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Chapitre 1 : Synthèse d’amides, état de l’art

1.1 La liaison amide

1.1.1 Généralités et propriétés de la liaison amide

Un amide est un dérivé carbonylé qui se caractérise par une double liaison carbone oxygène (C=O) et une liaison simple carbone azote (C-N) ; il peut être défini comme un acide carboxylique dans lequel le groupement hydroxyle est remplacé par un groupement amine. Les amides peuvent être classés en trois sous-catégories dépendamment du nombre de groupements portés par l’atome d’azote : les amides primaires (NH2), secondaires (NHR) et tertiaires

(NR1R2). Les propriétés particulières de la liaison amide en font le dérivé carbonylé le plus

stable et par conséquent le moins réactif.1,2 Les amides ont une géométrie plane et présentent

deux formes de résonance (Figure 1).

Figure 1. Formes de résonance de la liaison amide

La paire d’électrons libres de l’atome d’azote peut être délocalisée dans la liaison π du carbonyle. Afin d’effectuer un recouvrement efficace de cette liaison, la paire libre doit se trouver dans une orbitale p, ce qui implique que l’atome d’azote doit présenter une hybridation sp2 et non sp3. En effet, l’atome d’azote d’une liaison amide n’est pas pyramidal mais trigonal. Cette hybridation donne un caractère de liaison double partielle à la liaison C-N : cette liaison ne mesure que 1,32 Å alors qu’une liaison C-N classique mesure environ 1,47 Å. Ceci implique également la perte de la libre rotation autour de cette liaison. Les amides peuvent donc se trouver sous la forme de deux rotamères cis et trans, le trans étant la forme majoritaire.

Une autre propriété remarquable des amides est leur grande polarité due à leur capacité à former des ponts hydrogène (Figure 2).

Figure 2. Formation de ponts hydrogène

Les ponts hydrogène sont également responsables de la stabilité exceptionnelle des amides et expliquent que ces composés aient des points d’ébullition extrêmement élevés pour leur poids moléculaire. Ceci est particulièrement vrai pour les amides primaires qui peuvent former plus de ponts hydrogène. On peut citer par exemple l’acétamide qui a un point d’ébullition de 222 °C alors que ses formes méthylée (N-méthylacétamide) et diméthylée (N,N-diméthylacétamide) ont des points d’ébullition de 206 °C et 165 °C respectivement.1 Les propriétés intéressantes de la

liaison amide à l’échelle moléculaire ont une répercussion importante sur les propriétés des matériaux. En 1965, Stéphanie Kwolek, une employée de la société DuPont de Nemours, a découvert le poly-para-phénylène téréphtalamide connu aujourd’hui sous le nom de Kevlar®.3

Les propriétés de résistance exceptionnelle de ce matériau, cinq fois plus résistant que l’acier tout en étant beaucoup plus léger, sont dues à la formation d’un réseau de liaisons hydrogène entre les différentes chaînes polymériques (Figure 3).

Figure 3. Liaisons hydrogène entre les chaînes polymériques du Kevlar®

1.1.2 La liaison amide dans la nature

La liaison amide est une liaison primordiale extrêmement répandue dans la nature et essentielle à la vie. En effet, l’enchaînement d’acides aminés liés entre eux par des liaisons amides, ici appelées liaisons peptidiques, constitue la structure primaire des protéines. Ces dernières possèdent de nombreuses et diverses fonctions biologiques.4,5 Elles sont nécessaires

au fonctionnement et à la régulation des tissus et des organes. Parmi les protéines essentielles, on peut citer les anticorps aidant à la réponse immunitaire, les enzymes réalisant des milliers de réactions biochimiques au sein des cellules ou les hormones agissant comme messagers afin de coordonner les processus biologiques entre les différentes cellules. Les protéines constituent également la structure de nombreux tissus du corps humain. Le collagène, la protéine la plus abondante, constitue la structure des os, des tendons, des ligaments et de la peau. Un autre exemple pertinent est la kératine, une protéine structurelle présente dans la peau, les ongles et les cheveux. Les protéines peuvent également jouer le rôle de transporteur de petites molécules. À plus petite échelle, la liaison amide est présente dans de nombreuses molécules naturelles de faible poids moléculaire. On la retrouve par exemple dans les phéromones des insectes (Figure 4).6

Figure 4. Phéromones de la mouche du melon mâle (Bactrocera cucurbitae)

Une des molécules naturelles les plus célèbres comportant une liaison amide est la pénicilline, connue pour ses propriétés antibiotiques. La pénicilline naturelle a été découverte en 1928 par Alexander Fleming à partir de souches du champignon Penicillium Notatum.7 Il a

fallu attendre une dizaine d’années avant que Howard W. Florey et Ernst B. Chain ne réussissent à isoler et purifier la pénicilline. L’importance de cette découverte a valu le prix Nobel 1945 de Physiologie et de Médicine à ces trois chercheurs talentueux. À ce stade, la structure de la pénicilline était encore inconnue. Dans les années 1940, deux structures potentielles ont été proposées : une oxazolone-thiazolidine ou un cycle β-lactame (Figure 5).

Ce n’est qu’en 1945 que la cristallographe Dorothy Crowfoot Hodgkin a pu départager les deux structures en utilisant la diffraction des rayons X en faveur de la structure β-lactame comportant donc deux liaisons amides.

1.1.3 La liaison amide dans les composés d’intérêt pharmaceutique

En 2008, une étude regroupant les données des départements de chimie médicinale de trois grandes compagnies pharmaceutiques (AstraZeneca, GlaxoSmithKline et Pfizer) a montré que les réactions de formation d’amides figuraient au premier rang des réactions réalisées ; en effet celles-ci représentent à elles-seules 16% des réactions totales.8 Il est également intéressant

de noter que sept des dix réactions les plus effectuées permettent d’obtenir des précurseurs d’amides, soit 30% des réactions totales. À titre de comparaison, le couplage croisé de Suzuki- Miyaura, souvent perçu comme la réaction favorite des chimistes médicinaux, ne représente que 4,6% des réactions effectuées en laboratoire.

Figure 6. Exemples de molécules biologiquement actives comportant une ou plusieurs

Du fait de sa grande stabilité et de sa polarité, la liaison amide est présente dans 25% des médicaments actuellement sur le marché.9 On la retrouve dans toutes les classes de médicaments

tels que dans les anti-inflammatoires, les anti-dépresseurs, les anti-psychotiques, les anti- hypertensifs, les anti-cancéreux, les anti-infectieux ou les antibiotiques (Figure 6).10-13