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II. L’ UTILISATION DES TEXTES HUMANISTES AU XVIII E SIÈCLE

1. Les textes humanistes en tant qu’ auctoritas

Qu’il s’agisse d’un récit de voyage dans les Alpes ou d’une relation savante plus spécifique qui traite de botanique, de sources thermales ou de glaciers, les auteurs du XVIIIe siècle usent volontiers de la citation pour inscrire leur texte – et leur propre

personne – dans une filiation de savants renommés. Les références sont alors compilées avec un soin qui témoigne d’une volonté d’exhaustivité comme le montre le texte de l’Iter

Alpinum issu d’un voyage dans les Préalpes bernoises effectué en 1731 par le savant

bernois Albrecht von Haller (1708-1777).

Dans un pâturage de cette montagne appelé Waach, j’ai cueilli un grand nombre de très belles plantes. La plus fréquente ici est l’Elichrysum alpin à tête feuillue qui est le Wullblum chez Aretius et chez Simler, le Leontopodium alpinum chez Mattioli, le Gnaphalium alpinum chez Clusius qui en donne une très bonne figure, le Leontopodium Matthioli chez Tabernaemontanus qui en copie la figure dans l’Historia plantarum Lugdunensis, le Gnaphalium alpinum magno flore, folio oblongo chez Gaspar Bauhin, le Gnaphalium alpinum pulchrum chez Jean Bauhin qui en donne

une bonne figure et chez Ray ; Morison retient le nom de Gaspar Bauhin.128

128 Albrecht von Haller, Premier Voyage dans les Alpes et autres textes (1728-1732), Aurélie Luther, Claire

Jaquier et al. (éds), Genève, Slatkine, 2008, p. 97-98. Nous ne rendons pas les notes de bas de page qui renvoient aux références citées par Haller.

Haller donne ici les noms en usage chez les botanistes précédents pour une plante trouvée lors de son parcours. L’accumulation peut sembler importante, ce passage de synonymies botaniques étant intégré au fil du récit, mais le texte français ne rend que partiellement l’effet de l’original latin qui a dû être retravaillé pour en assurer la lisibilité auprès du lecteur contemporain. La version latine du même passage contient en effet de nombreuses abréviations et des variations de police qui respectent certes une logique interne, mais qui donnent un aspect très technique à ce passage :

[…] in cujus pascuo dicto Waach plures & pulcerrimas plantas legi. Hic inprimis

frequens est Elichrysum Alpinum capite folioso ; quod Wullblum ARETII in Ness.

SIMLERI. Alp. Leontopodium Alpinum MATTH. 828. Gnaphalium Alpinum CLVSII

p. 328. fig. opt. Leontopodium Matthioli TAB. 393. fig. exscript. LVGD. 1343.

Gnaphalium Alpinum magno flore, folio oblongo C. B. Gnaphalium Alpinum pulchrum I. B. III. l. 26. p. 161 bene, RAI. p. 296. MORISONVS nomen retinet C. BAVHINI

III. p. 92.129

Ces indications fournies au sein même de la narration n’avaient rien d’obscur pour le lecteur de l’époque, forcément savant, qui était en mesure d’identifier les ouvrages dont il était question. La fonction première de ces citations est bien entendu d’ordre pratique, puisqu’elles ont pour but de permettre l’identification de la plante trouvée sur le terrain en la liant aux références de l’époque. La multiplicité des noms cités tient au fait que l’introduction du système de nomenclature de Carl von Linné (1707-1778) est postérieure à ces ouvrages de botanique utilisés comme référence du moment qu’ils remontent aux XVIe et XVIIe siècles.130 Les plantes sont alors décrites sous la forme de

noms en phrase qui servent à nommer la plante et à en donner une description succincte, mais l’absence d’uniformisation du système conduit à la multiplication de noms pour désigner une seule espèce, raison pour laquelle Haller prend systématiquement la peine de préciser le nom porté par la fleur chez chaque auteur. Les nombreuses mentions de synonymies botaniques dans le texte de l’Iter Alpinum vont cependant bien au-delà de ces aspects pratiques. Le jeune Haller, qui n’a que vingt-trois ans lorsqu’il effectue ce voyage, peut ainsi témoigner de sa culture tout en inscrivant son propre texte à la suite de ces

129 Albrecht von Haller, Descriptio itineris alpini, suscepti m. Iunio anni 1731, in Opuscula sua botanica. Prius edita,

recensuit, retractavit, auxit, coniuncta edidit Albertus Hallerus, Gottingae [Göttingen], 1749, p.1-34, paragraphe XII, p. 13.

130 Le système de nomenclature linnéen date de 1753 et il faudra encore une vingtaine d’années pour que

auteurs de référence.131 Connaissance et reconnaissance fonctionnent donc de pair dans le

processus de formation du savant, qui n’oubliera pas pour autant ces botanistes du temps passé une fois qu’il sera établi. Si Haller peut être considéré comme un botaniste prélinnéen tout en étant le parfait contemporain du savant suédois, c’est en raison de son refus d’utiliser le système de nomenclature binominal mis au point par ce dernier. En remplaçant les nombreux noms en phrase utilisés jusqu’alors par le binôme genre-espèce, Linné rebaptise en quelque sorte la Création, effaçant ainsi le travail des botanistes antérieurs auxquels Haller rend précisément hommage dans l’introduction de sa première flore de Suisse, l’Enumeratio methodica stirpium Helvetiae indigenarum.132 Haller commence en

effet par nommer un ensemble de savants décédés avant de se consacrer à l’énumération de ses contemporains.133 Si cette décision, qui va contre le sens de l’Histoire, a pu entraver

la diffusion dans le temps de l’œuvre botanique de Haller134, le choix initial témoigne de

l’importance accordée à l’autorité des auteurs antérieurs. Si la botanique tient une place prépondérante dans l’œuvre de Haller, le savant bernois fait preuve d’une curiosité très large et aborde le milieu alpin dans son ensemble : l’évocation de sources anciennes ne se limite ainsi pas uniquement à des noms de plantes. Après avoir fait l’ascension du Stockhorn, il mentionne le poète bernois Hans Rudolf Rebmann (1566-1605), auteur d’un dialogue en vers entre le Stockhorn et le Niesen, « véritable imagination suisse ».135

Arrivés aux thermes de Loèche, Haller se livre à de nombreuses expériences sur les eaux afin d’en déterminer les propriétés : si les travaux réalisés par le bernois sur le terrain reflètent bien entendu l’état de la science au XVIIIe siècle, il est à noter que la première

autorité citée est Collinus (vers 1520 – 1560/1561), qui est l’auteur d’un texte sur les bains du Valais, publié de manière posthume dans la Vallesiae Descriptio de Josias Simler (1530-

131 Il est même possible de suivre l’évolution de la culture de Haller en la matière en comparant les

ouvrages cités dans l’Iter Alpinum de 1731 et ceux dont il est fait mention dans l’Iter Helveticum, texte paru pour la première fois en 1740, qui compte de nombreuses références supplémentaires.

132 Albrecht von Haller, Enumeratio methodica stirpium Helvetiae indigenarum…, Gottingae [Göttingen], 1742. 133 « Has omnes [...] quos laudavi, viros mors nobi abstulit. Qui secuntur, vivunt adhuc [...] », Albrecht von

Haller, Enumeratio, op., cit., p. 9.

134 Outre l’Enumeratio, Haller a publié une nouvelle flore de Suisse en 1768 : Albrecht von Haller, Historia

stirpium indigenarum Helvetiae inchoata, Bernae, 1768. Les deux flores de Suisse de Haller sont néanmoins d’une grande qualité et ce choix n’a pas empêché leur utilisation, comme en témoigne l’ajout manuscrit des noms linéens qu’on peut observer dans certains exemplaires.

1576).136 Dans ce cas précis, Haller donne raison à l’autorité humaniste, mais il n’en va pas

toujours ainsi : le rapport aux textes anciens n’est pas totalement dénué de sens critique comme en témoigne cette remarque de Haller au sujet de l’Engstlennbrunnen, source située sur l’alpage d’Engstlenalp dans le canton de Berne. Selon de nombreux textes, cette source présente la particularité de couler uniquement lorsque l’on amène le bétail à boire. Haller se rend sur l’alpage lors de son premier voyage en 1728 après avoir remonté le Gental pour traverser le Jochpass avant de descendre sur Engelberg. Il ne manque pas de s’exprimer sur cette célèbre particularité :

[…] nous entrâmes alors dans le Gentelthal, vallon étroit, uni et très agréable entre deux hauteurs, arrosé d’un grand ruisseau, qui s’enfle par cinq ou six cascades de torrents qui s’y perdent. Sa source est dans ce vallon même, sept ruisseaux sortent du même roc et se jettent dans le vallon par autant d’ouvertures d’un bassin naturel. C’est une curiosité bien plus agréable que le fameux Engstlen-Brunnen si célèbre entre les physiciens et si peu de chose en lui-même. Car il n’était point besoin de terre spongieuse, de réservoir de glace et d’autres spéculations recherchées, ce n’est qu’une fontaine de mai, qui naît par la fonte des glaces, et qui par un été froid se perd tout à fait comme elle avait fait

depuis six semaines lorsque nous y passâmes.137

Les remarques de Haller procèdent d’une double remise en question de l’autorité des auteurs qui abordent la question de l’Engstlenbrunnen. En effet, on peut dans un premier temps observer une recomposition du paysage convenu : alors que les textes mettent en avant la fameuse Engstlenbrunnen, Haller remplace sans arrières pensées la célèbre source par une autre « curiosité bien plus agréable ». L’attente du voyageur, façonnée par ses lectures, a visiblement été déçue par la réalité du terrain, ce qui l’autorise à substituer à l’objet traditionnellement évoqué dans l’endroit considéré une autre particularité qu’il juge digne d’attention. Dans un second temps, les notations techniques de Haller, qui visent à étayer le rejet initial, donnent un accès indirect aux hypothèses avancées par la littérature pour expliquer les particularités de la source : dans ce cas, les textes anciens ne font pas autorité. Une explication simple et rationnelle est proposée comme alternative à l’ensemble des hypothèses élaborées.

Le rapport aux sources que l’on peut observer chez les auteurs du XVIIIe siècle est

donc loin d’être univoque : fréquemment convoqués pour donner du crédit aux

136 Haller cite Collinus dans l’Iter Alpinum, partie XXXVI, op. cit., p. 122. Kaspar Ambühl (Collinus), « De

Sedunorum thermis et aliis fontibus medicatis », in Josias Simler, Vallesiae Descriptio, Tiguri [Zurich], 1574, p. 143-151.

observations d’un auteur, les textes anciens ne sont pas toujours considérés comme des

auctoritas intouchables dans la mesure où certains auteurs se permettent malgré tout de les

corriger, lorsqu’ils en ont la possibilité. En effet, c’est par sa pratique du terrain que Haller peut se permettre de remettre en question ses lectures tandis que les auteurs évoqués précédemment utilisaient les textes antérieurs pour combler leur manque de connaissances personnelles au sujet de la marmotte. La question de l’Engstlenbrunnen est également abordée par Johann Jakob Scheuchzer qui s’est rendu sur les lieux lors d’un voyage dans les Alpes effectué en 1702. Il se montre plus précis que Haller lorsqu’il s’agit de citer les sources convoquées. Alors que le savant bernois englobait ses prédécesseurs sous l’appellation générale de « physiciens », Scheuchzer les mentionne nommément138 :

Johannes Stumpf (1500-1578), Theodor Zwinger l’Ancien (1533-1588), Johann Heinrich Schweizer (1553-1612), Hans Rudolf Rebmann (1566-1605), Johann Leopold Cysat (1601-1633), Jean-Baptiste Plantin (1624-1700), Johann Jakob Wagner (1641-1695) et Georg Werner (1490-1556). Si Scheuchzer note avec précision les références aux ouvrages de ces auteurs, il ne donne en revanche pas d’informations sur le contenu de leurs travaux pour se contenter de les remettre en cause de manière globale : la liste, véritable litanie de savants, n’est convoquée que pour être réfutée et remplacée par un savoir actuel.

Alle haben wahres und falches untereinander. Ich wil kürzlich erzehlen, was ich theils selber gesehen, theils von den Einwohnern des Orts und andern glaubwürdigen Leuten gehört habe. Den fliessenden Brunn selber habe ich an diesem Tag, nemlich den 18. August nicht können sehen, weil er schon vorher trocken

worden.139

L’autorité de Scheuchzer ne peut cependant suffire du moment qu’il n’a pas pu observer lui-même la source : son apport personnel se limite dès lors à des considérations géographiques qui viennent préciser sa situation dans le vallon. Quant aux éléments qui lui manquent, c’est auprès d’informateurs locaux qu’il va les chercher. Les habitants du lieu, qui incarnent l’expérience empirique de par leur propre usage de la source, mais également « Herr Heinrich Becklin von Bern, Pfarrer zu Haslen », figure de l’autorité savante locale, viennent balayer les sources livresques anciennes. Scheuchzer ne se

138 Johann Jakob Scheuchzer, Natur-Geschichte des Schweitzerlandes, samt seinen Reisen über die Schweitzerische

Gebürge. Aufs neue herausgegeben, und mit einigen Anmerkungen versehen von Joh. Georg. Sulzern, Zürich, bey David Gessner, 1746, t. II, p. 13. Je souligne. Pour l’original latin, on consultera Johann Jakob Scheuchzer, Ouresiphoitēs Helveticus sive itinera alpina tria…, Londini, Impensis Henrici Clements, 1708, t. I, p. 26-27.

contente cependant pas de rétablir la vérité naturaliste en la dégageant de la tradition des

auctoritas, il pose un regard réflexif sur son intervention :

Es ist auch falsch und den Mährgen zuzuzehlen, dass dieser Brunn still stehe, wenn man etwas unreines oder sonst aus Bosheit oder Muthwillen darein wirfft, als wenn er dennzumahl gleichsam im Zorn etliche Tage lang kein Wasser gebe. Dieses habe ich im Vorbeygang wollen anmercken, damit die Wahrheit in ihrem Werth bleibe, und aller Aberglaube und Falschheit aus der natürlichen Historie wegkomme.140

Les explications de Scheuchzer au sujet de l’Engstlenbrunnen feront école, car si Haller peut se targuer de son expérience personnelle pour réviser les informations erronées colportées au sujet de la source, d’autres auteurs, qui ne se sont pas forcément rendus sur les lieux, vont utiliser ce nouveau savoir livresque. A ce titre, il convient d’observer le traitement de l’information dans deux ouvrages centraux pour la Suisse des Lumières en raison de l’importante diffusion qu’ils ont connue. Si Les Délices de la Suisse141, du pasteur

vaudois Abraham Ruchat (1680-1750), publiés en 1714 n’ont pas été réimprimés ultérieurement sous ce titre, le contenu de l’ouvrage a été grandement repris dans un nouveau texte intitulé L’Etat et les Délices de la Suisse, paru dans une première édition en 1730142, élaborée notamment par le pasteur bernois Johann Georg Altmann (1695-1758).

Comme le titre le laisse suggérer, l’ouvrage reprend également des informations de L’Etat

de la Suisse143 du diplomate anglais Abraham Stanyan (1669-1732), publié tout comme Les

Délices en 1714. Dans le texte de Ruchat, le passage de l’Engstlenbrunnen fait l’objet d’une

première réserve, mais conserve en bonne part l’information issue des textes anciens dans la mesure où un lien de causalité entre l’activité de la source et la présence du bétail reste établi :

Il y a non loin de sa source sur une montagne nommée Engstlen, une fontaine, qui est un petit miracle. Elle ne coule que durant l’Eté, dans le tems que les vaches sont sur les montagnes, savoir dans les mois de Juin, de Juillet & d’Aout : comme si elle reservoit à répandre son eau pour l’usage de ces animaux. On a

140 Johann Jakob Scheuchzer, 1746, op. cit., p. 14. Je souligne.

141 [Abraham Ruchat], Les délices de la Suisse : une des principales républiques de l’Europe, où l’on peut voir tout ce qu’il

y a de plus remarquable dans son pays..., A Leide, chez Pierre Vander Aa, 1714, 4 vol.

142 L’Etat et les Délices de la Suisse, Amsterdam, chez les Wetsteins et Smith, 1730. Ce texte est également

abordé de façon plus détaillée au chapitre V.

143 Abraham Stanyan, L’état de la Suisse : écrit en 1714, A Amsterdam, chez Jean Garrel, 1714. Le texte a

également connu une édition en Suisse : Abraham Stanyan, L’Etat de la Suisse en 1714, trad. de l’angl. [par Lucas Schaub], Berne, 1714. L’original anglais : Abraham Stanyan, An account of Switzerland : written in the year 1714, London, 1714.

répandu aussi le bruit, qu’elle ne couloit pas même tout du long du jour, mais à

certaines heures, le soir & le matin : mais cela ne se trouve pas vrai.144

Lorsque le texte est repris dans l’édition de 1730, le passage est entièrement remanié et augmenté :

Il y a, non loin de sa source, sur une Montagne nommée Engstlen, une Fontaine, qui est véritablement un petit miracle de la Nature, & qui en seroit un bien plus grand si tout ce qui en a été écrit étoit vrai. Mais tous, sans excepter même l’Auteur des Delices de la Suisse, ont fait un mélange de circonstances vraïes & fausses ; c’est pourquoi il est bon de fixer à quoi on doit s’en tenir, afin de rendre justice à la vérité, en même tems que nous purgerons l’Histoire naturelle de la Suisse de quelques faits faux & superstitieux.145

On reconnaît la phrase finale, copiée chez Scheuchzer. L’annonce est suivie par le texte même du savant zurichois, traduit pour l’occasion. L’emprunt est ici notifié, l’origine du passage étant mentionnée dans la marge du livre. Un tel traitement de l’information pourrait laisser supposer que les faits irréels ont rapidement été relégués au rang de la fable par le XVIIIe siècle, mais, comme dans le cas de la marmotte, le processus ne

s’effectue pas de manière linéaire et des représentations anciennes peuvent perdurer. En effet, le texte sur l’Engstlenbrunnen ne constitue pas le passage le plus fréquemment cité des Itinera de Scheuchzer : les somptueuses gravures de dragons publiées dans le cinquième voyage, effectué en 1706146 étant naturellement plus prompte à attirer l’œil du

lecteur. Si Ruchat n’est pas très prolixe à ce sujet, même s’il évoque à l’occasion une anecdote, Altmann rajoute en revanche un long chapitre à son ouvrage pour traiter « Des Dragons qui ont été vûs dans la Suisse ». Là également, les éditeurs font usage d’une traduction, le texte de Scheuchzer étant reproduit pour détailler sur trente-cinq pages les dragons observés en Suisse, canton par canton.147 L’utilisation ouverte – c’est-à-dire en

tant que figure d’autorité – des textes anciens, se fait donc selon deux types de modalité

144 Abraham Ruchat, Les Délices de la Suisse, op. cit., t. I, p. 168. 145 L’Etat et les Délices de la Suisse, 1730, op. cit., t. II, p. 222-223. 146 Johann Jakob Scheuchzer, 1723, op. cit., t. III, p. 378- 397.

147 On consultera à ce sujet le chapitre de Claude Reichler, « Les dessous du paysage. Dragons, cavernes et

légendes », in La découverte des Alpes et la question du paysage, Genève, Georg, 2002, p. 81-108. Reichler précise à propos des témoignages qui attestent de la vue d’un dragon que Scheuchzer ne les vérifie que pour « mieux en asseoir les preuves ». « Lorsqu’il récuse une histoire rapportée, ce n’est pas pour introduire une rupture dans la cohérence du monde et du texte, c’est pour distinguer la parole populaire, aisément trompée, avide d’espoirs et de craintes, de la structure de références contrôlée par l’auctoritas. » Ibidem, p. 88. Dans le cas de l’Engstlenbrunnen, c’est exactement l’inverse qui se produit, l’auctoritas étant balayée par les connaissances populaires ; le « monde » et le « texte » ne concordent donc plus. La cohabitation des deux procédés illustre bien l’aspect charnière de l’œuvre de Scheuchzer, à cheval entre savoir baroque et modernité.

radicalement différents. Si la citation peut avoir pour but de donner du crédit aux informations dispensées par l’auteur ou si elle peut servir à combler un manque de connaissances personnelles, on peut également observer, à l’aube du XVIIIe siècle, un

regard critique : une série importante d’auteurs peut ainsi être mentionnée pour remettre en question les informations dispensées, afin de les remplacer par un texte plus actuel. Si l’histoire naturelle se voit ainsi occasionnellement séparée de la légende, la cohabitation entre le rationnel et la fable reste néanmoins importante et témoigne de l’influence exercée par les textes ayant statut d’autorité.