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Chapitre 1 : Synthèse d’amides, état de l’art

1.2 Méthodes traditionnelles de synthèse d’amides

1.2.2 Activation du partenaire acide carboxylique

1.2.2.3 Les agents de couplage : formation d’un ester activé

1.2.2.3.1 Les carbodiimides

En 1955, le groupe du Pr. Sheehan a décrit l’utilisation du N,N′-dicyclohexyl- carbodiimide (DCC) comme agent de couplage pour la formation de liaisons amides et de liaisons peptidiques.38 À ce jour, les carbodiimides demeurent une des classes d’agents de

couplage les plus utilisés pour la formation de liaisons amides. Bien que très efficace et compatible avec la synthèse peptidique en phase solide (SPPS), le DCC présente un problème de purification majeur ; en effet la dicyclohéxyle urée (DCU) générée est très difficile à séparer des produits finaux. La DCU s’est avérée être seulement soluble dans l’acide trifluoroacétique, ce qui rend l’utilisation du DCC incompatible avec la synthèse solide utilisant le groupement protecteur tert-butoxycarbonyle (Boc-SPPS). Ainsi, des versions de carbodiimides plus solubles dans le dichlorométhane et donc compatibles avec la Boc-SPPS ont été développées : le DIC, le CIC et l’EDC (Figure 10). De nombreux carbodiimides avec différentes substitutions ont été développés au fil des années afin d’élargir le champ d’action de ces composés et d’améliorer leur performance. Le BDDC, par exemple, a pu être appliqué tant à la synthèse de peptides qu’à la synthèse d’ester tert-butyliques pour laquelle les carbodiimides présentés précédemment sont inefficaces.39 De plus, il a été montré que l’utilisation de carbodiimides dissymétriques tels que

le BMC, le PEC ou le PIC par exemple, pouvait permettre de limiter la formation de N-acyl- urée, produit secondaire non productif, ainsi que l’épimérisation du produit final.40

Figure 10. Sélection de carbodiimides parmi les plus courants

Il est à noter que malgré l’abondance de carbodiimides disponibles, seulement trois sont utilisés à échelle industrielle de manière routinière, à savoir le DCC, le DIC et l’EDC.21 Les

carbodiimides contiennent deux atomes d’azote. Ceux-ci, bien que faiblement basiques, sont capables d’effectuer un transfert de proton avec l’acide carboxylique afin de former un sel de carboxylate. Ce dernier, par réaction d’addition sur le carbodiimide protoné, génère une O-acyl- isourée très réactive (Schéma 3). Le partenaire amine réagit très facilement sur cet intermédiaire activé pour former la liaison amide désirée (voie A). Cependant, un anhydride symétrique a pu être observé lors de cette réaction, suggérant un mécanisme plus complexe (voie B).41 Dans le

cas de la synthèse peptidique, une oxazolone est obtenue par cyclisation de l’O-acyl-isourée conduisant également à l’amide par aminolyse (voie C). L’oxazolone est cependant moins réactive que les précédents intermédiaires et peut conduire à une racémisation du centre chiral en α du partenaire acide carboxylique. La réaction parasite à la formation de la liaison amide est le transfert irréversible du groupement acyle de l’atome d’oxygène de l’O-acyl-isourée à l’atome d’azote voisin pour former une N-acyl-urée non réactive (voie E). Afin d’éviter cette réaction

indésirable, des additifs capables de protoner l’O-acyl-isourée et d’ainsi empêcher la réaction intramoléculaire sont souvent utilisés, le 1-hydroxybenzotriazole (HOBt) étant le plus commun (voie D). Ces additifs permettent également, dans de nombreux cas, de limiter la racémisation.42 Schéma 3. Mécanisme de formation d’une liaison amide par activation avec un carbodiimide

Au début des années 1990, le groupe du Pr. Carpino a apporté une importante contribution en proposant le HOAt comme alternative plus réactive au HOBt.42 Cette réactivité

accrue peut être expliquée par deux effets de l’atome d’azote situé en position 7 : il permet de rendre le OAt un meilleur groupe partant que le OBt et procure un effet d’assistance anchimérique conduisant à une plus grande réactivité et une plus faible épimérisation (Figure 11).

Figure 11. Assistance anchimérique de l’HOAt

Parallèlement à ces travaux, des agents de couplage plus performants ont été développés en incorporant un motif benzotriazole dans leur structure : les sels de phosphonium et les sels de guanidinium/uronium. Cette modification permet de regrouper l’agent de couplage et l’additif en un seul réactif.

1.2.2.3.2 Les sels de phosphonium

En 1969, le groupe du Pr. Kenner fut le premier à rapporter l’utilisation de sels d’acylphosphonium comme agents de couplage en synthèse peptidique.43 Quelques années plus

tard, inspiré par ces travaux pionniers, le groupe du Pr. Castro a développé le premier sel de phosphonium à base de HOBt : l’ hexafluorophosphate de benzotriazol-1-yloxy-tris-(diméthyl- amino)phosphonium (BOP), aussi appelé réactif de Castro.44 Suite aux recherches approfondies

des groupes des Prs. Castro et Coste, les sels de phosphonium ont été largement adoptés par la communauté chimique.45

La réaction d’amidation utilisant un sel de phosphonium nécessite l’ajout d’une base, généralement la triéthylamine ou la N,N-diisopropyléthylamine (DIPEA) aussi appelée base de Hünig, afin de déprotoner l’acide carboxylique (Schéma 4). Le carboxylate peut ensuite réagir avec le sel de phosphonium, ici BOP, pour former l’acylphosphonium activé et libérer le OBt (forme déprotonée de HOBt) qui réagit rapidement avec l’acylphosphonium pour former un ester activé ; celui-ci subit ensuite une réaction d’aminolyse pour donner l’amide. Bien que l’acylphosphonium ait été proposé comme espèce active, les groupes des Prs. Castro et Dormoy ont suggéré qu’au vu de la haute réactivité de cette espèce, une réaction rapide avec les ions carboxylates présents dans le milieu pouvait conduire à la formation d’un anhydride symétrique. Cette hypothèse a été appuyée, quelques années plus tard, par le groupe du Pr. Hudson à l’aide d’études cinétiques.46 Comme dans le cas des carbodiimides, la réaction peut passer par la

Schéma 4. Mécanisme de la réaction d’amidation en utilisant un sel de phosphonium

Malgré sa grande efficacité, le BOP présente un inconvénient majeur : la formation d’un produit secondaire cancérigène, l’hexaméthylphosphoramide (HMPA), limitant son utilisation à échelle industrielle. Afin de contrecarrer ce problème, les groupes des Pr. Coste et Castro ont développé un nouveau sel de phosphonium en remplaçant les groupements diméthylamines par des groupements pyrrolidines, libérant ainsi de l’oxyde de tris(pyrrolidin-1-yl)phosphine plutôt que du HMPA : le PyBOP (Figure 12).47 Différentes versions de ce réactif ont ensuite été

développées telles que le PyCloP et PyBroP, en particulier pour le couplage difficile d’acides aminés N-méthylés pour lequel le PyBOP s’est avéré inefficace.45 Cette différence de réactivité

peut être expliquée par la différence d’encombrement stérique autour de l’atome de phosphore. Dans le cas du PyBOP, le groupement HOBt, très efficace pour le couplage d’amines primaires, présente un encombrement trop important pour réagir avec une amine secondaire, ce qui conduit à des réactions de dégradation. Le remplacement de ce groupement par un atome d’halogène, chlore ou brome, a permis d’obtenir de très bons résultats pour ces couplages.

Figure 12. Structures de différents sels de phosphonium

Cette nouvelle génération de sels de phosphonium reste néanmoins peu utilisée à grande échelle du fait de son coût important.21

1.2.2.3.3 Les sels de guanidinium et d’uronium

En 1978, un nouvel agent de couplage peptidique a été développé suite aux travaux du groupe du Pr. Dourtoglou. Celui-ci résulte de la réaction de HOBt avec le chlorure de tétraméthyluronium (TMU-Cl).48 Une structure de type sel d’uronium a tout d’abord été

attribuée au produit obtenu (le HBTU lorsque le contre-anion est un hexafluorophosphate ou le TBTU lorsque celui-ci est un tétrafluoroborate) par analogie avec les sels de phosphonium. Les premiers comportent un atome de carbone à la place de l’atome de phosphore présent dans les seconds. Il a ensuite été montré par diffraction des rayons X que ces sels cristallisaient préférentiellement sous la forme de sels de guanidinium plutôt que de sels d’uronium (Figure 13).49,50

Figure 13. Structure des sels de guanidinium/uronium

La diversité importante au sein de cette catégorie d’agents de couplage témoigne de leur grande popularité. Une liste non exhaustive de ces composés est présentée ci-dessous (Figure 14). La structure de ces sels peut être divisée en trois parties : la partie amidine, la partie groupe partant de type HOX et le contre-ion. Ce dernier n’a pas d’influence sur la réactivité.48,51

La partie amidine, quant à elle, joue un rôle important dans la réactivité et la stabilité des différents sels.52,53 Une grande partie des sels d’uronium sont synthétisés à partir de la TMU et

contiennent donc un motif tétraméthylamidine tels que HBTU, HPTU, HDTU, HSTU par exemple. De nouveaux agents de couplage, plus réactifs mais néanmoins moins stables, ont pu être obtenus par remplacement de ce motif par un motif pyrrolidine (HBPyU54 et HAPyU55) ou

dihydroimidazole (HBMDU56 et HAMDU55). Plus récemment, les groupes des Prs. El-Faham

et Albericio ont décrit une nouvelle catégorie de sels de guanidinium dérivée de diméthylmorpholine urée, dont HDMB et HDMA font partie.57,58 La force de cette nouvelle

catégorie réside dans l’atome d’oxygène du motif morpholine qui confère une plus grande solubilité à ces agents allant de pair avec une plus grande réactivité.

Plusieurs modifications ont également été effectuées au niveau du groupe partant. Tout comme pour les carbodiimides et les sels de phosphonium, l’utilisation du HOAt plutôt que du HOBt initialement utilisé, donnant HATU, a permis l’obtention de couplages plus rapides et présentant un plus faible taux d’épimérisation.42,59 Bien que très populaires, des alternatives aux

benzotriazoles ont été envisagées en particulier à cause de la dangerosité liée à ces motifs. En effet, en 2005, des chercheurs du “Bundesanstalt für Materialforschung und -prüfung” et de Bayer ont montré que le HOBt, et le HOAt dans une encore plus grande mesure, présentaient un caractère explosif.60 À la suite de ces recherches, le classement de ces composés en tant

qu’explosifs a rendu leur transport plus difficile, interdisant leur acheminement par voie aérienne. Parmi les alternatives possibles, on peut citer l’utilisation d’un pentafluorophénol (HPFTU et TPFTU),61 d’un N-hydroxysuccinimide (HSTU et TSTU),19 d’une pyridone (HPTU

et TPTU)19 ou d’une benzotriazine (HDTU et TDTU).62 Ces réactifs se sont cependant avérés

Figure 14. Sélection de sels de guanidinium/uronium fréquemment utilisés

A la recherche d’une classe d’additifs plus sécuritaire que le HOBt mais tout aussi efficace, les groupes des Prs. El-Faham et Albericio se sont intéressés à la famille des oximes,63

ces dernières ayant précédemment été appliquées à la synthèse peptidique au début des années 1970 par le groupe de Pr. Itoh64 et quelques années plus tard par le groupe du Pr. Izdebsky.65

Afin d’essayer de synthétiser un agent de couplage optimal, l’unité diméthylamino-morpholino- amidine développée précédemment pour apporter une bonne solubilité a été combinée avec l’acétate d’éthyl-1-cyano-2-(hydroxyimino) (Oxyma) pour une bonne réactivité, créant le COMU.66 Ce réactif présente une réactivité similaire, voire meilleure, que ses analogues

comportant un groupement benzotriazole et une dangerosité moindre. Seul un équivalent de base est nécessaire avec ce réactif plutôt que les deux habituellement requis. De plus, la 2,4,6-

triméthylpyridine, aussi appelée collidine, moins basique que la DIPEA, peut également être utilisée et permet de limiter la racémisation. Il est à noter que l’utilisation de cet agent de couplage permet un suivi très facile de la réaction grâce à un changement de couleur indiquant la fin de celle-ci : le milieu réactionnel passe de rouge orangé à jaune lorsque la DIPEA est utilisée et de rose à incolore en présence de collidine. Un autre point fort de COMU est sa compatibilité avec les synthétiseurs peptidiques utilisant l’irradiation micro-ondes, qui en fait un des réactifs aujourd’hui les plus couramment utilisés pour la synthèse peptidique en phase solide (SPPS).67

Bien que de nombreux agents permettant des couplages rapides et efficaces soient disponibles, la formation de liaisons amides reste un défi pour la communauté chimique. En effet, il n’existe, à ce jour, aucune méthode universelle et « verte » d’amidation. L’inconvénient majeur de tous les agents de couplage énoncés précédemment est de ne pas rencontrer le principe d’économie d’atomes. De plus, certains d’entre eux présentent une dangerosité ou toxicité intrinsèque ou due au produit secondaire formé. Ainsi, en 2007, « l’ACS Green Chemistry Institute® Pharmaceutical Roundtable » a désigné le développement de nouvelles méthodes

d’amidation comme étant l’une des priorités de recherche en chimie organique.68 Ceci est

toujours le cas aujourd’hui ; en effet, cette réaction se classe en deuxième position sur la liste mise à jour en 2018.69 Suite à cela, plusieurs critères ont été établis :

- la réaction doit être de préférence catalytique ou utiliser un agent de couplage économe en atomes ;

- les solvants et les réactifs utilisés doivent être plus respectueux de l’environnement ; - les déchets générés doivent être limités ;

- le procédé doit être robuste et facilement applicable à échelle industrielle.

Les prochaines sections présentent une vue d’ensemble des nouvelles méthodologies qui se basent sur une autre stratégie que l’utilisation stœchiométrique d’un agent de couplage pour la synthèse d’amides.70-72