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Les conséquences du comportement linguistique des enfants envers les langues en présence au sein de la famille

6 Le lien entre les langues scolaires et les pratiques linguistiques des enfants dans le cadre familial linguistiques des enfants dans le cadre familial

6.4 Les conséquences du comportement linguistique des enfants envers les langues en présence au sein de la famille

6.4.1 Les enfants sont des briseurs de règles linguistiques

En ce qui concerne les enfants évoluant au sein des familles plurilingues, au cours des premières années, à priori, les langues parentales sont les plus fortes chez les enfants, même à des degrés divers. Mais dès que les enfants commencent l’école ou bien augmentent leur lien avec la communauté, ils ont tendance à choisir la langue de l’école ou du pays pour leur communication. C’est ainsi que les parents perdent progressivement le contrôle qu’ils ont sur l’environnement linguistique familial qu’ils ont eux-mêmes créé. Et plus les enfants vont grandir, plus ils vont créer, par le biais de la langue, un écart entre leurs parents et eux. Ce changement nait du fait que ces enfants appartiennent désormais à des réseaux d’amis plus complexes et se détachent du réseau parental pour s’attacher à celui de leurs pairs. Ainsi, la langue dominante de leurs échanges à l’extérieur va influencer leurs échanges en famille. Au sein de toutes les familles étudiées, les langues parentales sont maintenues certes, mais les enfants évoluent rapidement dans l’apprentissage du luxembourgeois et l’intègrent comme leur principale langue de communication dans la majorité des cas. Même si les parents n’approuvent pas forcément la langue choisie par les enfants, en général, ils ne peuvent pas faire grand-chose pour contrôler intégralement la circulation des langues dans la sphère privée. Ils la subissent dans une certaine mesure. A ce propos, (Myers-Scotton, 2006) affirme : « La langue maternelle est encore maintenue à la maison bien sûr, mais, les enfants, et non leurs ainés, peuvent décider de la langue familiale au sein des familles immigrées » (P.101). Les extraits ci-dessous matérialisent la rupture des règles linguistiques dans certaines familles :

Claude Lejeune : J’ai remarqué, et c’est assez récent, que lorsqu’on est à

table et qu’elles ont quelque chose à se raconter, elles le font tout de suite en luxembourgeois. Et maintenant c’est la nouvelle étape où même quand on est à quatre et qu’on parle allemand, elles parlent luxembourgeois entre elles de ce qui s’est passé de la journée. Si cela les concerne bien sûr…… elles espèrent ne pas être comprises (Int, 15, L .55-60 et L.71).

Anna Pablo : Souvent je leur dis : « parlez le portugais, parlez le

portugais, les gens ne comprennent pas ce que vous dites, parlez le portugais ! ». Quand ils sont en train de parler entre eux, ils oublient parfois où ils sont (Int, 11, L.129-132).

Maria Manuel : Entre nous, toujours le luxembourgeois. Avec les copains

on parle portugais. Là-bas, il le faut. Parce que ma mère nous crie dessus qu’on parle toujours luxembourgeois entre nous et les gens ne comprennent rien. Ils n’aiment pas ça et c’est normal… ça vient automatiquement... On va toujours chercher ce que les autres ne comprennent pas à mon avis (Int, 7, L.58-63).

Vanessa Kovick : Le luxembourgeois revient entre nous. Il y a nos

cousines qui ne comprennent pas cette langue, alors nous parlons bosniaque avec eux et luxembourgeois entre nous (Int, 4, L.37-39).

Il ressort de ces extraits que le luxembourgeois est la principale langue de communication entre les enfants. Ce qui n’est pas surprenant comme l’explique Barron-Hauwaert (2011) : « Lorsque les enfants commencent l’école et rencontrent de nouveaux amis la langue des pairs a une forte influence » (P.55). De même, la rupture des règles linguistiques s’explique différemment dans ces familles. Au sein de la famille Lejeune, la rupture s’explique par la préférence du luxembourgeois au détriment des langues parentales. Par contre, dans les trois autres familles, on est dans une situation de changement d’espace qui veut idéalement que la langue utilisée par les enfants soit la langue de cet environnement. Au sein de la famille Manuel par exemple, comme l’a expliqué Maria, parler luxembourgeois est un réflexe presque inné et incontrôlable. Même si les enfants sont conscients du changement d’environnement, le changement d’habitudes linguistiques ne s’opère pas systématiquement chez eux. Les parents doivent toujours les rappeler à l’ordre afin qu’ils se conforment aux réalités linguistiques du Portugal. Le même phénomène se produit chez les Pablo : « Quand ils sont en train de parler entre eux, ils oublient parfois où ils sont ». En

d’autres termes, ces enfants ne comprennent pas que pour leurs parents, un changement d’environnement rime systématiquement avec changement de langue.

En même temps, il est important de souligner qu’on est en présence d’adolescents qui éprouvent le besoin de se distancier de leurs parents pour construire leur propre univers inaccessible. Il semblerait qu’ils aient des sujets de conversation privés qu’ils n’aiment pas nécessairement partager avec leurs parents ou avec tout le monde lorsqu’ils sont en vacances par exemple. Dans ce cas, la langue est un facteur d’exclusion et apparaît donc comme le seul élément pouvant garantir cette intimité. En outre, le fait que les enfants Lejeune utilisent subitement le luxembourgeois pour des sujets relatifs à l’école met en relief les différentes fonctions que les plurilingues associent à leurs diverses langues. Dans ce cas précis, le recours au luxembourgeois leur permet facilement de reconstituer les faits, de se situer dans le contexte dans lequel l’histoire racontée a eu lieu par exemple.

6.4.2 Le rôle des enfants dans le maintien des langues familiales et des langues minoritaires

Comme le précise Calvet (1974) : « Les langues changent par le biais des enfants. La façon dont ils les parlent et leurs attitudes face à elles nous donnent une idée de ce qu’elles seront à l’avenir : lorsque les enfants répugnent à la parler ou prétendent de l’avoir oubliée parce qu’ils ont honte, l’avenir de cette langue est beaucoup moins assuré » (P.105). Ce point de vue amplifie le rôle irréductible des enfants dans le maintien des langues en général. En même temps, cela met indirectement en avant le rôle que les parents devraient jouer auprès de leurs enfants afin que le maintien des langues soit assuré. En d’autre termes, même si le maintien d’une langue n’est pas nécessairement assuré par les parents, les stratégies de communication et les possibilités d’utilisation qu’ils offrent à leurs enfants devraient concourir à maintenir cette langue. Dans cette optique, en général, l’attitude des parents envers leurs langues, la chronologie d’introduction de ces langues chez les enfants, le contact avec d’autres locuteurs sont autant de facteurs pouvant intervenir dans le maintien des langues. Précisément, les stratégies de communication utilisées par les parents permettront une bonne

circulation des langues familiales et offriront un maximum d’opportunités d’utilisation des langues parentales. Dans le même ordre d’idées, si les langues sont transmises à l’âge précoce, même si les parents ne peuvent pas le prédire, cela laisse envisager la possibilité que la langue préférée des enfants, du moins à l’âge précoce soit l’une des langues parentales. Ce stade de développement des enfants est un facteur important. Ici, l’enjeu réside dans le fait qu’à cette phase, les enfants acquièrent facilement les langues auxquelles ils sont exposés et les parents peuvent encore contrôler l’environnement linguistique familial. Cependant, comme nous l’avons expliqué dans les lignes précédentes, plus les enfants tendent vers l’adolescence, cela peut s’avérer difficile pour les parents d’imposer aux enfants leurs préférences linguistiques, le temps passé à l’extérieur devant être considéré comme une variable importante dans le déplacement linguistique des enfants.

Les contacts langagiers quotidiens avec l’école nous sont apparus comme un élément déterminant des pratiques linguistiques des enfants, en ce qu’ils conduisent à des pratiques dynamiques. Dès que le contact avec l’extérieur s’amplifie, les valeurs positives associées aux langues valorisées à l’école supplantent les langues moins valorisées dans la société en général comme nous l’explique Mohamed au sujet de ses enfants : « Depuis qu’on est arrivés ici au Luxembourg, ils parlent entre eux le français et avec nous seulement l’italien ». Dans cet exemple, il est perceptible que les enfants ont opté pour la langue qui est valorisée dans la société luxembourgeoise au détriment de leur langue maternelle qu’ils maitrisent mieux que le français. Ce détail témoigne de l’impuissance des parents face aux préférences linguistiques de leurs enfants à l’adolescence. Ceci permet également d’attirer l’attention des parents sur le fait que la précocité est importante pour l’acquisition des langues minoritaires, mais qu’en cas de changement radical d’environnement linguistique, même si ces langues sont acquises, les enfants peuvent simplement les ignorer.

En ce qui concerne la contribution des enfants, la présence de plusieurs enfants en famille permet non seulement aux parents d’être entourés des personnes immédiates avec lesquelles ils peuvent pratiquer leurs langues tous les jours mais aussi, si les enfants utilisent volontairement ces langues entre eux, la probabilité que ces langues soient maintenues est élevée. Tout comme le fait

que les enfants jouent ensemble en les utilisant augmente les possibilités d’utilisation. Dans la majorité des cas étudiés, il s’est avéré que le luxembourgeois est la langue du jeu comme le précise Solange Fischer : « Tout le langage du jeu s’est développé en luxembourgeois. Donc ils jouent en luxembourgeois » (Int, 1, L.90-91). L’aspect ludique est une variable importante dans le maintien du luxembourgeois au sein de cette famille. La particularité du contexte luxembourgeois est que les enfants de notre étude ont acquis toutes les langues parentales auxquelles ils sont exposés, bien que, comme nous l’avions expliqué précédemment, les parents jugent que cette acquisition est limitée. L’aperçu de nos résultats fait état d’un plurilinguisme additif, en ce que le nombre de langues apprises à l’école n’a pas été un obstacle aux langues familiales. Ce point positif permet d’affirmer que le nombre de langues auxquelles un enfant est exposé ne constitue pas en soi une difficulté d’apprentissage, mais que ce sont les conditions d’apprentissage et d’utilisation qui seraient un frein au développement du plurilinguisme chez le jeune enfant. En même temps, ce point nous faire prendre le contre-pied de la doctrine mentionnée par Paul Schmitz. Car d’après lui : « Avant il y avait une sorte de doctrine prévalant dans la communauté scientifique qui disait que le multilinguisme n’est pas forcément quelque chose de bon, que les gens confondent les choses et que ça retarde le développement linguistique » (Int, 19, L.45-48). La facilité d’apprentissage surtout à l’âge précoce est largement soutenue par les parents :

Claude Lejeune : c’est évident que lorsque l’enfant est petit, il apprend

plus facilement les langues étrangères. Donc que ce n’était qu’un avantage de parler chacun sa langue (Int, 15, L. 21-23).

Paola Mohamed : Les enfants apprennent plus facilement que nous les

grands. Pour moi, c’est plus difficile maintenant d’apprendre une langue (Int, 7, L.76-77).

Ici, les parents admettent la facilité avec laquelle les enfants acquièrent les langues sans effort majeur. Ces propos laissent entrevoir la connaissance

qu’ont ces parents sur le développement langagier des enfants en général. Il semble donc que c’est en toute connaissance de cause que les parents implémentent des stratégies de communication. C’est la raison pour laquelle les parents en général, devraient être considérés par l’institution scolaire comme véritable partie prenante du développement langagier et éducatif de leurs enfants.

6.5 Les pratiques plurilingues à la maison : la préférence du

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