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Continuation de points de bifurcations

2.3 Calcul et continuation de solutions statiques et périodiques

2.3.7 Continuation de points de bifurcations

Dans le cadre de l’étude des transitions entre régimes, les points de bifurcation sont parti-culièrement intéressants, dans le sens où ils correspondent à la perte de stabilité des branches de solutions, et dans certains cas (bifurcation de Neimark-Sacker par exemple) à la naissance d’autres solutions. Comme on l’a vu, ces points sont égalemenent reliés à la largeur de l’hysté-résis entre deux régimes. Il est alors naturel de chercher à connaître l’évolution de ces points en fonction d’un second paramère de continuation , lié par exemple à la facture de l’instrument (inharmonicité des fréquences de résonance), ou au contrôle du musicien. Cela revient à poser, dans notre cas, la question suivante :

A quelle valeur de τ˜ (ou de pression d’alimentation) intervient le changement de registre, en fonction du paramètre ?

Pour répondre à cette question, il est bien sûr possible de procéder par itérations successives, en calculant toute la branche périodique dont la bifurcation nous intéresse, pour plusieurs valeurs différentes de . Cependant, cette technique est coûteuse en temps de calcul et implique donc une discrétisation assez grossière de la courbe recherchée. Il est plus intéressant de chercher à appliquer l’algorithme de continuation sur ce point particulier, c’est à dire à faire lacontinuation du point de bifurcation. Ce principe est illustré en figure 2.20.

Une telle approche est proposée pour les points de bifurcation des branches de solutions statiques et périodiques dans AUTO [54], pour les systèmes d’ODE. Elle est également proposée dans DDE-Biftool, mais uniquement pour les bifurcations de branches statiques de systèmes non neutres [57]. Sieber [129] a récemment adapté DDE-Biftool pour permettre la continuation de points de bifurcation des solutions périodiques, pour des systèmes à retard non neutres. Ce-pendant, à notre connaissance, aucun logiciel distribué n’offre à l’heure actuelle cette possibilité pour des systèmes à retard de type neutre.

Dans le cadre d’une collaboration avec D. Barton, au sein du groupe de mathématiques non linéaires appliquées de l’Université de Bristol (Royaume-Uni), les codes de Barton pour

0 5000 10000 15000

(a) Représentation d’une branche de solution pé-riodique continuée en fonction d’un premier para-mètre de continuation (le retard adimensionné ˜τ, lié àPm), pour différentes valeurs fixées du second paramètre d’intérêt.

(b) Pour chacune des branches, mis en évidence du point de bifurcation auquel on s’intéresse.

0 5000 10000 15000

(c) Mis en évidence (en rouge) de la branche de points de bifurcation à laquelle on s’intéresse.

1 1.5 2 2.5 3 3.5 4 4.5 5 pression d’alimentation au point de bifurcation

pr´ediction correction

(d) Projection de la branche de points de bifur-cation dans le plan des paramètres de continua-tion. Cette branche représente la valeur de Pm à laquelle intervient la bifurcation, en fonction de la valeur de et peut être continuée par la mé-thode classique prédicteur-correcteur. La continua-tion de cette branche permet de s’affranchir du cal-culbranche par branchereprésenté en figures2.20a, 2.20bet 2.20c.

Figure2.20: Illustration du principe de la continuation de bifurcations de branches de solutions périodiques, en fonction de deux paramètres de continuation. Plutôt que de calculer successive-ment un grand nombre de branches de solutions périodiques pour différentes valeurs du second paramètre, puis d’en détecter le point de bifurcation, cette méthode permet de suivre directement l’évolution du point de bifurcation dans un espace à deux paramètres.

les systèmes neutres [8] ont pu été adaptés, en s’inspirant des codes de Sieber [129], de façon à permettre la continuation des points de bifurcations de Neimark-Sacker de solutions périodiques.

L’extension aux autres types de bifurcations est immédiate, mais nous nous concentrons ici sur les bifurcations de Neimark-Sacker, d’une part parce qu’elles donnent naissance aux régimes quasi-périodiques auxquels on s’intéressera tout particulièrement au chapitre4, et d’autre part parce que ce sont celles que l’on rencontre le plus fréquemment dans le modèle de flûte de l’état de l’art (voir par exemple [140,138]).

Principe : extended augmented BVP pour bifurcations de Neimark-Sacker

La continuation de solutions périodiques d’un système neutre ˙x(t) =f(x(t),x(tτ),x(t˙ − τ), λ) repose, comme détaillé en section 2.3.2, sur la résolution du BVP donné par le système d’équations2.8.

Pour ne calculer que des points de Neimark-Sacker (qui sont des solutions périodiques par-ticulières du système), des conditions doivent être ajoutées à ce BVP, de façon à ce que les solutions du BVP augmenté définissent la courbe de points de bifurcation dans l’espace des paramètres. La méthode de continuation elle-même n’a pas à être modifiée.

La linéarisation du système neutre 2.12 autour d’un point de Neimark-Sacker xN S(t) mène à l’équation variationnelle suivante :

w(t)˙ −A1·w(t)A2·w(tτ)−A3·w(t˙ −τ) = 0 (2.20) où w(t) est une fonction propre complexe, et oùAi désigne, comme en section 2.3.4, la dérivée partielle de la fonction f par rapport à son ième argument (voir équation 2.15), évaluée cette fois-ci enxN S.

Dans le cas particulier d’une bifurcation de Neimark-Sacker, il existe deux multiplicateurs de Floquet complexes conjugués, de module 1, définis par :µ1,2=e±jθ (voir équation2.19). Par définition des multiplicateurs de Floquet, la fonction proprew(t) vérifie alors l’équation suivante (comme dans le cas du BVP2.8, le temps est adimensionné par la période T) :

w(1) =w(0)e (2.21)

L’ajout d’une condition de normalisation dew(t) permet finalement d’obtenir le BVPaugmenté pour la continuation de bifurcations de Neimark-Sacker (voir [96] pour plus de détails) :

Le système2.22a été implémenté dans l’extension de DDE-Biftool pour les systèmes neutres (les détails concernant l’implémentation ne sont pas donnés ici, mais peuvent être trouvés pour le cas des systèmes non neutres dans [129,128,96]).

0 0.5 1 1.5 2 2.5 3 3.5 400

500 600 700 800 900 1000 1100

Retard adimensionne τω

1

Frequence d’oscillation de Vac (Hz)

solutions stables solutions instables multiplicateurs de Floquet

bifurcation de Neimark−Sacker (destabilisation du 1er registre)

(a)

Figure2.21: Diagramme de bifurcation du modèle à 2 modes de résonance, pourω2 = 990×2π rad·s−1 : fréquence d’oscillation en fonction de ˜τ. Les deux branches de solutions périodiques correspondent aux registres 1 et 2. (a) : Représentation dans le plan complexe du cercle unité et des multiplicateurs de Floquet associés à la déstabilisation du premier registre. Ils mettent en évidence la bifurcation de Neimark-Sacker responsable de cette destabilisation.

Validation des résultats

Les résultats de la continuation de bifurcations de Neimark-Sacker devant être validés, ils sont comparés avec les résultats d’un calcul branche par branche (méthode qu’on cherche justement à éviter), comme illustré en figure2.20a,2.20bet2.20c. Plus précisément, pour certaines valeurs fixées du second paramètre de continuation , la branche de solutions périodiques est calculée entièrement, et le point de bifurcation est repéré grâce à une analyse de stabilité. Ce point est comparé avec la branche obtenue par continuation de bifurcation, pour la même valeur de.

Afin de minimiser les temps de calcul, cette validation a été effectuée sur un modèle simplifié, qui ne prend en compte que deux modes de résonance. Le paramètre choisi comme second paramètre de continuation est la pulsation de résonance ω2 du second mode de résonance. Sa modification résulte donc en une modification de l’inharmonicité du résonateur12. Le système comportant deux modes de résonance, le diagramme de bifurcation obtenu en fonction de ˜τ pour une valeur fixée de ω2 = 990×2π, donné en figure 2.21, comporte deux branches de solutions périodiques. Celles-ci correspondent au premier et au second registres. On considère ici uniquement la bifurcation de Neimark-Sacker qui correspond à la destabilisation de la branche associée au premier registre, mise en évidence en figure 2.21. Pour trois valeurs différentes de ω2, les résultats issus de la continuation de bifurcation et du calcul branche par branche sont comparés en terme de valeur de ˜τ à laquelle la bifurcation intervient (figure2.22a), de valeur de la période T (figure 2.22b), de phase θ du multiplicateur de Floquet (figure 2.22c) et de forme d’onde des différentes variables ˜vac1,˜vac2,v˙˜ac1,v˙˜ac2 (figure 2.23).

Les résultats issus des deux méthodes présentent des écarts relatifs maximaux de 0.075 % en terme de valeur de ˜τ à laquelle la bifurcation intervient, de 0.001 % sur la valeur de la période d’oscillation adimensionnée ˜T et de 0.34 % sur la phaseθdes multiplicateurs de Floquet sortant du cercle unité. Dans le même sens, les formes d’onde des différentes variables montrent un très

12. i.e.de l’écart entre la seconde fréquence de résonance et le double de la première.

990 992 994 996 998 1000 1002 valeur de τω1 au point de bifurcation

continuation de bifurcations code original : calcul branche par branche

(a) Comparaison des deux mé-thodes en terme de valeur de ˜τà laquelle survient la bifurcation de Neimark-Sacker, en fonction deω2.

990 992 994 996 998 1000 1002

6.115

seconde frequence de resonance ω 2/2π

periode adimensionnee : T ω1 continuation de bifurcations

code original : calcul branche par branche

(b) Comparaison des deux mé-thodes en terme de valeur de la périodeT au point de Neimark-Sacker, en fonction deω2.

990 992 994 996 998 1000 1002 0.12

seconde frequence de resonance ω 2/2π

θ/π

continuation de bifurcations code original : calcul branche par branche

(c) Comparaison des deux mé-thodes en terme de phase θdes multiplicateurs de Floquet sor-tant du cercle unité au point de Neimark-Sacker, en fonction de ω2.

Figure 2.22: Validation de la continuation de bifurcations de Neimark-Sacker. Pour 3 valeurs particulières de ω2, comparaison des résultats obtenus par continuation de bifurcation (repré-sentés en traits pleins) et par le calcul branche par branche (repré(repré-sentés par des croix).

0 50 100 150

−2 0 2

numero de point du maillage w2 = 1001x2pi

numero de point du maillage

0 50 100 150

composantes sur le premier mode v1 (traits pleins) and dv

composantes sur le second mode v1 (traits pleins) and dv

1/dt (pointilles)

code original (branche par branche) continuation de bifurcations

Figure2.23: Validation de la continuation de bifurcations de Neimark-Sacker. Pour les 3 points (i.e.valeurs deω2) étudiés en figure2.22, comparaison des formes d’onde des différentes variables vk (traits pleins) et ˙vk (pointillés) obtenues par continuation de bifurcation (rouge) et par calcul branche par branche (bleu).

bon accord.

Les mêmes comparaisons ont été effectuées au point de Neimark-Sacker correspondant à la stabilisation du second registre. Elles mettent en évidence des écarts relatifs du même ordre de grandeur que ceux donnés ici, ce qui permet donc de valider cette approche par continuation de points de bifurcation, ainsi que l’implémentation que nous en avons faite dans DDE-Biftool.

2.4 Conclusion

Ce chapitre visait non seulement à présenter les méthodes numériques utilisées dans la suite du document pour étudier le comportement du modèle physique de flûte, mais également à valider l’application à ce modèle de l’approche par collocation orthogonale et continuation. La combinaison des méthodes présentées permet de calculer les solutions statiques et périodiques, leur stabilité, et leurs bifurcations. En effet, si cette approche (ou des approches similaires utilisant l’équilibrage harmonique) a démontré son intérêt pour comprendre le comportement des instruments à anche [92,91, 93], elle n’a, à notre connaissance, jamais été utilisée pour étudier des systèmes à retard de type neutre dans le cadre de l’acoustique musicale.

La comparaison des résultats obtenus avec ceux issus d’un schéma d’intégration temporelle de référence permet de valider cette approche pour l’étude du modèle de flûtes de l’état de l’art. De plus, en donnant accès aux diagrammes de bifurcations, cette méthode donne accès à de nouveaux types d’informations : parties instables des branches de solutions, coexistence de plusieurs solutions stables, bifurcations, amplitude et fréquence des différentes solutions pé-riodiques, exploration plus large de l’influence des différents paramètres. Elle fournit ainsi une vision plus globale de la dynamique du système, qui permet une interprétation plus facile des résultats obtenus en simulation, comme l’ont montrées notamment les figures 2.18.

Différents aspects du comportement du modèle (tels les changements de régime et l’hysté-résis associée), liés à des comportements observés expérimentalement, peuvent ainsi être mieux compris. Cela permet d’envisager une comparaison qualitative plus globale et plus facile entre les résultats numériques et expérimentaux.

Cependant, ces méthodes présentent un certain nombre de limitations. En particulier, seul le régime permanent peut être calculé, et pas les transitoires. Ceux-ci sont pourtant particu-lièrement importants dans le jeu du musicien et pour la perception de l’auditeur. Par ailleurs, ils ne peuvent bien évidemment pas être éludés dans le cadre de l’étude des transitions entre régimes. De plus, cette méthode repose sur la théorie des bifurcations statiques, et ne fournit donc des informations que sous l’hypothèse de variations quasi-statiques des paramètres. Des études récentes [15] sur les instruments à anche ont montré la forte influence de la dynamique des paramètres sur le comportement du modèle et de l’instrument réel. Ces études encouragent alors à prendre en compte les résultats de la théorie des bifurcations dynamiques [12], qui tient compte de l’évolution temporelle des paramètres. On peut alors se demander ce qu’il advient des diagrammes de bifurcation obtenus ici lorsque des paramètres varient. Ce sera l’objet du chapitre 7. Enfin, s’il est théoriquement possible d’étendre la collocation au calcul de solutions non périodiques [119], le logiciel utilisé ici n’est à l’heure actuelle pas adapté à ce type de calculs, et ne permet donc d’étudier que certains aspects liés à l’apparition des régimes non périodiques (quasi périodiques, intermittents ou chaotiques), comme nous le verrons au chapitre 4.

Du fait de ces limitations, il n’est bien entendu pas question ici de substituer la collocation or-thogonale et la continuation aux simulations temporelles (dont les avantages et les limitations ont été soulignées en section2.2), mais plutôt d’utiliser ces deux approches de façon complémentaire afin d’accéder à une meilleure compréhension du comportement du modèle et de l’instrument réel.

Outils expérimentaux

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