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CHAPITRE I : FONDEMENT ÉCONOMIQUE ET SOCIAL DE LA RÉGLEMENTATION

Section 2 Les théories de la réglementation bancaire

Après avoir étudié les mutations des activités bancaires, nous allons traiter de l’évolution de la sphère bancaire et des défis auxquels les régulateurs sont confrontés pour sa réglementation. Dans cette section, nous allons nous intéresser aux théories de la réglementation bancaire. Ces théories permettent d’analyser les bases fondamentales de la justification de la réglementation prudentielle. Elles tentent de justifier la nécessite de réglementer les banques et l’imposition des normes spécifiques caractérisant leurs activités. Pour justifier la réglementation bancaire, (Tartari 2002)18 a classé les théories de la régulation bancaire en deux : les théories normatives et positives pour répondre à la question du pourquoi de la régulation bancaire. Dans notre cas nous allons nous contenter des théories de la régulation bancaire sur base des fonds propres. Elles permettent de faire le lien entre le capital des banques et leurs risques et de mettre en évidence l’évolution des fonds propres en fonction des actifs risqués des banques. Ce lien est primordial pour les autorités prudentielles dans leur choix de renforcement des fonds propres, de l’amélioration de la solvabilité des banques et des possibles modifications futures des normes prudentielles.

En effet ces théories peuvent nous aider à expliquer les relations entre le capital bancaire et la profitabilité (le risque) sur un échantillon des banques africaines et ainsi de mettre en évidence les effets des réformes prudentielles sur la performance et la reprise de risque de ces banques : c’est là l’objet de notre second volet, d’ordre empirique (Chapitre VI deuxième Partie). L’objet

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Dans sa thèse « De la régulation en matière des capitaux propres du système bancaire » il consacre un chapitre entier intitulé Les théories de la régulation pour justifier par le bien-être social de la mise en œuvre de la réglementation bancaire.

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de cette étude est d’analyser les comportements des fonds propres des banques africaines par rapport à la rentabilité des leurs actifs et à leur prise de risque.

2.1 La théorie de Kim et Santomero 1988

(Kim and Santomero 1988) ont proposé un modèle dans « Risk in Banking and Capital

Regulation » visant à analyser le rôle du capital des banques dans la gestion de leurs risques. Ils

se basent sur l’approche de portefeuille et plus spécifiquement, la théorie du portefeuille.

Ils synthétisent les évolutions réglementaires pour finir par exposer leurs limites dans la capacité à garantir la stabilité des banques. C’est ainsi qu’ils démontrent les conséquences néfastes de l’exigence d’un capital minimum commun à tous les établissements bancaires sans tenir compte de la différenciation des actifs du portefeuille des bilans. Ils sont parvenus à conclure que le portefeuille optimal des banques doit être constitué de manière à ce que les capitaux propres soient proportionnels aux risques encourus. En effet une relation positive entre les fonds propres des banques et la prise de risque excessif.

Les premiers travaux portant sur la réglementation bancaire et sur la base de fonds propres sont ceux de (Pyle 1971), puis (Kahane 1977). Ils adoptent la théorie du portefeuille et la théorie de la probabilité de faillite pour analyser la composition des portefeuilles des actifs et des passifs des banques et leur imposer un minimum de fonds propres en fonction de la probabilité de survenance de faillite.

Ces travaux ont été enrichis ensuite par les contributions de Kim et Santomero (1988) et (J.-C. Rochet 1992). Leurs études se basent sur les comportements des banques en termes de prise de risques lorsque les autorités prudentielles leur imposent un minimum de fonds à détenir. Les hypothèses les plus significatives de cette approche sont : les banques ont de l’aversion pour le risque tout en cherchant à maximiser une fonction d’utilité quasi concave dépendant de l’espérance et du rendement des fonds propres ; le régulateur cherche à limiter la probabilité d’insolvabilité des banques à un niveau fixé d’avance. Dans cette approche, les banques sont considérées comme des gestionnaires où leurs décisions sont contraintes par la réglementation prudentielle. La théorie du portefeuille a permis de mettre en évidence deux valeurs essentielles : un niveau de fonds propres et un niveau de risque acceptable par le régulateur. Le niveau de fonds propres est une fonction croissante du risque de portefeuille bancaire. Pour diminuer le risque bancaire le régulateur doit fixer un niveau de fonds propres élevé à condition que la banque ne change pas la composition de son portefeuille. Pour cela si le régulateur exige plus de fonds propres l’effet de levier de la banque diminue ce qui aura une conséquence négative sur sa

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rentabilité. Pour combler ce manque à gagner la banque peut être tentée de modifier la structure de son portefeuille en y ajoutant des actifs plus risqués et augmenter sa rentabilité.

Pour contrer cette stratégie, le régulateur peut empêcher par tous les moyens la banque de reconstituer son portefeuille avec des actifs risqués. Pour harmoniser les travaux de Koehn et Santomero (1980) et Kim et Santomero (1988), Rochet (1992) a insisté sur la nécessité de distinguer les différents actifs des banques. Il suggère le modèle des risques pondérés, fondés sur le marché pour mesurer les risques des actifs des banques et conclut que la capitalisation des banques ne réduit pas leur comportement spéculatif, aussi s’avère-t-il nécessaire d’imposer un niveau de fonds propres supplémentaires pour les banques à portefeuilles d’actifs risqués.

Kim et Santomero (1988) soulignent qu’un ratio uniforme ne permet pas de limiter le risque d’insolvabilité, l’objectif d’une réglementation est d’imposer aux banques une détention de fonds propres dès que leur politique d’investissement est plus risquée. Pour la théorie de portefeuille, un actif plus rentable (donc plus risqué) devra être financé avec un montant plus important des fonds propres ce qui réduira l’effet de levier et la rentabilité sur fonds propres (voir Rochet 1992). Dans ces conditions la banque ne sera plus incitée à recomposer son portefeuille.

2.2. La théorie des incitations (Giammarino et al 1993)

L’approche des incitations tente de mettre en relation le ratio de fonds propres et la prise de risque par l‘asymétrie d’information. Selon cette approche le régulateur ne dispose pas des informations nécessaires quant à la qualité des actifs détenus initialement par la banque (sélection adverse) et sur les choix de la banque pour changer son profil de risque (substitution d’actif).

Pour maximiser le bien-être social, le régulateur doit tenir compte, du fait de l’existence de la réglementation, les banques seront incitées à prendre des actifs risqués. Le régulateur est pris dans un dilemme soit endosser les pertes sociales dues aux faillites bancaires ou soit subir des coûts liés à la réglementation en jouant sur les différents leviers (assurance dépôts, montants de capital, réserves minimums…).

Le modèle de (Giammarino, Lewis, and Sappington 1993)fait intervenir des déposants, des firmes, des banques et un régulateur qui au départ ont tous une aversion au risque. Dans ces relations d’agences, les fonds propres permettent une modélisation de probabilité de défaut. Ce modèle permet d’apprécier la structure globale du système prudentiel fondé sur une assurance de dépôts et sur les fonds propres des banques (Vilanova 2006).

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Pour résoudre le problème d’asymétrie d’information, le régulateur dispose de plusieurs moyens (prime d’assurance dépôts, niveau de fonds propres exigé, niveau de réserves sans risque). Il va lier ces moyens et la qualité finale de portefeuille de crédits de la banque. En conclusion, le ratio réglementaire de fonds propres réglementaire décroit avec la qualité et la taille du portefeuille de crédits.

Le modèle de (Besanko and Kanatas 1996) limite les relations d’agences entre la banque et le régulateur, leur modèle consiste à observer le comportement de la banque face au risque. Ils tentent de formaliser deux problèmes d’asymétrie d’information. D’une part entre les anciens actionnaires (insiders) de la banque qui cherchent à maximiser leur utilité et les nouveaux actionnaires (outsiders) qui cherchent à augmenter la part de capitaux du bilan de la banque ; et d’autre part, entre les insiders et les autorités de régulation. La réglementation va exiger de la banque qu’elle augmente ses fonds propres ce qui aura un effet négatif sur les gains des insiders. Ces derniers vont chercher à recapitaliser la banque pour atteindre le niveau des fonds nécessaires. Ce sont les outsiders qui apporteront des nouveaux fonds à la banque en achetant ses nouvelles actions. La part des actions des insiders va baisser ce qui les pousse à diminuer leurs efforts dans la banque. Cette situation va réduire le prix d’équilibre de l’action de la banque sur le marché (Besanko and Kanatas 1996). La banque se trouve en difficulté quand sa valeur marchande augmente malgré la baisse du prix de ses actions. Dans ces conditions, la banque sera incapable d’augmenter son ratio de fonds propres et le régulateur aura du mal à imposer sa réglementation, car la banque se base sur le comportement des autorités pour soit réduire sa prise de risque ou soit l’augmenter. L’accroissement du ratio de capitaux propres peut diminuer ou même résoudre le problème d’agence entre la banque et le régulateur. Il est souhaitable que les exigences en fonds propres soient décidées en fonction de la situation de chaque banque (Besanko, Katanas 1996).

2.3 La théorie de contrats incomplets (Dewatripont et Tirole 1993)

Le modèle de (Dewatripont and Tirole 1996) est le plus significatif des approches par les contrats incomplets car il prend en compte les caractéristiques essentielles des banques modernes et de leur environnement. Dans ce modèle, les banques sont dirigées par des actionnaires qui ne possèdent pas la totalité du capital et les contrats sont incomplets dans la mesure où certaines décisions ne peuvent pas être spécifiées à priori. Dans ces conditions, on cherche à mettre des moyens pour inciter les dirigeants à prendre des décisions optimales et l’instauration de la réglementation prudentielle devient essentielle. La faillite bancaire est conçue comme un transfert de droits de contrôle aux ayants droits (Aghion and Patrick Bolton 1992).

46 La situation de la banque passe par trois étapes :

• La première phase : la banque se caractérise par un bilan montrant au passif des dépôts et des fonds propres qui financent des crédits aux actifs. La qualité de ces crédits dépend du niveau d’effort du dirigeant. Le niveau maximum d’effort représente un coût pour le dirigeant et ce niveau qui correspond au plan efficace d’allocation de ressources. Le dilemme consiste à créer un climat incitatif pour que le manager exerce cet effort correspondant aux droits de contrôle.

• La deuxième phase : la performance de la banque est mesurée par les flux de crédits générés et la valeur liquidative des crédits. En fonction des flux générés et de la valeur liquidative des crédits, le contrôleur de la banque décide soit de poursuivre les opérations, soit de les interrompre et de réorganiser la banque.

• La troisième phase : dans cette dernière phase la valeur liquidative est observable. L’objectif consiste à déterminer qui contrôle la banque au cours de la 2ème phase et dans quelles conditions. Le transfert de contrôle au régulateur représentant les déposants fait peser des menaces sur le manager qui risque le licenciement et la perte de son salaire. L’intervention du régulateur est le plus souvent liée à une gestion médiocre de la banque. La fixation d’un seuil de ratio de fonds propres est fonction de la performance de la banque. Il s’agit d’exiger des banques le respect d’un ratio de fonds propres plus contraignant quand la performance de la banque est médiocre en 2ème phase d’où la nécessité d’un relâchement des contraintes prudentielles dans les périodes de récession (Dewatripont et Tirole 1993). En se référant à la théorie des options, les auteurs concluent que la prime de risque perçue par les créanciers (déposants) est croissante avec le quasi-levier de la banque et de son risque global.

On peut retenir de ces trois approches quelques conclusions intéressantes :

Ø Le niveau de fonds propres d’une banque doit être lié au degré de risque de l’ensemble de ses actifs.

Ø Le risque économique à considérer est bien un risque global tenant compte de la covariance entre les risques individuels et non pas d’une agrégation linéaire de risques individuels. Ø Un mode de régulation fondé sur un ratio de capital minimum n’est pas efficient. Les

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Ø Pour Dewatripont et Tirole, la réglementation prudentielle des banques doit aussi être pensée en termes d’incitations du manager. Dans cette perspective, il convient de transférer le contrôle de banques aux déposants et au régulateur en tant que représentant de ces derniers lorsque la performance de la banque se révèle médiocre.

Section 3 : Fonds propres, estimations de risques bancaires et les approches top-down et