• Aucun résultat trouvé

Les déterminants de la transmission intergénérationnelle des angoisses sous-jacentes aux troubles du sommeil.

3.2. Les interactions éducatives et les événements de vie anxiogènes.

3.2.1. Les interactions éducatives anxiogènes.

Un certain nombre de modalités relationnelles parents-enfant tendent à générer une anxiété chez ce dernier. Cette anxiété va s’exprimer préférentiellement à travers des troubles du sommeil car les attitudes parentales néfastes vont principalement entamer tous les mécanismes qui permettent habituellement à cette fonction de se réaliser sans difficultés.

Les interactions éducatives insatisfaisantes susceptibles de générer des troubles du sommeil chez l’enfant sont multiples. Discutées ci-après, elles montrent comment l’anxiété parentale, et surtout maternelle, influence négativement la qualité du sommeil du jeune enfant comme du plus âgé. L’incapacité à créer un environnement favorable à l’endormissement ou la crainte de ne pas y parvenir génère également des troubles du sommeil chez l’enfant. Ces interactions inadaptées parents – enfant peuvent influencer l’apparition et le maintien de troubles du sommeil chez ce dernier durant de longues années, ce qui expliquerait que des enfants en période de latence peuvent encore en présenter. Les interactions éducatives anxiogènes sont une cause de troubles du sommeil perdurant depuis la petite enfance. Elles sont le révélateur objectif de l’anxiété parentale et de la faillite des fonctions de pare- excitation des parents. Leur liste présentée ci-après est non-exhaustive en raison des nombreuses situations observables dans la clinique.

Tout d’abord, les parents peuvent mésestimer les besoins en sommeil de leur enfant, ce qui révèle une inattention, une rigidité ou un laisser-aller éducatif de leur part. La rigidité proviendrait d’une anxiété quasi obsessionnelle liée au besoin de faire les choses telles qu’elles doivent être faites, l’enfant devant donc dormir et se réveiller à des heures strictes et régulières, sans aménagements possibles. Le laisser-faire s’exprimerait à travers des atittudes permissives autorisant par exemple l’enfant à regarder la télévision très tard dans la soirée.

L’anxiété est à la source de comportements parentaux inadaptés. Elle incite par exemple la mère et/ou le père de l’enfant à surveiller ce dernier étroitement durant son sommeil, ce qui crée une sur-stimulation. Leur statut de parent leur confère un devoir de protection qui est alors hypertrophié par la surcharge des angoisses (Cramer, 1996). Habituellement, ces parents ne supportent pas les pleurs de leur enfant qu’ils considèrent comme l’expression d’une souffrance extrême et d’un traumatisme. Des mères craignent parfois exagérément la mort subite du nourrisson (Challamel et Thirion, 1988). Ces préoccupations morbides peuvent amener les parents à prendre l’enfant dans leur lit afin qu’ils se rassurent. De telles attitudes ne permettent pas à l’enfant de tolérer la frustration puisque tous les manques sont comblés par la présence constante des parents et par leurs sollicitations permanentes. Or, l’enfant doit surmonter, durant son développement, des frustrations nécessaires à son autonomisation.

Pour J. Favez-Boutonnier (1963), l’environnement familial joue un rôle important dans la genèse de l’angoisse infantile. Elle rappelle que la vigilance excessive de la mère

anxieuse crée une atmosphère propice à l’émergence de l’angoisse. L’enfant perd toute

initiative et finit par croire que toute situation est potentiellement dangereuse et mortifère. Pour cet auteur, l’ambivalence est la condition de l’angoisse.

Le manque d’interactions diurnes enfant – parents favorise également la survenue

d’un comportement hyperactif de l’enfant en soirée. Ce dernier sollicite ses parents qu’il juge absent physiquement et/ou affectivement pendant la journée.

Le désinvestissement parental peut aussi entraîner des carences affectives qui

provoquent des troubles du sommeil. Ces symptômes s’incluront dans un large éventail de réactions que l’enfant établit inconsciemment et qui sont destinées à forcer l’interaction qui lui fait défaut pendant la période de veille. En effet, toute carence engendre une réponse de la part du jeune enfant et ceci en raison des processus de maturation et d’évolution (Winnicott, 1965). Ce désinvestissement parental peut naître d’un événement difficile à élaborer pour les parents, tel que la perte d’un être cher. Ils seront peu apaisants et peu réceptifs aux besoins affectifs de l’enfant. L’impact d’un tel événement de vie est toutefois moins déstructurant pour l’enfant s’il survient au cours de la période de latence. L’investissement parental, et surtout maternel lors des premiers mois, est donc fondamental. Comme le souligne D. W. Winnicott (1957), il est essentiel que la mère puisse s’occuper de son enfant avec plaisir, ce qu’elle ne peut faire que si elle est psychiquement disponible et suffisamment peu angoissée.

C’est ainsi qu’elle pourra, par exemple, assurer à son enfant une transition sereine entre l’état de veille et celui de sommeil.

3.2.2. Les évènements de vie anxiogènes.

De nombreux événements de vie possèdent un caractère anxiogène. La réaction éprouvée peut alors être banale et adaptative si elle demeure circonscrite dans le temps. Parfois, ces événements surviennent sur un fond anxieux ou alors ils sont trop difficiles à élaborer en raison de leur gravité. Les angoisses qu’ils réactivent ne peuvent alors être surmontées, tant par les parents que par les enfants.

Ainsi, un décès dans l’entourage, une hospitalisation, un voyage des parents, un

divorce, un déménagement, la naissance d’un puîné et l’entrée à l’école sont des situations réelles ingérables pour un enfant qui ne serait pas parvenu à une élaboration satisfaisante de ses angoisses (de Leersnyder, 1999, 2000). Toutefois, l’impact de ces

événements diffère. Un décès dans l’entourage et une hospitalisation réactivent plus probablement des angoisses de mort, ce qui est moins le cas d’un voyage des parents, d’un divorce, d’une entrée à l’école ou d’un déménagement qui suscitent surtout une angoisse de séparation.

L’impact des évènements de vie a déjà été souligné par D. Bailly et coll. (1993). Son étude, qui porte sur 30 enfants hospitalisés, « souligne le rôle des événements de vie récents

(problèmes liés à la santé des parents, expériences de perte ou de séparation) et passés (hospitalisations antérieures) dans la genèse de l’angoisse de séparation »1.

Nous abordons à présent deux événements de vie particuliers qui possèdent un impact massif sur la genèse et le maintien d’un climat anxieux et sur les modalités des interactions parents – enfant.

A. La mésentente et la séparation parentale.

La mésentente et la séparation parentales génèrent chez l’enfant des troubles psychiques s’exprimant à travers l’anxiété, le sentiment de culpabilité, la dépression, les

1 BAILLY D. et coll. (1993). « Rôle des événements de vie et des facteurs de stress psychosociaux dans

troubles du comportement, l’agressivité et/ou la gêne dans la construction de l’identité sexuelle (Poussin et Martin-Lebrun, 1997 ; Viaux, 1997). L’angoisse de séparation devient souvent ingérable ou se trouve massivement réactivée, d’autant plus que l’enfant éprouve un sentiment d’isolement face à des parents devenus indisponibles.

Le sentiment d’insécurité prévaut dans ces situations qui rendent l’avenir de l’enfant

incertain et donc angoissant. La séparation des parents s’accompagne de situations délicates telles que les visites, les prises de position de l’entourage, les dévalorisations formulées à l’encontre des parents, les déménagements, les changements d’école, les recompositions familiales, les rencontres de nouvelles fratries, les changements dans les soins et au niveau des investissements affectifs.

Dans ces conditions, l’élaboration de l’angoisse de séparation devient plus longue

et plus difficile à réaliser. Cette dernière peut s’exprimer à travers des troubles tels que ceux

affectant le sommeil, surtout lorsque les parents profitent du sommeil de leur enfant pour exprimer leurs désaccords (de Leersnyder, 1999).

La mésentente et la séparation parentale aboutissent très fréquemment à l’évincement

de l’un des parents, souvent le père. L’angoisse de castration peut alors être réactivée car ces

événements laissent penser à l’enfant qu’il va pouvoir se substituer au parent de même sexe et se rapprocher de l’autre. Le rapproché entre le garçon et sa mère, par exemple, peut alors devenir érotique lors de la période oedipienne et de surcroît lorsque la mère entretient ce mode relationnel en investissant massivement l’enfant et en dévalorisant la figure paternelle. De même, le décès du parent de même sexe peut réactiver, outre des angoisses de mort et de séparation, des angoisses de castration. Comme dans le cas de la séparation parentale, la culpabilité de l’enfant est exacerbée en raison de la disparition réelle du parent, disparition qui n’était que fantasmée en raison du souhait d’évincement et du désir oedipien.

B. La perte d’un être cher.

A l’occasion d’un deuil, l’angoisse des parents entraîne souvent des répercussions sur le sommeil de l’enfant car elle les rend moins disponibles. Ainsi, les interactions mère – enfant sont souvent marquées par la surstimulation, le manque d’échanges verbaux et

l’aspect mécanique des échanges (Auriacombe-Chizot et Auriacombe, 2000). De même, les interactions affectives seront souvent entamées, l’enfant étant perçu comme toujours en

détresse, du fait des identifications projectives, et la mère, narcissiquement blessée, craignant toujours que son enfant ne l’aime pas (Auriacombe-Chizot et Auriacombe, 2000). Lorsque

l’enfant est né peu de temps après ou avant le décès d’un être cher, ses troubles du sommeil pourront signifier une incapacité à tenir un rôle de remplacement, le reflet de l’interaction insatisfaisante parents - enfant, le refus de mimer la mort pour prouver sa différence avec la personne décédée ou encore le vœu de réassurer les parents. En effet, une mère qui a perdu un parent pendant sa grossesse pourra craindre l’endormissement de son enfant car il deviendra synonyme de risque de mort, ce qui génère inconsciemment le désir que l’enfant reste éveillé. La « réincarnation » s’avére davantage pathogène si le parent décédé était frustrant et source de souffrances (Tisseron, 1995). « Les moments de naissance et de mort sont, dans toute

famille, un moment privilégié (de la transmission) par les bouleversements sociaux et psychiques dont ils s’accompagnent. »1 Les relations parents - enfant demeureront perturbées tant que le deuil ne sera pas élaboré car l’enfant se sentira coupable du « regard mort » de

ses parents, et ceci à tous les âges du développement, surtout lorsqu’il existe des fixations

précoces (Morizot-Martinet, 1996). Ces problématiques peuvent provenir de deuils plus anciens et/ou de secrets de famille liés aux ancêtres disparus (Lebovici, 1992). Par exemple, lorsque des enfants sont déjà décédés en bas âge dans la famille, l’angoisse de la mort subite du nourrisson demeure exacerbée.