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Les leviers pour relever les défis de la production d’énergie nucléaire durable

I.5 L’avenir du nucléaire - enjeux énergétiques pour le futur 37

I.5.3 Les leviers pour relever les défis de la production d’énergie nucléaire durable

durable

I.5.3.1 L’intérêt des hautes températures

Les hautes températures présentent le double avantage d’améliorer le rendement et d’accéder à des processus industriels plus propres.

Gain en rendement thermodynamique

Comme tout système thermodynamique, la contrainte de rendement d’une centrale nucléaire est imposée par Carnot :

η = 1 −Tf

Tc (I.5.1)

La température de la source froide est imposée par la nature, puisqu’il s’agit de la température de l’eau du fleuve ou de la mer qui refroidit le circuit secondaire. Elle peut atteindre environ 30˚C. Dès lors, le ren-dement accessible dépend essentiellement de la température de la vapeur dans le générateur de vapeur, qui elle même dépend de la température du circuit primaire. Pour une installation industrielle fonctionnant à pression constante de 70 bar, on obtient une température de 560˚K (formule de Duperray), ce qui entraîne un rendement maximal accessible de l’installation de 46%.

Une façon d’améliorer cette performance serait d’augmenter la température de fonctionnement du réacteur. A très haute température, i.e. à partir de 900K, on arrive à un rendement maximal accessible qui dépasse 67%.

Un autre intérêt des hautes températures : quelques procédés industriels

Parmi les applications à très hautes températures les plus envisagées se trouve la production d’hydro-gène.

44 I.5.3 Les leviers pour relever les défis de la production d’énergie nucléaire durable

En effet, cette co-génération permettrait, entre autres, de s’affranchir du pétrole pour le processus de pro-duction d’hydrogène. L’hydrogène étant un combustible possible pour les voitures du futur, la génération d’hydrogène à l’aide d’installations nucléaires pourrait permettre de construire une filière de transports par-ticuliers affranchie de tout combustible fossile.

Par ailleurs, les hautes températures sont requises pour la désalinisation (ou dessalement) de l’eau de mer, et cette opération consomme beaucoup d’énergie. L’AIEA s’intéresse de près à l’utilisation de l’énergie nucléaire pour la désalinisation [7].

Ces deux applications, prometteuses, constituent des priorités de l’AIEA en termes d’utilisation de l’énergie nucléaire pour des utilisations différentes de l’électricité [8].

I.5.3.2 Le gain sur la consommation du combustible

Une autre manière d’économiser le combustible est d’accéder à des burnups plus élevés. Pour cela, on peut jouer sur l’enrichissement du combustible, voire changer de paradigme : au lieu d’un cycle combustible à base d’235U ou de MOX (235U, 239Pu, ce qui constitue déjà en-soi une prolongation de l’utilisation du combustible), passer à un cycle combustible utilisant l’233U.

Le passage à un cycle232Th/233U

Le passage à un cycle232Th/233U présente deux intérêts principaux :

– le thorium existe en grande abondance sur Terre, ce qui permettrait de gagner des dizaines d’années d’autonomie en combustible, même avec un cycle combustible ouvert ;

– les déchets (AM) produits avec un cycle232Th/233U ont une durée de vie beaucoup plus faible que ceux produits avec le cycle actuel.

La principale difficulté liée à ce changement de type de combustible est que l’233U n’existe pas à l’état naturel et que pour démarrer une filière, il faut commencer par irradier du232Th dès à présent, au sein de réacteurs d’aujourd’hui. La seconde est l’élimination du233Pa, poison neutronique, du combustible ; la troisième, enfin, est la présence d’232U radiotoxique et qui, par décroissances successives produit du208Ti, également radiotoxique qui rendent la manipulation du combustible délicate.

La mise en place de cibles de232Th dans les réacteurs existants n’est pas sans risque vis-à-vis de la sûreté des installations nucléaires actuelles car elles sont susceptibles d’en perturber les propriétés neutroniques (nous expliciterons brièvement ce point dans la section I.6) et il convient donc de mener des études de faisabilité. Ce type d’études est mené notamment à l’IPN d’Orsay et au LPSC de Grenoble (nous citerons par exemple : [9], [10], [11]).

La fermeture du cycle combustible

La fermeture du cycle combustible est un enjeu majeur, car, en définitive, il s’agit de la seule véritable démarche "durable" puisqu’elle permet la surgénération. En effet, l’idée est de réaliser des réacteurs iso-voire sur-générateur, i.e. qui produisent au moins autant de combustible qu’ils n’en consomment. Les fi-lières238U/239Pu et232Th/233U sont toutes les deux envisageables.

Une difficulté liée à la mise en œuvre de tels réacteurs est l’inventaire initial en239Pu requis pour dé-marrer la filière. En effet, un réacteur de la génération actuelle produit de l’ordre de la centaine de kg de plutonium par an, tandis que l’inventaire initial pour démarrer un réacteur de type SUPERPHENIX requière de l’ordre de grandeur de la tonne en plutonium. Les États ne sont donc pas tous égaux pour l’accès aux réacteurs surgénérateurs : ceux qui disposent déjà d’un parc électro-nucléaire sont mieux armés.

De plus, une telle industrie nécessite la mise en place d’usines de retraitement du combustible supplé-mentaires dans le monde. En effet, à ce jour, seuls la France, le Japon, le Royaume-Uni et la Russie disposent de telles usines [12]. On voit donc ici qu’au-delà du défi technologique et de physique des réacteurs, la tran-sition vers la fermeture du cycle du combustible nécessite une approche systémique, incluant notamment les infrastructures et les capacités industrielles associées au cycle complet [12].

I.5 : L’avenir du nucléaire - enjeux énergétiques pour le futur 45

I.5.3.3 La transmutation des déchets

Il nous reste à évoquer le problème des déchets nucléaires. Ceux-ci sont au cœur de nombreux débats. En France, la loi Bataille de 1991, prolongée en 2006 a demandé une évaluation scientifique des perspectives industrielles en 2012 selon trois axes :

– séparation et transmutation des déchets ; – stockage en formations géologiques profondes ;

– conditionnement et entreposage de longue durée en surface.

Dans les déchets d’un réacteur nucléaire, on trouve les produits de fission d’une part, et on trouve les acti-nides mineurs (AM) (notamment neptunium, américium et curium) dont la période est longue (de l’ordre de quelques millions d’années) et la radiotoxicité, grande. Ces AM sont produits avec les captures neutroniques successives de l’uranium, plutonium . . .

L’objectif de la transmutation est de transformer ces noyaux radiotoxiques à durée de vie longue en des noyaux à durée de vie bien plus courte, en les faisant réagir avec des neutrons, de préférence rapides, ce qui tend à les faire émettre des noyaux légers, voire fissionner. Au bilan, on obtient des noyaux à durée de vie nettement plus courte (quelques centaines d’années).

Pour cela, deux voies sont possibles : la transmutation des déchets au sein d’ADS (Accelerator Driven System) ou en couverture de réacteurs à neutrons rapide.

Transmutation des AM avec un ADS (Accelerator Driven System)

Une première approche consiste à utiliser des réacteurs fonctionnant en mode sous-critique pilotés par accélérateurs : les ADS. Dans ces systèmes, l’équilibre neutronique du réacteur nécessite un apport extérieur de neutrons : la marge de sous-criticité ainsi introduite (quelques %) permettrait d’utiliser des combustibles très chargés en actinides mineurs dans des conditions de sûreté satisfaisantes. On envisage alors des parcs de réacteurs en « double strate » : pour le parc français, par exemple, il faudrait un parc d’une vingtaine d’ADS composés d’EFIT3dont la puissance unitaire est d’environ 385 MWth, pour transmuter l’ensemble des AM provenant du parc de production d’électricité [13].

Le principe des ADS est d’accélérer des protons vers une cible située au milieu du cœur du réacteur, qui, lui, est sous-critique4. Cette cible, constituée de noyaux lourds, permet la production de neutrons par spallation. Ces neutrons produits constituent l’appoint pour le cœur afin de maintenir l’équilibre neutronique. À Keff fixé, la puissance thermique souhaitée est atteinte en ajustant l’intensité du faisceau. En effet, le nombre de neutrons émis par la cible de spallation, donc le nombre de fissions induit dans le cœur sous-critique, est directement proportionnel à l’intensité du faisceau.

Le projet MEGAPIE a permis de réaliser avec succès une cible de spallation liquide soumise à un faisceau de protons de puissance 1 MW, à PSI, en Suisse (2006). Le projet MYRRHA/XT-ADS constitue le démonstrateur d’ADS européen prévu pour être opérationnel en 2023 [15].

Transmutation des AM avec un RNR

La transmutation des AM avec un RNR repose sur le même principe de faire émettre des noyaux légers par les AM en les faisant réagir avec des neutrons relativement rapides. L’avantage d’un RNR par rapport à un spectre thermique, est donc de fonctionner avec des neutrons rapides, ce qui lui donne une meilleure chance d’incinérer plus d’AM qu’il n’en produit lui-même par rapport à un réacteur à spectre thermique. Pour cela, deux options sont envisagées, présentant chacune des avantages et inconvénients dont la balance n’est pas encore définitivement tranchée[16]. La première, que nous ne traiterons pas dans le cadre de cette thèse est la transmutation en mode homogène. Elle consiste à mettre les AM au sein même du cœur. Son principal intérêt est de maximiser le taux de transmutation mais il ressort de l’article [16] que son principal

3. démonstrateur européen pour la transmutation à l’échelle industrielle, suite logique de MYRRHA 4. la notion de criticité est abordée section I.6