), est représenté en figure 4.26, en fonction du retard adimensionné ˜τ et de Pm. La représentation, dans le plan complexe, des multiplicateurs de Floquet responsables de la déstabilisation du premier registre (fenêtre (a) de la figure 4.26a) permet de déterminer que

0.5 1 1.5 2 2.5 3 3.5 amplitude de vac (crete a crete)

solutions stables

(a) Diagramme de bifurcation : amplitude d’oscil-lation en fonction du retard adimensionné ˜τ. La fenêtre (a) représente, dans le plan complexe, les multiplicateurs de Floquet au point de déstabili-sation du premier registre, mettant en évidence la bifurcation de Neimark-Sacker en jeu.

0 500 1000 1500 2000 2500

0 amplitude de vac (crete a crete)

solutions stables solutions instables

(b) Diagramme de bifurcation : amplitude d’oscil-lation en fonction de la pression d’alimentationPm.

Figure4.26: Diagramme de bifurcation du modèle, pour un résonateur à cinq modes. Les modes 2 à 5 ont chacun une inharmonicité négative de 5% (ζ = −0.05) par rapport à la première fréquence de résonance.

pour cette valeur d’inharmonicité, le premier registre devient instable du fait d’une bifurcation de Neimark-Sacker pour ˜τ = 0.88, soitPm= 505P a.

Ce point de bifurcation est alors lui-même continué en fonction de ζ, qui est choisi comme second paramètre de continuation (voir section 2.3.7). La branche de points de bifurcations de Neimark-Sacker obtenue, représentée en figures4.27aet4.27dans le planζτ˜etζ−Pm, donne alors, en fonction de l’inharmonicité, la valeur de ˜τ (respectivement dePm) à laquelle intervient la bifurcation de Neimark-Sacker du premier registre, qui peut donner naissance à un régime quasi-périodique.

Ces résultats confirment l’hypothèse de l’influence de l’inharmonicité sur les seuils de bifur-cation des régimes périodiques (et donc sur les seuils d’apparition d’éventuels régimes quasi-périodiques) : une inharmonicité négative de 11 % (ζ = −0.11) permet, par rapport à une inharmonicité négative de 4.3%, de modifier le seuil de 6%. On peut noter qu’il serait parti-culièrement intéressant de connaître l’influence d’une inharmonicité positive. Certains facteurs estiment en effet que son effet n’est pas le même que celui d’une inharmonicité négative. Cepen-dant, nous atteignons là les limites de l’outil mis en place : il arrive qu’en certains points (ici en ζ =−0.043), l’algorithme de continuation échoue à corriger le point voisin du dernier point calculé de la branche. Il n’est alors pas possible d’accéder à une plus large portion de la branche de points de bifurcation.

Cependant, au-delà de confirmer l’influence de l’inharmonicité sur le seuil d’apparition d’un éventuel régime quasi-périodique, les résultats obtenus ici vont dans le sens de l’analyse de certains facteurs. Ainsi, d’après P. Bolton [22], une inharmonicité très faible aura plutôt tendance à donner une note instable, alors qu’une légère inharmonicité négative aura plutôt tendance à la stabiliser. C’est bien ce que l’on observe ici, avec un seuil de bifurcation plus élevé (en pression) pour une inharmonicité négative de 11% que pour une inharmonicité négative de 4.3%.

−0.12 −0.11 −0.1 −0.09 −0.08 −0.07 −0.06 −0.05 valeur de ω1τ a laquelle la bifurcation se produit

(a) Représentation de la branche dans le planζ−τ.

−0.12 −0.1 −0.08 −0.06 −0.04 valeur de Pm a laquelle la bifurcation se produit (Pa)

(b) Représentation de la branche dans le plan ζ Pm.

Figure4.27: Branche de bifurcation de Neimark-Sacker, calculée par continuation, à partir du point de bifurcation mis en évidence en figure4.26a. L’inharmonicité des fréquences de résonance est choisie comme second paramètre de continuation.

4.5 Inharmonicité, retard, et régimes quasi-périodiques : un