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Peu d’études permettent de rendre compte de la fréquence de cette symptomatologie chez les enfants de 6 à 11 ans. Une recherche épidémiologique réalisée

dans le Tarn par E. Mullens (1996) a permis de sonder 4832 personnes sur la qualité de leur sommeil : parmi les enfants de 2 à 12 ans, 6 % se réveillent 3 fois et plus au cours de leur sommeil et 2 % prennent quelquefois des hypnotiques pour dormir. La subjectivité des autres indicateurs recensés ne permet pas leur prise en compte. Il est par exemple demandé aux enfants s’ils se sentent fatigués au réveil et s’ils pensent bien et/ou suffisamment dormir. De plus, les deux comportements que nous relatons précédemment expriment plus probablement un déséquilibre psychique d’origine endogène et/ou exogène. Les résultats de cette étude mettent surtout en exergue le rôle des facteurs environnementaux et sociaux. Une autre recherche, menée en Finlande par E. J. Paavonen et coll. (2000) et portant sur 5813 enfants de 8 et 9 ans, révèle que 21.7 % des parents se plaignent de la présence, chez leur enfant, d’un trouble du sommeil.

Ainsi, et malgré le manque d’informations statistiques, nous devons nous rendre à l’évidence que les troubles du sommeil, si fréquents dans la petite enfance et dans l’adolescence, n’épargnent pas les enfants de la période de latence.

C. Les troubles du sommeil sous l’éclairage psychanalytique.

L’approche psychanalytique permet d’expliquer les difficultés d’endormissement et les éveils nocturnes. Les premiers renvoient à un dysfonctionnement des mécanismes

1 41 % des enfants de 8 mois atteints de troubles du sommeil en auront encore à 3 ans, 87 % des enfants de 3 ans

atteints de troubles du sommeil en seront affectés à 6 ans et 40 % des enfants de 8 ans atteints de troubles du sommeil en souffraient déjà à l’âge de 3 ans (Golse, 2000).

2 45 % des enfants présentant un trouble du sommeil à 3 ans sont affectés d’autres symptômes fonctionnels à 3

psychiques énoncés par M. Fain (1998) tandis que les seconds correspondent à une faillite de la fonction du rêve.

Selon le point de vue psychanalytique soutenu par M. Fain (1998), trois mécanismes

psychiques fondamentaux sont nécessaires à la survenue de l’endormissement. L’enfant

de la période de latence peut habituellement assumer la mise en place de ces mécanismes étant donné que celui-ci possède normalement des capacités de fantasmatisation, de régression et une instance moïque en construction.

Ainsi, le sommeil demande une suspension des investissements extérieurs et une

inhibition motrice qui « permet une hallucination du corps en mouvement sans que cela se manifeste au niveau de la motricité »1. Ce phénomène ne se produit que si la détente physique et psychologique est satisfaisante, ce que l’état anxieux ne permet pas d’obtenir en raison de la tension psychique qu’il procure.

Deuxièmement, l’entrée dans le sommeil nécessite un repli de la libido. Cette dernière, qui dans l’état de veille autorise l’investissement libidinal des objets externes, doit se retourner sur elle-même à des fins narcissiques d’autoconservation, de restauration et de maturation corporelle. L’enfant doit renoncer à l’action, à la communication, à l’état de conscience et, d’une manière globale, à tout intérêt porté habituellement à autrui. Ce renoncement est difficile à réaliser pour l’enfant anxieux car le retournement de la libido sur elle-même le confronte à ses propres pulsions et à ses angoisses, sans possibilité d’étayage extérieure et sans possibilité de s’investir ailleurs.

Enfin, l’individu doit être capable d’effectuer une régression à la position passive car l’état de sommeil possède des caractéristiques similaires à celui du fœtus dans le corps maternel : la chaleur, la mise à l’écart des excitations et la position corporelle. Ainsi, « une

certaine opposition entre la veille (le jour) et le sommeil (la nuit) est nécessaire pour que s’opère une régression qui permet à la libido de retrouver des qualités qui existaient au plus haut point lors de la gestation »2. Il s’agit donc d’une régression qui concerne le développement de la libido et suscite le désir de dormir et le retour au narcissisme primaire. La régression porte aussi sur le développement du moi qui ramène alors ce dernier au stade de la réalisation hallucinatoire du désir. Deux types de régression peuvent donc être opposés

1 FAIN M. (1998). « Brève introduction à une discussion sur le système sommeil-rêve ». Revue française de

Psychanalyse. 14. p. 10.

(Press, 1998). La régression confronte l’enfant à ses pulsions et ses angoisses prégénitales qui, si elles ne sont pas élaborées, deviennent insoutenables.

La régression à la position passive n’est pas une prédisposition innée de l’être humain, ce que révèle la présence de symptômes précoces chez les nouveau-nés. Elle est en étroite relation avec la fonction de pare-excitation parentale qui la rend possible. Le bébé qui se raidit et lutte activement contre la pénétration de la tétine montre son incapacité à entrer dans la position passive, ce qui peut être la conséquence d’une surcharge d’excitations tant chez celui-ci que chez le parent qui nourrit. L’accès à la position passive s’organise donc de

manière précoce et engage d’abord les régulations somatiques pouvant apaiser les décharges

motrices (Debray, 1999).

La régression à la position passive et le désinvestissement des objets extérieurs impliquent une diminution de l’efficacité des mécanismes de défense rigides1 et, par conséquent, favorisent une recrudescence de l’anxiété et des angoisses sous-jacentes non

élaborées. Ingérables, ces dernières deviennent la cause possible de troubles du sommeil et

plus précisément de l’endormissement.

Notre exposé tend à montrer que les enfants anxieux utilisent massivement la régression pour faire face à leurs angoisses. Mais, grâce aux apports de M. Fain (1998), nous pouvons les différencier de ceux présentant des troubles du sommeil car ces derniers ne posséderaient pas cette capacité à régresser.

Une hypothèse théorique concernant la capacité ou non à régresser à la position

passive (H3) peut donc être formulée :

H3 : Les enfants anxieux en période de latence souffrant de troubles du sommeil, contrairement à ceux n’en présentant pas, ne possèderaient pas la capacité d’effectuer une régression à la position passive.

Concernant les éveils nocturnes, et toujours dans le cadre d’une approche

psychanalytique, nous pouvons faire l’hypothèse qu’ils représentent la conséquence de

1 Ces mécanismes de défense propres à nier ou contrôler l’agressivité et l’angoisse sont le déni,

l’échec de la fonction onirique. Le rêve de l’enfant possède en effet une double fonction.

Tout d’abord, il permet le maintien de la continuité du sommeil car il en est le gardien. Lorsque les enfants ne peuvent élaborer leurs angoisses en raison de conflits psychiques internes intenses, les rêves deviennent cauchemars et terreurs nocturnes, phénomènes susceptibles de les réveiller. La seconde fonction du rêve consiste en un travail de

symbolisation qui autorise la liaison des affects aux représentations et des représentations

entre elles. Dans le rêve, on observe une fantasmatisation des pulsions. Ces dernières se manifestent sous la forme symbolique de productions imaginaires, c’est-à-dire de fantasmes.

« L’angoisse nocturne est l’un des aspects de l’échec de la fonction de liaison du rêve »1. Lorsque les défenses psychiques s’effondrent, « la censure ne contient plus le rêve, ni la

quiétude du sommeil. L’anxiété fait irruption »2. Les troubles du sommeil signent donc la

faillite de cette fonction de symbolisation (Dollander et de Tychey, 2002).

Les troubles du sommeil psychogènes de l’enfant en période de latence, dont la fréquence ne peut être négligée, peuvent apparemment être mis en relation avec une anxiété sous-jacente et avec la résurgence d’angoisses qui se manifestent au cours du sommeil en raison de l’affaiblissement des défenses et de la faillite de la fonction du rêve. Concernant cette dernière, il semble difficile d’apprécier expérimentalement son implication au décours de ce travail recherche.

1.3.3. Les troubles du sommeil en lien avec l’anxiété de l’enfant et de ses parents.

A. La confirmation du lien entre l’anxiété de l’enfant et les troubles du sommeil.

R. Debré et A. Doumic (1969) affirment que les racines des troubles du sommeil de l’enfant doivent être recherchées dans la physiologie de ce dernier, dans son développement mental et affectif et dans les liens qui l’unissent à son entourage. Pour de nombreux auteurs (Jalenques, 1992, 1995 ; Vecchierini, 1997 ; Lavie, 1998 ; Houzel, 1999, de Leersnyder,

1999), « les troubles du sommeil sont fréquemment l’expression de l’anxiété »3. Cette

dernière, ainsi que nous l’avons souligné, peut également s’avérer secondaire à un

1 GARMA L. (1998). « Aperçu sur les rêves et les activités mentales du dormeur dans la clinique du sommeil ».

Revue Française de Psychosomatique. 14. p. 20.

2 ibid.

traumatisme physique ou affectif : une hospitalisation, une pathologie médicale, un déménagement ou la séparation des parents.

D’origines psychogènes, les troubles du sommeil représentent une

symptomatologie toujours accompagnée d’anxiété, l’inverse n’étant pas toujours observé.

L’étude épidémiologique de E. O. Johnson, H. D. Chilcoat et N. Breslau (2000) confirme d’ailleurs l’existence de cette relation étroite entre les troubles du sommeil et l’anxiété chez 823 enfants de 6 ans dont 717 ont été revus à 11 ans1. A tout âge, l’anxiété demeure le trouble psychiatrique le plus fréquent lorsque les enfants présentent des troubles du sommeil. Plus précisément, les résultats indiquent une significativité plus importante de cette association chez les enfants de 11 ans.

B. Relation entre anxiété parentale et troubles du sommeil de l’enfant.

Lorsque l’anxiété se chronicise en s’accompagnant de troubles du sommeil persistants, ceux-ci « témoignent alors chez l’enfant de l’anxiété des parents qui a été saisie et intégrée

par l’enfant »2. En accord avec cette assertion, P. Lavie (1998), D. Houzel (1999) et H. de Leersnyder (1999), supposent également qu’il convient d’établir un lien entre l’anxiété des parents et celle de leur enfant, génératrice des troubles.

Lorsque les troubles du sommeil existent depuis la petite enfance, l’anxiété parentale a, semble-t-il, contribué précocement à leur survenue. Comme l’indique B. Cramer (1996) tous les bébés craignent habituellement d’être abandonnés par leur mère et de perdre ainsi un sentiment d’existence en sombrant dans le sommeil. Or, « ces angoisses, communes chez tous

les enfants, peuvent être aménagées ou intensifiées selon l’attitude des parents »3. Par exemple, une mère inquiète vient au chevet de son bébé au moindre bruit de ce dernier, ce qui risque probablement de créer un engrenage dans lequel l’anxiété maternelle va finir par

réveiller l’enfant. « La plupart des troubles du sommeil résultent de ce type d’échanges

angoissés, où l’anxiété parentale et l’augmentation temporaire et cyclique de la vigilance de l’enfant concourent à installer l’insomnie. »4

1 La Achenbach’s Child Behavior Checklist a permis le repérage des troubles du sommeil tandis que l’anxiété

des enfants a été évaluée à partir d’entretiens directifs effectués auprès des mères et des professeurs d’école.

2 DEBRE R. et DOUMIC A. (1969). Le sommeil de l’enfant. Paris. PUF. p. 147. 3 CRAMER B. (1996). Secrets de femmes. Paris. Calmann-Lévy. p. 102. 4 ibid. p. 104.

Le sommeil n’est pas une fonction dont la mise en place dépend uniquement d’acquisitions physiologiques. L’attitude parentale joue un rôle fondamental et incontournable en lui donnant une signification symbolique. Les soins maternels précoces prodigués par une mère anxieuse n’assurent pas le sentiment de continuité affective et ne permettent pas d’établir un équilibre homéostatique en filtrant les excitations extérieures. Lorsque sa fonction de pare-excitation est défaillante, la mère ne peut suppléer à l’immaturité mentale et physique de son bébé (Mazet et Stoleru, 1988). « Les mécanismes physiologiques et psychologiques de

l’endormissement du jeune enfant dépendent de l’attitude fondamentale de la mère et de la qualité des soins. »1

C. Les troubles du sommeil : des révélateurs d’angoisses spécifiques ?

A la période de latence, les troubles du sommeil sont donc toujours concomitants d’une anxiété qui affecte autant l’enfant que ses parents.

Lorsque les troubles persistent depuis la petite enfance, l’anxiété sous-jacente correspond à des angoisses archaïques qui n’ont pas été élaborées en leur temps, et ceci en

raison d’un environnement n’ayant pas favorisé ce travail d’élaboration. Les parents

anxieux n’ont pas su protéger leur enfant de la massivité de leurs angoisses.

Quand les troubles du sommeil apparaissent plus tardivement, au cours de la période de latence, ils signent probablement la présence d’une anxiété réactionnelle à un événement de vie particulier. Ce dernier est venu raviver des angoisses parentales qui sont alors projetées sur l’enfant. Toutefois, dans le cadre d’un syndrome de stress post-traumatique, l’apparition des troubles du sommeil constitue une réaction normale explicable par la mise en place d’une hypervigilance nocive pour le sommeil. Les troubles tendent à disparaître de manière rapide après l’événement traumatique et dans la mesure où celui-ci est psychiquement élaboré.

§

Dans les chapitres suivants, nous allons tenter de spécifier l’anxiété génératrice des

troubles du sommeil en dégageant sa nature, c’est-à-dire en identifiant les angoisses qui la

sous-tendent. De même, nous essaierons d’expliquer dans quelle mesure cette symptomatologie apparaît au détriment d’une autre pour exprimer cette souffrance psychique. Les raisons de la présence d’un trouble du sommeil chez l’enfant en période de latence sont à

rechercher du côté de ses angoisses et de celles de ses parents, mais la question est à présent d’éclaircir à quelles angoisses renvoient cette symptomatologie.

Chapitre 2.