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5 Les idéologies linguistiques parentales et leurs motivations pour leurs choix linguisiques motivations pour leurs choix linguisiques

5.2 Les idéologies linguistiques parentales dans les pratiques linguistiques familiales

5.2.2 L’idéologie de la langue standard et l’idéologie du purisme

Ces deux formes d’idéologies sont étroitement liées dans la mesure où la forme standard pose le cadre de référence de ce qui est considéré comme étant la « bonne » langue. La forme puriste, quant à elle, s’assure du respect dudit cadre. Dans le domaine familial, les parents sont premièrement concernés par la langue standard parce que c’est la variété qui est valorisée par l’école et par la société. Bien qu’ils soient conscients que leurs enfants mélangent les langues et se comprennent entre eux et peuvent être compris par d’autres enfants plurilingues, ils souhaiteraient tout de même élargir le champ de communication de leurs enfants. Élargir ce champ de communication revient à promouvoir la variété linguistique qu’ils jugent acceptable pour la majorité des personnes, dans le but d’éviter voire de limiter les incompréhensions dans leur communication avec un public plus large. C’est la raison pour laquelle ils voudraient que les langues parlées par leurs enfants soient comprises par d’autres personnes (Spolsky, 2004, P.16). Cette motivation est exprimée par Helena Schmitz : « C’est

important aussi pour nous, que lorsqu’ils vont en France par exemple, de parler un français que les gens comprennent » (Int, 19, L.105-108), le français de la France pouvant être compris ici comme étant la norme à laquelle on devrait se conformer. C’est pourquoi les parents s’opposent aux mélanges linguistiques faits par leurs enfants. Dans la majorité de cas, même si certains parents pensent qu’ils ne sont pas « trop stricts » (François Meyer, Int, 17, L.63), ils accordent tout de même une importance assez particulière à la qualité de la langue de leurs enfants. Les mélanges de langues constituent une forme d’infraction du point de vue idéologique. Les parents mènent une véritable chasse aux sorcières aux « Mauvaises constructions », aux « Mauvaises articulations et aux mauvaises conjugaisons » (Maria Manuel, Int, 6 L.67-68) afin de préserver la variété de la langue qu’ils perçoivent comme correcte et très appréciée. Cet investissement a pour principale visée d’aider leurs enfants à développer la variété de la langue qui est valorisée dans le cadre éducatif et social. Bien que ces mélanges puissent être compréhensibles par d’autres enfants, notamment dans les domaines scolaire et familial, dépendamment des langues concernées, ces parents souhaiteraient que leurs enfants communiquent avec un public assez large et que leurs pratiques linguistiques ne soient pas stigmatisées. Pour les parents, les mélanges de faits par leurs enfants pourraient être perçus par d’autres personnes comme une mauvaise acquisition des langues et par ricochet comme un manque du suivi de leur part. Dans ce sens, le statut de langue officielle et/ou d’instruction que peut revêtir une langue renseigne à la fois sur la qualité de la variété que les parents transmettent à leurs enfants et sur leurs attentes envers leurs enfants. A cet effet, lorsque, les pratiques linguistiques de leurs enfants sont en désaccord avec leurs attentes, ils prennent des mesures allant dans le sens de ce qu’ils veulent. Dans l’extrait d’interview (Int, 9, L.110-136) ci-dessous, on comprend qu’en s’opposant aux pratiques linguistiques de leurs enfants, les parents passent pour être des « Maitres de langues au sein de familles plurilingues » (Kopeliovich, 2013, P.250).

5.2.2.1 L’investissement lié à la difficulté d’apprentissage d’une langue et à l’influence des autres langues

L’extrait d’interview ci-dessous explique globalement certaines motivations des parents liées à leur investissement dans le développement

langagier de leurs enfants. Les raisons évoquées par les parents ci-dessous sont similaires à celles des autres parents :

AF (Annie Flore) : Avez-vous eu l’impression qu’à un certain moment, les langues de l’école influençaient le français qui était bien établi en famille ? MN (Monique Nkana) : On ressent toujours l’influence du luxembourgeois et de l’allemand dans leur façon de parler.

DN (Daniel Nkana): Mais elle est vraiment très minime.

MN : Oui elle est minime parce que nous sommes francophones à la base et on essaye de travailler dessus. Sinon à un certain moment, ils te construisent des phrases françaises comme en allemand ou comme en luxembourgeois. Par exemple en luxembourgeois on dit : « Ça c’est Jean son sac », alors qu’en français cela se dit « Ça c’est le sac de Jean ». Oui ils font beaucoup de traductions luxembourgeoises pour construire leurs phrases en français. AF : Et comment vous vous y prenez face à de telles constructions ? MN : On les corrige en leur disant comment cela se dit normalement. DN : On leur montre la bonne formulation. AF : Vous avez l’impression qu’à force de le faire, ils s’améliorent ? MN : Oui, ils s’améliorent.

AF : Quelles étaient vos attentes quand vous avez établi le français comme seule langue de communication et quel est votre sentiment aujourd’hui ? DN : Au départ, on avait souhaité qu’ils maitrisent correctement le français. MN : Parce que le français n’étant pas une langue facile.

AF : Pas facile dans quel sens ?

MN : L’apprentissage du français n’est pas facile lorsqu’on n’est pas francophone. Bien maitriser le français à l’écrit est bien difficile quand on vient d’une autre langue.

Si pour certains parents, le plus important c’est de parler plusieurs langues (Claude Lejeune par exemple), on s’aperçoit dans l’extrait ci-dessus que pour les Nkana, le plus important va au-delà de la simple habilité à parler les langues. La maitrise tant à l’oral qu’à l’écrit est une plus-value. La langue standard étant la variété à laquelle ces parents s’identifient, cela représente un idéal qu’ils voudraient que leurs enfants atteignent, parce que leurs enfants sont en quelque sorte un miroir social qui devrait refléter leurs savoirs. En outre, cet

extrait décrit les interférences qui naissent du contact entre plusieurs langues. On s’aperçoit que les pratiques linguistiques des enfants ne sont pas forcément liées à la stratégie de communication adoptée par les parents ou aux langues valorisées par ceux-ci. Par contre ces pratiques sont tributaires des expériences personnelles des enfants.

Dans ce cas de figure, les facteurs sociolinguistiques tels que le pays de naissance des enfants (Allemagne et Luxembourg), leur langue dominante de communication à l’extérieur de la famille et la proximité linguistique entre l’allemand et le luxembourgeois les influencent assez et déterminent leurs constructions phraséologiques. A ce niveau, il est important d’insister sur l’interrelation étroite entre l’exposition antérieure à la langue du pays de naissance de l’un des enfants (la fille) et leur langue dominante de socialisation actuelle à l’extérieur (luxembourgeois). Cette variable va influencer soit directement ou indirectement les compétences langagières de ces enfants. La fille est née et a vécu pendant quelques années en Allemagne et comme l’affirme Daniel Nkana, le père, celle-ci « Avait déjà une implantation linguistique qui était assez poussée » (Int, 9, L.61) en allemand avant son arrivée au Luxembourg. Cet ancrage linguistique en plus de son rang (1er enfant né en Europe) parmi la fratrie va influencer ses pratiques linguistiques ainsi que celles de ses frères cadets. Cette grande influence germanophone va s’étendre donc sur le français qui, « bien qu’il soit (la seule langue) parlé à la maison, il reste la langue faible des trois (langues) » (Daniel Nkana, Int, 9, L .208).

La minutie avec laquelle les parents s’investissent dans le développement langagier de leurs enfants témoigne d’une part de leur fort attachement à la langue française et leur volonté de la maintenir. D’autre part, cela reflète l’attitude de la majorité des parents sujets qui pense que, parce qu’ils séparent les langues, il devrait aussi exister de véritables frontières linguistiques dans le répertoire linguistique de leurs enfants. Les pratiques décrites par les parents montrent qu’il est impossible de séparer les langues d’un individu, encore moins chez les enfants plurilingues qui baignent permanemment dans plusieurs langues quotidiennement et construisent leur univers à travers toutes leurs langues.

5.2.2.2 Séparation entre les langues et l’attitude puriste

Au sein des familles de langues parentales différentes, la séparation entre les langues est considérée par les parents comme le moyen le plus efficace pour promouvoir l’acquisition séparée de chaque langue. En agissant de la sorte, ils espèrent en retour que les compétences linguistiques de leurs enfants dans chacune de ces langues seront à la hauteur de leurs attentes. Cette séparation est aussi maintenue dans la communication du couple : les parents utilisent majoritairement la langue qu’ils ont en commun et qu’ils maitrisent le mieux. Ils évitent de mélanger les langues surtout en présence des enfants, parce qu’ils veulent rester des modèles linguistiques pour eux et parce qu’il est fort probable qu’un enfant qui entend ses parents mélanger les langues fasse de même, tel que ce fut le cas dans la famille Manuel. A un certain moment, les parents de cette famille ont regretté d’avoir utilisé à la fois le luxembourgeois et le portugais pour leur communication. Aujourd’hui, ils attribuent certaines « difficultés » linguistiques de leur fille en partie à leurs pratiques linguistiques mixtes. Solange Fischer explique pourquoi ils ont opté pour la séparation des langues : Il faut bien parler une langue. Les fautes d’orthographe m’énervent. Donc s’il faut parler une langue, il faut bien la parler. Donc pour moi ce n’était pas envisageable de parler le luxembourgeois avec mes enfants. On essaie d’avoir une bonne qualité de la langue française………. Je les corrige pour qu’ils la maitrisent bien... Donc j’essaie pour ma langue pour qu’ils la connaissent bien… Ma belle-mère les corrige aussi en luxembourgeois. Je suis un peu trop puriste (Int, 1, L .48-58).

Pour cette mère, il est capital de maitriser chaque langue apprise. Ce qui est frappant ici, c’est qu’il s’agit d’une mère « monolingue » qui a évolué majoritairement dans un environnement familial francophone. Son attachement à la bonne qualité de la langue française découle d’une part du statut de cette langue dans la société luxembourgeoise et d’autre part de la difficulté qu’auraient sans doute certains enfants à apprendre le français comme l’explique Georges Fischer : « En général quand on vient d’une famille 100% luxembourgeoise, le français est une langue d’apprentissage difficile…Donc quand

on a un parent francophone au sein du couple, les enfants parlent mieux français » (Int, 1, L.130-134). Dans cette famille, étant donné que la stratégie de communication avait été discutée préalablement à la naissance des enfants et que les parents avaient demandé l’avis d’un orthophoniste, la connaissance de l’environnement linguistique luxembourgeois a aussi contribué à cette attitude puriste.

5.2.2.3 L’investissement des parents compte le plus, qu’on parle les langues scolaires ou pas

Lorsque les langues parentales coïncident avec celles de l’école c’est certes un atout pour le suivi scolaire des enfants. Cependant, le contraire n’exclut guère la capacité des autres enfants à connaître les langues scolaires, bien qu’ils soient appelés à faire plus d’efforts. Dans ce processus, le suivi des parents reste déterminant comme le précise Anna Pablo dans l’anecdote suivante : Ma mère était analphabète. Mais elle savait que lorsqu’il y avait des traits rouges sur un devoir, cela n’était pas bon. Même comme elle ne savait ni lire ni écrire, elle savait ce qui n’était pas bon et nous réprimandait à chaque fois qu’elle le constatait. Même si elle ne savait pas ce qui était écrit. Donc c’est mieux si les parents s’associent à un problème, qu’ils sachent qu’il faut accompagner les enfants. C’est très important (Int, 11, L.99-104).

On s’aperçoit ici que les parents jouent un rôle déterminant dans l’acquisition de la langue du pays d’accueil75 chez les enfants et dans leur suivi scolaire. Leur investissement ne devrait pas être tributaire de leur capital linguistique, mais plutôt envisagé comme un devoir parental. Dans le cas d’Anna qui est issue d’une famille portugaise, qui est arrivée au Luxembourg à l’âge de quatre ans et a fait ses études secondaires dans un lycée classique, l’attitude positive de ses parents envers le luxembourgeois a d’après elle fortement contribué à sa réussite scolaire. Dans le même ordre d’idée, donnant son point de vue sur l’investissement langagier de ses enfants, elle explique : « j’obligeais mes

enfants à toujours regarder la télé allemande. Je disais à la fille de beaucoup lire en allemand et en français, vu qu’elle a beaucoup de problèmes en français » (Int, 11, L.80-82). On se rend compte que le suivi des enfants reste déterminant et qu’à force de connaître le contexte linguistique dans lequel la famille est insérée, les parents peuvent aller plus loin dans ce suivi en s’appuyant d’une part sur les ressources linguistiques qu’ils ont et d’autre part sur des supports tels que les médias, qui ont une grande influence sur la diffusion et l’apprentissage des langues.

5.3 Conclusion

En somme, les mutations socio-économiques et démographiques des trois dernières décennies ont apporté beaucoup de modifications au niveau de la structure sociale et familiale et il en résulte une forte mixité linguistique dans les familles. Cette situation a également donné naissance à divers profils de migrants. Par conséquent, les parents de notre étude ont des habilités, des langues et cultures différentes. Unanimement, pour ces parents, la mobilité sociale passe inévitablement par la promotion du plurilinguisme actif chez leurs enfants. C’est la raison pour laquelle l’éducation plurilingue de leurs enfants s’inscrit dans un projet familial dans lequel chaque parent contribue à l’édifice. Chaque parent et chaque famille ayant une histoire différente, les motivations liées aux choix linguistiques parentaux sont elles aussi exprimées différemment. Mais il en résulte que ces différents traits individuels sont des forces ayant permis de créer et de maintenir un certain équilibre familial pour le suivi de la PLF au sein de chaque famille, tout comme l’intégration des enfants dans la société luxembourgeoise s’est avérée être le point de ralliement entre ces parents de divers milieux socioculturels.

Ce chapitre avait pour but d’expliquer le lien entre les idéologies linguistiques parentales et les motivations des choix linguistiques parentaux. Il ressort de notre analyse que ces deux thèmes sont intimement liés. La majorité des membres des familles étudiées étant concernée par la migration, par conséquent, les idéologies linguistiques des parents sont fortement influencées par leurs expériences migratoires, leurs expériences personnelles avec les langues, l’environnement sociolinguistique, économique et politique du

Luxembourg. Ces facteurs influencent les politiques linguistiques familiales qui se résument à l’ensemble des décisions parentales pour l’accroissement du capital langagier de leurs enfants. Les facteurs culturels qui influencent la PLF sont l’identité des enfants et le maintien des liens avec les proches. A ce niveau, nous avons montré que les enfants issus de ces familles ont une identité composite et que pour certains parents, le pays d’origine de ces enfants est le leur alors que pour d’autres parents, c’est celui dans lequel les enfants sont nés. En outre, nous avons montré que la communication avec la famille proche et surtout les grands-parents influence les décisions parentales.

Par la suite, au niveau des facteurs économiques, nous avons montré que le plurilinguisme est perçu par les parents comme un capital linguistique et que le choix du système éducatif luxembourgeois pour les enfants visait effectivement à accroitre le capital langagier de leurs enfants par anticipation aux études universitaires et à leur future carrière professionnelle. En outre, nous avons montré que les idéologies linguistiques parentales qui sont, entre autres, le fort attachement à la langue maternelle qu’ils considèrent comme point de ralliement entre leurs enfants et leurs proches ; les valeurs qu’ils associent au plurilinguisme sont les principaux piliers des politiques linguistiques familiales. Nous avons par la suite montré que les idéologies linguistiques parentales se traduisent en attitudes concrètes lorsque les pratiques linguistiques de leurs enfants ne répondent pas à leurs attentes. La plupart des parents sont attachés à la forme standard des langues et s’opposent à toute forme de mélange. En outre, nous avons montré que le faible statut de certaines langues dans leur contexte d’origine est en partie tributaire de leur non-transmission au sein des familles en situation d’immigration.

6 Le lien entre les langues scolaires et les pratiques

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