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Chapitre 3 : Introduction aux concepts de la photochimie et état de l’art de la synthèse de

3.2 Introduction à la chimie en débit continu

Les concepts liés à la photochimie ayant été présentés, une brève introduction à la chimie en débit continu, outil clé pour le développement du second projet de cette thèse, va être réalisée. La chimie en débit continu implique l’utilisation de tubulures de très petit diamètre plutôt que de verrerie classique. Cette technologie permet d’obtenir un contrôle très précis des paramètres réactionnels et, dans certain cas, de réaliser des réactions non faisables en chimie conventionnelle, aussi appelée batch.233

3.2.1 Généralités

Dans une réaction en batch, les réactifs et le solvant sont ajoutés dans un ballon, soit en une seule fois, soit séquentiellement (dans le cas d’une addition lente par exemple) et sont ensuite mélangés grâce à un agitateur magnétique ou mécanique. La conversion des produits de départ en produit désiré se fait de façon homogène spatialement. Au bout du temps requis, la réaction est neutralisée puis traitée. Le temps entre le début de la réaction et la neutralisation correspond au temps de réaction.

Dans le cas d’une réaction en débit continu, les réactifs A et B sont acheminés dans le réacteur à l’aide de pompes (Figure 29). La stœchiométrie de la réaction est contrôlée par les débits et la concentration des solutions utilisés. Le mélange de A et B se fait généralement dans un mélangeur en forme de T avant l’injection dans le réacteur. Ce dernier peut être chauffé ou refroidi, ou bien irradié par une source lumineuse. Le réacteur peut être constitué de tubulures en polymère (PFA (perfluoroalcoxy alcane) ou FEP (perfluoroéthylène propylène)) ou en acier inoxydable selon l’utilisation souhaitée. La réaction évolue de façon spatiale dans le réacteur : en effet, le ratio produit désiré P sur mélange de réactifs A et B sera plus important vers la sortie du réacteur que vers l’entrée de celui-ci. Le temps que passe une section donnée du mélange réactionnel entre l’entrée et la sortie du réacteur est appelé temps de résidence (tR). Il est à noter

que celui-ci est différent du temps total nécessaire à ce que tout le mélange réactionnel traverse le réacteur, appelé temps du procédé (tP). Un régulateur de pression ou BPR (Back Pressure

Regulator) est très souvent placé à la sortie du réacteur afin de contrôler la pression à l’intérieur de celui-ci. Cela permet par exemple de garder des espèces chimiques en solution à des

températures où elles devraient être sous forme de gaz. Le produit désiré P est récolté en fin de ligne dans un flacon collecteur.

Figure 29. Représentation schématique simplifiée d’un montage de chimie en débit continu

Il est également possible d’ajouter des modules de purification en ligne tel qu’un extracteur liquide-liquide par exemple, afin de pouvoir réaliser des synthèses multi-étapes en débit continu234-236 ainsi que des modules d’analyses en temps réel tel qu’un spectromètre

infrarouge, afin d’optimiser la réaction plus rapidement et plus efficacement ou d’effectuer des études mécanistiques grâce à l’observation d’intermédiaires réactionnels.237-239

3.2.2 Avantages de la chimie en débit continu

L’utilisation de la chimie en débit continu présente divers avantages comparée à la chimie en batch.233,240 Cette technologie permet de réaliser des réactions très rapides, de l’ordre

de la seconde ou de la milliseconde, ce qui est impossible à mettre en œuvre dans un ballon. Ce domaine de la chimie en débit continu est appelé chimie éclair (Flash Chemistry).241 Cette

chimie permet d’obtenir des réactivités non accessibles en batch, faisant de la technologie en débit continu un outil de synthèse puissant. Un exemple pertinent est l’application de la chimie éclair aux réactions impliquant des organométalliques. Le groupe du Pr. Tashida par exemple, a pu réaliser la mono-addition de dérivés de phényllithium sur des oxalates dialkylés pour former les cétones correspondantes.242

L’emploi de tubulures de très petit diamètre permet un meilleur transfert thermique et donc un meilleur contrôle de la température. En effet, celle-ci est plus homogène que dans un ballon dans lequel la température centrale est plus faible que celle des parois, notamment dans le cas de réactions à grande échelle. L’utilisation de la chimie en débit continu peut présenter

un avantage tant pour les réactions thermiques que cryogéniques. Ces dernières peuvent généralement être réalisées à des températures plus élevées que leur équivalent en batch. Ainsi, une équipe de chercheurs de l’entreprise Novartis a décrit la réalisation d’une réaction de Matteson à -30 °C alors que les conditions classiques de température requises pour cette réaction sont de l’ordre de -100 °C.243 Dans le cas des réactions à hautes températures lesquelles peuvent

également être réalisées sous hautes pressions, l’utilisation de la chimie en débit continu permet d’éliminer la phase gazeuse -aussi appelée Head Space- présente au-dessus du mélange réactionnel dans la chimie en batch. Toutes les espèces sont alors maintenues en solution avec une concentration constante.244

Un des avantages majeurs de la chimie en débit continu est qu’elle permet de mettre en place des procédés plus sécuritaires.245 Le circuit fermé permet de générer et/ou manipuler des

espèces très toxiques et réactives telles que du cyanure d’hydrogène,246 du monoxyde de

carbone,247 du phosgène,248 des azotures249 ou du diazométhane250 par exemple, sans qu’il y ait

de contact avec l’utilisateur. Les espèces sont alors générées en petite quantité et directement consommées, ce qui limite l’accumulation de substances dangereuses et diminue le risque d’accident. La chimie en débit continu permet également de réaliser des réactions très exothermiques de manière plus sécuritaire telles que des réactions de nitration, la chaleur pouvant être dissipée plus efficacement.251

Tous les avantages présentés précédemment sont de réels atouts lors de la montée en échelle de réactions chimiques.252 Dans le cas de la chimie en débit continu, la montée en échelle

ne signifie pas nécessairement l’augmentation de la taille du réacteur qui peut poser divers problèmes tels que l’agitation et le contrôle de la température, mais l’augmentation du temps du procédé. Ceci permet de considérablement diminuer la taille des installations nécessaires à la synthèse d’API.253 La technologie en débit continu peut permettre d’obtenir des productions

journalières très élevées. En effet, on peut citer l’exemple impressionnant du procédé de synthèse de l’acrylonitrile qui permet d’obtenir 40 tonnes de produit final par jour. De plus, une amélioration du rendement ainsi qu’une diminution des déchets de 15% ont pu être obtenues par rapport au procédé en batch.254 Les procédés en débit continu peuvent également constituer

une alternative plus verte à leurs analogues en batch.255,256 Ainsi, au vu des avantages

l’industrie pharmaceutique pourraient être améliorés en utilisant la technologie en débit continu.257 Une revue récente de la littérature montre que celle-ci a effectivement trouvé sa place

dans ce domaine.258

3.2.3 Photochimie en débit continu

L’avantage le plus pertinent pour ce manuscrit que peut apporter la technologie en débit continu est que celle-ci permet une meilleure irradiation lors de réactions photochimiques.259-261

En effet, la limitation principale de la photochimie est l’absorption de la lumière par le milieu réactionnel et par la verrerie en elle-même régie par la loi de Beer-Lambert. Ainsi seulement 0,1 à 1% de la lumière émise est transmise sur une distance de 0,1 cm dans des conditions classiques de concentration. Cela signifie que même lors de l’utilisation d’un ballon de 1 cm de diamètre, la majorité du milieu réactionnel n’est pas irradié. Ceci explique que des temps de réactions longs et une agitation importante soient nécessaires pour les réactions photochimiques réalisées en batch. De plus, de la verrerie spécialisée en quartz, relativement onéreuse, peut être requise dans le cas d’une irradiation UV.

Dans le cas de la chimie en débit continu, l’utilisation de tubulure de faible diamètre (généralement de 100 à 1000 μm) et perméable à la lumière permet une irradiation optimale et uniforme du mélange réactionnel qui reçoit la quasi-totalité de la lumière émise. Les réactions développées sont donc plus reproductibles et robustes. En effet, leur montée en échelle pose moins de problèmes contrairement à leurs pendants réalisés en batch.

De plus, les temps de réaction réduits permettent d’augmenter grandement la productivité d’un processus photochimique. En effet, le groupe du Pr. Zeitler a comparé la productivité d’un réacteur de type batch et d’un réacteur constitué de tubulures en FEP dans une réaction d’α-alkylation de l’octanal et a montré qu’une productivité 106 fois supérieure pouvait être obtenue grâce au montage en débit continu tout en conservant le rendement et avec une énantiosélectivité similaire (Figure 30).262

Figure 30. Amélioration de la productivité d’une réaction photochimique en utilisant la

technologie en débit continu