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Les valeurs affectives, identitaires et utilitaires du plurilinguisme

3 Familles, Langues, Plurilinguisme et Politiques Linguistiques : que retenir ? Linguistiques : que retenir ?

3.6 Les valeurs affectives, identitaires et utilitaires du plurilinguisme

carrière de leurs enfants.

3.6 Les valeurs affectives, identitaires et utilitaires du plurilinguisme

Au sein de familles plurilingues, les langues d’origine ont avant tout une valeur affective parce que ce sont les langues que les parents connaissent le mieux et par conséquent celles dans lesquelles ils peuvent exprimer leurs émotions. En outre, le fait que la famille réside à l’étranger et que les parents désirent que leurs enfants puissent communiquer avec le reste de la famille renforce la fonction affective de ces langues. Dans les situations d’immigration actuelles, les gens veulent bien faire savoir qu’ils viennent de quelque part, et veulent en même temps circuler dans le monde entier. L’assimilation aux modèles linguistiques du pays d’accueil, le rejet catégorique de l’héritage linguistique et culturel par les parents semble de plus en plus rare. Quelles que soient les langues concernées, et indépendamment de leur statut tant dans le pays d’origine que d’accueil, les affinités qui se sont tissées tout au long de la vie

font que lorsqu’un qu’un individu s’inscrit dans la mobilité physique (d’un pays à un autre), il se meut avec ses langues. Il le fait non seulement parce qu’elles servent de repères identitaires vis-à-vis de soi et des autres, mais surtout parce qu’il aimerait, dans la mesure du possible les transmettre à sa progéniture. Le contexte politique mondial actuel est tel qu’aujourd’hui, les personnes en situation d’immigration expriment et extériorisent de plus en plus leurs savoir-faire culturels et apprennent d’autres langues45 et cultures. Cette possibilité d’apporter et de prendre a pour principale implication le fait que les langues sont à la fois véritables marques d’identité, d’expression des liens affectifs, d’accès à l’éducation et d’intégration dans notre monde globalisant. Les interactions langagières diversifiées sont au centre de la vie de famille. Ainsi donc, les langues remplissent des fonctions plurielles au sein de familles plurilingues. Cette sous-section, sera consacrée à l’élucidation des valeurs affectives, identitaires et utilitaires du multilinguisme. Nos exemples seront tirés des actions concrètes entreprises par les parents pour rendre visibles les différentes fonctions assignées aux langues.

3.6.1 Les valeurs affectives et identitaires des langues

Le maintien des langues et cultures d’origines se développe fortement aujourd’hui malgré le désengagement de l’État. Malgré le désir de plus en plus fréquent d’une intégration dans la société d’accueil, le souhait de développer les pratiques de la langue et de la culture d’origine est de plus en plus marqué (Porcher & Faro-Hanoun, 2000, P.105). Lorsqu’un individu décide d’émigrer, sa langue d’origine joue un rôle majeur dans cette prise de décision. Elle va sans doute influencer le choix du pays dans lequel il aimerait vivre. Ceci parce qu’on aimerait qu’elle serve de point de ralliement entre les deux environnements. En outre, lorsqu’arrive à la décision d’y fonder une famille, le désir de transmettre sa langue et sa culture à ses enfants devient pressant. C’est dans ce contexte que la valeur affective des langues prend véritablement forme, parce que c’est la langue qui sert à communiquer les émotions dans leur authenticité (Zurer

45 A ce propos, nous citons l’exemple du comité de liaison des associations d’étrangers au Luxembourg(CLAE) qui, à travers le festival des migrations, des cultures et de la citoyenneté, organisé annuellement permet aux personnes d’origines étrangères d’exprimer leurs us et coutumes et d’apprendre celles du Luxembourg.www.clae.lu

Pearson, 2008), qui permet de montrer à ses enfants qu’on vient d’ailleurs, même si on appartient pleinement désormais au nouvel environnement. C’est aussi celle qui permettra aux autres membres de la famille de communiquer avec les enfants nés ailleurs. Parallèlement, lorsque les parents encouragent l’apprentissage de la langue du pays de résidence, les enfants sont dotés d’une biculture.

Au sein des familles plurilingues, l’enjeu affectif des langues est indéniable. Par exemple, le choix de la langue de communication entre les parents se justifie non seulement par la fidélité linguistique mais aussi pour sa valeur affective. Les parents restent fidèles à la langue de leur première rencontre pour des raisons affectives (Barron-Hauweart 2000 ; Piller, 2002 ; Spolsky, 2009 ; Made Mbe, 2014).

De plus, du point de vue parental, l’approche un parent, une langue constitue en soi le point de départ vers l’affectivité et sous-entend aussi la volonté manifeste de chaque parent à vouloir communiquer aisément avec ses enfants dans sa langue maternelle (L1). Parfois, indépendamment du statut de cette L1, les parents la parlent aux enfants, même si cela ne répond pas aux besoins immédiats de ces derniers en milieu scolaire. C’est le cas des familles éthiopiennes immigrées en Israël au début du 20e siècle. Au sein de ces familles, les parents continuent de se parler en arabe/tigris au fil des générations. Leurs enfants sont cependant confrontés aux difficultés scolaires d’une part parce que la principale langue de communication familiale n’est pas l’hébreu (Stavan, 2012). De même, certaines familles font appel aux grands-parents pour soutenir la transmission de leur langue (Ruby, 2012 ; Braun, 2012,) non seulement parce qu’ils sont disponibles mais aussi parce qu’ils sont des gardiens des traditions. De plus, les parents retournent souvent dans leur pays d’origine pendant les vacances (Weber, 2009) où les enfants entendent et voient d’autres enfants parler la langue concernée, même s’ils la trouvent un peu différente46. Ces retours aux sources constituent donc une expérience importante : ils vont

46 Du fait du contact entre les langues, les langues apprises hors de leur contexte d’origine peuvent être perçues comme différentes par les interlocuteurs en raison de la différence au niveau de l’accent, l’intonation, etc.

permettre un ressourcement, tant familial et affectif que culturel et linguistique (Deprez, 2013).

L’identité des enfants est aussi au centre du projet linguistique des parents pour leurs enfants. Dans la mesure où la langue est une dimension saillante de l’identité ethnique, elle va jouer un rôle dans les relations intergroupes, non seulement comme symbole mais aussi comme instrument de promotion de l’identité de groupe. L’approche socio-psychologique considère l’identité comme une entité relativement fixe, stable et indépendamment de la langue. La sociolinguistique interactionniste la considère comme un phénomène en négociation constante et résultant des choix linguistiques et du code-switching observés chez les plurilingues. Nous nous appuierons sur ce cadre théorique parce que l’identité des enfants issus de l’immigration se construit à travers les langues qui les entourent et de la manière dont ils interagissent quotidiennement avec elles. L’approche interactionniste établit le lien entre langue et identité dans au moins deux sens. D’une part, les langues fournissent aux individus des éléments qui leur permettent de construire et de négocier leurs identités dans des situations discursives. D’autre part, les idéologies linguistiques et l’identité orientent la manière dont les individus utilisent leurs langues pour affirmer leur identité (Pavlenko et Blackledge, 2004).

L’identité des individus en contextes multilingues se négocie en permanence parce qu’en fonction de leur capital linguistique, les uns se définissent comme membres appartenant à un groupe linguistique et souhaitent que les autres les perçoivent comme tel. En principe, les enfants issus d’une famille mixte linguistiquement héritent d’une double identité. La reconnaissance et la valorisation de ces identités seront fonction du degré de contact avec le pays d’origine de leurs parents et du lien d’affectivité que ces enfants développent avec ces pays. Or, assez souvent, le retour au pays d’origine des parents est séquentiel et relativement limité. Ces conditions ne favorisent pas une socialisation intense inhérente à la construction identitaire des enfants.

A priori, lorsque les parents font le choix de résider à l’étranger et n’inscrivent pas leur famille dans une perspective de retour immédiat au pays d’origine, ils affirment par ces choix l’appartenance de leurs enfants à la société d’accueil. Dans la plupart des cas où les enfants sont nés dans le pays de

résidence, les parents encouragent l’apprentissage de la ou des langues(s) de la communauté parce qu’ils connaissent et admirent la rapidité avec laquelle les enfants apprennent les langues (Deprez, 2013). De même, les parents savent aussi que lorsque les enfants parlent une langue avec l’accent valorisé dans l’environnement où cette langue est parlée, ces enfants seront facilement acceptés au sein du groupe. Cela permet de réduire le regard d’immigré qu’on porte souvent sur des enfants qui ne parlent pas la langue de la communauté ou qui le font avec un accent très poussé (Zurer Pearson, 2008).

Le parallèle entre la notion d’identité et les pratiques linguistiques des enfants montre qu’en mélangeant les langues de leur répertoire linguistique, les enfants affirment leurs multiples identités. Au sens de Porcher et Hanoun (2000), « un capital culturel est à la fois hérité et acquis et l’héritage guide l’acquisition ». Cette assertion montre implicitement qu’en choisissant le type d’école pour leurs enfants, les parents veulent perpétuer leurs valeurs culturelles. Ils savent qu’à travers l’école leurs enfants apprendront les valeurs culturelles de leur pays d’accueil, ce qui viendra renforcer les valeurs qui leurs sont déjà transmises en famille.

3.6.2 Les valeurs instrumentales des langues

Les valeurs instrumentales sont celles qui permettent de voir la langue comme un instrument permettant d’atteindre un but spécifique (Gardner & Lambert, 1972). Nous pouvons citer entre autres l’accès au système éducatif, la communication avec un large réseau de locuteurs, la future carrière professionnelle des enfants, etc. Dans la majorité des cas, les parents des familles immigrées parlent leur L1 aux enfants et permettent à ces derniers d’apprendre la ou les langue(s) du pays de résidence à travers le choix de l’école publique. Les parents sont conscients des avantages du multilinguisme et encouragent le développement linguistique de leurs enfants dès le bas âge. A la lumière des travaux de Bourdieu (1982) nous nous appuierons sur les notions de marché linguistique et capital linguistique pour montrer les efforts consentis par les parents en contextes multilingues en vue de se conformer aux exigences du marché linguistique national. Le marché linguistique luxembourgeois est visiblement multilingue et entraine une grande compétitivité linguistique chez

les résidents ou des personnes souhaitant exercer une activité professionnelle au Luxembourg. Sur le plan économique, les exigences linguistiques varient selon qu’il s’agisse du secteur public ou privé. En général les multiples compétences linguistiques restent un atout considérable pour l’accès aux deux secteurs. Dans le secteur public « protégé », la connaissance du luxembourgeois, de l’allemand et du français sont un prérequis. Dans le secteur privé, les exigences linguistiques sont liées à la langue de la clientèle cible de l’offre de service. Le français l’allemand et l’anglais sont assez demandés par les grands opérateurs économiques du fait que leurs services sont aussi tournés vers l’international. Par contre, au sein de petites et moyennes entreprises dont la clientèle est plus locale, la préférence linguistique est tournée vers les multiples langues du pays. En ce qui concerne les apprentissages langagiers des parents, Deprez (2013) par exemple révèle que certains parents immigrés en France apprennent le français non seulement dans le but d’aider à la scolarité de leurs enfants, mais aussi parce que c’est parfois un moyen de survie et d’intégration dans la société française. En outre, changer de langue constamment est un exercice mental qui aide l’enfant à développer sa compréhension de l’interculturalité (Hoffmann, 1991), qui est un atout dans le milieu professionnel. Ces arguments ont été aussi avancés par de nombreux parents ayant participé à notre étude.

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