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Liber Amicorum R Cassin, t 3, p 322, cité par J B RACINE, « Droit économique et droits de

présidée par Jean-Baptiste RACINE

14 Liber Amicorum R Cassin, t 3, p 322, cité par J B RACINE, « Droit économique et droits de

l’homme : Introduction générale », in L. BOY, J.-B. RACINE, F. SIIRIAINEN (dir.), op. cit. (n. 12), p. 10.

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dans la réalité ? Produisent-ils les effets qu’on en attend ? Tu as raison, il faut prendre des exemples concrets : pour la Cour européenne des droits de l’homme, « la nécessité de ne pas abandonner entièrement aux forces du marché

la satisfaction d’un besoin aussi primordial que le logement justifie le caractère absolu de lois qui peuvent aller au-delà de la simple fixation des bases régissant les relations contractuelles entre propriétaires et locataires »15.

Miguel-Angel MARTIN LOPEZ

Je voudrais dire un mot sur le droit international. Il est vrai que le droit international est un droit un peu primitif, pas aussi élaboré que le droit national. Mais il y a en ce moment un élargissement du droit international, beaucoup de nouvelles branches. Il y a une grande création normative. Il est intéressant de voir le travail de la Commission de droit international sur la formation du droit international. Il y a plusieurs choses qui font débat et notamment la question de la hiérarchie des normes : on commence à voir qu’il y a des normes d’une catégorie supérieure : les normes de jus cogens. Les différentes branches du droit international doivent reconnaitre qu’il y a le droit de l’environnement, les droits de l’homme, beaucoup de droits et qu’il peut y avoir conflit entre ces normes. Il faut trouver une solution pour ces conflits, ce n’est pas un conflit de normes comme en droit national. Ici, il va y avoir conflit entre plusieurs normes d’égale valeur. Comment régler ces questions ? Le Tribunal constitutionnel en Espagne regarde le cas concret et applique le principe de proportionnalité pour faire une pondéra- tion entre les deux normes d’égale valeur. En droit international, les droits de l’homme peuvent entrer en conflit avec d’autres droits fondamentaux des États (non ingérence dans les affaires intérieures, protection de la souverai- neté de l’État…). La Convention européenne des droits de l’homme a dit qu’elle allait étudier les États dépendants de l’importation d’aliments, voir cette situation contraire au droit fondamental à l’alimentation.

Horatia MUIR WATT

Il y a aujourd’hui une « Charte européenne des bene commune », il ne s’agit pas d’une initiative des institutions européennes, cela vient d’une initiative académique privée : Hugo Matei essaie de créer une nouvelle épis- témologie pour casser la division binaire droits individuels / droits collectifs, droits / non droits, etc. Dans la Charte, il y a cette idée qu’il y a un cœur commun de biens communs comme l’eau, l’alimentation, la liberté qui ne 15 CEDH, 21 déc. 2010, no 41696/07, Almeida Ferreira et Melo Ferreira c/ Portugal ; J.-P. MARGUÉ-

NAUD, « La socialisation du droit des contrats à la mode strasbourgeoise », RDC, 3/2011, p. 949.

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sont pas appropriables et qui, lorsqu’il faut produire une chaine d’alimenta- tion, appellent un régime spécifique. Il s’agit d’une initiative très politique, très rejetée évidemment par les juristes mais c’est juridique.

Gonzalo SOZZO

Dans le domaine de la sociologie du droit, la construction de Boaventura de Sousa Santos est formidable sur la globalisation du droit, ainsi que le travail de José Manuel Pureza dont la thèse de doctorat est en rapport avec le texte de Santos. Santos a travaillé avec Pureza et ils ont construit une théorie forte, politiquement très puissante, qui va dans cette direction.

Dominique ROSENBERG

Je suis tout à fait d’accord avec ce qui vient d’être dit, la conquête d’un droit, l’application d’un droit, l’effectivité d’un droit, c’est un processus dynamique. C’est un processus qui ne peut pas être mené seulement depuis le haut par des juristes, quel que soit leur statut, De Schutter ou d’autres, pour conduire ce droit à l’alimentation dans le champ de l’effectivité. Si l’on se réfère à tous les autres droits qui sont en haut de la hiérarchie des normes, c’est-à-dire les règles de droit impératif général, on s’aperçoit que c’est la convergence de plusieurs facteurs qui détermine les règles de droit impératif général. Il a été pris un exemple : la France est contre le droit impératif général, elle n’a signé ni ratifié la Convention de Vienne sur le droit des traités à cause de ces normes qui empièteraient sur sa souveraineté. Mais en même temps, la France fait référence de plus en plus fréquemment, dans sa pratique diplomatique, à la responsabilité internationale de protéger qui relève bien sans conteste du droit impératif général, c’est-à-dire qu’on recourt au droit impératif général sans le dire.

De plus, lorsque la France dit qu’il faut intégrer systématiquement des clauses environnementales ou des clauses sociales dans tous les traités de commerce ou d’investissement, là encore il y a un consensus occidental qui en train de se créer au sein de l’OMC, au sein de l’OIT et au sein de l’Union européenne, dans ce cas c’est bien une référence à des normes supé- rieures. Donc on voit bien que c’est un processus juridique et politique de convergence de plusieurs facteurs, pas seulement les États, pas seulement la doctrine juridique mais aussi ceux qui revendiquent le droit à l’alimenta- tion, qui peut porter cette reconnaissance : les individus, notamment par des revendications d’ordre collectif, les ONG, la société civile, les organisations internationales agissant dans le champ de l’alimentation (FAO, PAM, etc.) doivent en être parties prenantes.

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Jean-Baptiste RACINE

Pour aller dans ce sens-là, les juristes ne doivent pas se contenter d’ac- compagner le mouvement, mais doivent au contraire être des acteurs et proposer des solutions. Notamment en France, on a une tradition de juristes qui se veulent inscrits dans la neutralité. Au contraire, je pense qu’on est tous d’accord dans cette salle aujourd’hui pour dire que les juristes doivent aussi prendre position.

Valérie PIRONON

Juste une remarque, sur la question de savoir si le marché peut fonder le social et sur l’échange qu’il y a eu entre Nicolas Dissaux et Fabrice Riem. Je suis d’accord pour dire que le régime de la clause de non-concurrence illustre l’hypothèse dans laquelle c’est le marché qui fonde une liberté. Mais c’est pour faire prévaloir des droits individuels et non pas des droits collectifs. De plus on retombe de plus belle dans le paradoxe déjà évoqué : alors que dans la hiérarchie, ce sont les droits collectifs qui devraient être propulsés en haut de la pyramide, le marché va les contenir en bas. C’est la raison pour laquelle la réponse par le marché est insuffisante ; parce que le marché produit des droits fondamentaux individuels mais se méfie des droits fondamentaux collectifs.

Jean-Baptiste RACINE

Je pense qu’il y a aussi beaucoup d’instruments qui existent dans le droit positif et qui pourraient être plus utilisés notamment avec une plus grande audace. Une plus grande audace, une plus grande inventivité, une plus grande volonté de faire progresser le droit sont nécessaires. Croire au progrès du droit est aussi une tâche qui incombe aux juristes, spécialement aux juges qui sont en charge des affaires.

François COLLART DUTILLEUL

Je voudrais dire aussi un mot aux étudiants : il ne faut pas avoir l’impres- sion que, pour que les choses évoluent, il faille seulement une approche poli- tique, une approche macro-juridique, sur le droit des traités, les positions politiques des continents, etc. Il y a cet aspect, mais il y a un autre aspect, qu’on oublie trop, c’est que dans les textes existants, dans le droit existant, ceux qui rédigent les textes, qui sont le plus souvent en position de puis- sance (souvent les États-Unis), prennent toujours le soin de laisser traîner ici et là des voies différentes, des possibilités de faire valoir des intérêts diffé- rents. Il y a dans les textes existants des possibilités d’appuis juridiques qui

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ne sont pas utilisées et dont il faut faire l’analyse, qu’il faut rendre publiques. Il faut mettre sur la table, pour le donner à ceux qui ont ensuite à porter les contentieux à l’OMC ou ailleurs, un argumentaire juridique. Il y a donc cette dimension politique, incontestablement, mais il y a aussi un travail d’inventivité par rapport au droit existant qu’on ne doit pas lire de façon conformiste comme nous pousse à le faire le catéchisme officiel ou le solfège ou la grammaire du droit. Ce repérage des petits leviers utilisables dans le droit existant peut nous permettre de faire avancer les choses très utilement sans avoir à faire la révolution.

Jean-Baptiste RACINE

C’est pour ça que le droit est intéressant : il n’est ni complètement poli- tique, ni complètement technique. Il est à la lisière de la politique et de la technique.

Léa DUMONT

M. Racine, vous avez dit que les libertés économiques étaient des droits fondamentaux comme les autres, et vous distinguez entre droits fonda- mentaux marchands et non marchands, M. Dissaux, vous parlez de la même manière du fait que les marchés peuvent fonder un droit fonda- mental. Est-ce que finalement on ne part pas toujours du marché, pour ensuite établir des distinctions entre le marchand et le non-marchand, l’économique et le non-économique ? En d’autres termes, la démarche ne revient-elle pas à supposer ou à présupposer une hiérarchisation en raison- nant systématiquement par rapport à l’économique et non par rapport à l’humanisme ou autre ?

Jean-Baptiste RACINE

Oui, mais pour reprendre ce que dit Gérard Farjat, aujourd’hui c’est l’économique qui est dominant. Nos sociétés sont des sociétés économiques. La question se pose donc essentiellement en lien avec l’économie. C’est donc nécessairement par rapport à elle qu’on doit hiérarchiser les valeurs.

Léa DUMONT

Mais du coup, il y a peut être un risque que systématiquement l’écono- mique prime, ça risque de biaiser le travail de hiérarchisation.

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Table ronde no 1La nécessité de reconstruire des hiérarchies entre les droits fondamentaux Jean-Baptiste RACINE

Après la Seconde Guerre mondiale, le projet collectif, en tout cas le projet des États-Unis, était de construire le bonheur des hommes par le moyen du marché et de la société de consommation. C’est le grand projet politique de l’après-guerre : faire le bonheur de la planète par le marché (outre d’autres projets concurrents…). Je ne dis pas que c’est bien, mais c’est le projet poli- tique des soixante-dix dernières années. On ne peut donc pas évacuer la dimension économique. C’est le référent naturel et principal.

Les

droits

fondamentaux,

entre

ordre

et

désordre(s) pubLics