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Si les textes abordés jusqu’à présent considéraient l’espace helvétique de manière assez large dans la mesure où il s’agissait d’un chapitre parmi d’autres, il existe également une littérature géographique spécifiquement dédiée à la Confédération. Ces descriptions sont naturellement susceptibles d’être plus approfondies que celles qui figurent dans les ouvrages présentant un caractère plus général. Il convient dès lors de considérer la place réservée aux Alpes dans ce type de textes. La Topographia Helvetiae, Rhaetiae, et Valesiae275 de

Matthäus Merian (1593-1650) et Martin Zeiler (1589-1661) fait partie d’une large entreprise, la Topographia Germaniae, publiée en vingt-et-un volumes, continuée après la mort de Merian par son fils qui porte le même nom, Matthäus Merian der Jüngere (1621- 1687). Bien que le projet global ne concerne pas uniquement la Suisse, les textes sont plus spécifiques, les différents tomes étant consacrés à des régions particulières comme la Hesse, la Bohème, la Souabe, la Bavière...276 Le tome III, qui a pour objet la

Confédération, décrit la situation de la Suisse en deux pages, avant de passer à la

274 Le texte renchérit encore « Die Einwohner lassen ihnen ihren Wein und Getraid von andern Orten

bringen / haben das beste Fleisch / Fisch aus den Seen / und Strömen / aus den Wälden und Bergen das edleste Wildpret ». Idem, p. 943.

275 Matthäus Merian, Martin Zeiler, Topographia Helvetiae, Rhaetiae, et Valesiae : Das ist / Beschreibung unnd

eygentliche Abbildung der vornehmsten Stätte und Plätze in der hochlöblichen Eydgnossschafft / Graubündten / Wallis / und etlicher zugewandten Orthen, Frankfurt am Mayn, Zum Truck verlegt von denen Merianischen Erben, 1654. La première édition est parue en 1642. L’édition de 1654 a fait l’objet d’un reprint : Topographia Helvetiae..., Kassel und Basel, Bärenreiter-Verlag, 1960.

276 Tome I, Topographia Hassiae, et regionum vicinarum... ; tome II, Topographia Bohemiae, Moraviae et Silesiae... ;

description des cantons un par un. Comme les autres descriptions de la Confédération, le texte se conforme à la structure politique en présentant les deux alliés que sont les Grisons et le Valais en fin de volume, après avoir abordé les XIII cantons. Le texte est rédigé par Zeiler tandis que les illustrations, qui présentent principalement des vues de villes, de châteaux ou de monastères sont de Merian. La structure des chapitres est toujours la même : le canton est présenté dans un premier temps d’une manière générale, notamment en donnant des informations de nature historique, puis les localités les plus importantes sont abordées séparément par ordre alphabétique.

Si on s’arrête à la description du canton de Berne, qui est susceptible de contenir des informations sur les Alpes puisqu’elles constituent une part non négligeable du territoire bernois, on constate que la partie qui concerne l’ensemble du canton n’aborde pas l’espace alpin ; la description de la ville de Berne y tient en revanche une place importante. Lorsque les principales localités du pays bernois sont abordées, les lieux qui se trouvent géographiquement dans l’espace alpin sont bien énumérés, mais les montagnes environnantes ne sont pas décrites. Pour la ville d’Aigle, seul l’éboulement qui a détruit la localité d’Yvorne en 1584 est mentionné. Quant au village de Frutigen, il n’est pas question de sa situation géographique, si ce n’est pour dire que l’ensemble de la vallée porte le même nom. Les localités du plateau bernois comme Aarberg, Büren, Burgdorf, Thoune et Wimmis ou encore celles du Pays de Vaud comme Lausanne, Morges, Nyon, Yverdon et Grandson sont en revanche décrites de manière plus détaillée.277 Intercalée

entre la description d’Unterseen et de Wangen, la « Beschreibung dess grossen Gletschers » aborde cependant l’espace alpin sur près d’une page, soit un texte presque aussi important que celui réservé à la description de la ville de Lausanne. Le glacier de Grindelwald dont il est question est décrit de manière très détaillée. Bon nombre d’informations sont tirées de la Cosmographia de Münster et de l’Eydgnoschafft de Stumpf. Les textes se ressemblent passablement : la glace est dure et peut être comparée à du cristal ; des crevasses se forment en faisant un grand bruit ; elles sont dangereuses lorsqu’elles sont recouvertes de neige fraîche, mais elles peuvent en revanche s’avérer utiles pour conserver la viande durant l’été. Le texte de Zeiler n’apporte jusqu'ici pas de nouveauté par rapport à la Cosmographia et à l’Eydgnosschaft, mais on peut cependant repérer une autre information qui apparaît dans les premières lignes du texte :

Es mag dieser Berg / geliebter Leser / vor andern für etwas sonders / und wol für ein miraculum naturae gehalten werden. Ist im Grindelwald / unnd oberhalb Interlappen / zu Latein Interlacus, im Schnee Gebürg gelegen / unnd wird der grosse Gletscher genannt. Es ist nicht weit davon der Orthen ein Capellen zu S. Petronel gewesen / dahin man vor alten Zeiten gewallfartet : Welchen Orth dieses Bergs Eygenschafft zum Wachsthumb / seythero bedecket hat : Gestalt dann die Landleuthe dort herumb observiren / und bezeugen / dass dieser Berg dergestalt wachse / unnd seinen Grund oder Erden vor sich herschiebe / dass wo zuvor eine schöne Matten oder Wiesen gewesen / dieselbe davon vergehe /

und zum rauhen wüsten Berg werde.278

Le texte de la Topographia fait ici référence à l’avancée des glaciers, qui était marquée pendant le petit âge glaciaire. Si cette période débute dans la seconde moitié du XVIe

siècle pour durer jusqu’au milieu du XIXe siècle, ce n’est qu’à partir du XVIIe siècle que

les glaciers des Alpes suisses ont connu un accroissement marqué. Les glaces occupant un espace préalablement utilisé par l’homme, leur avancement était naturellement préoccupant pour les populations alpines. Si la Topographia de Merian est indéniablement un ouvrage de compilation considérablement influencé par les sources du XVIe siècle, il

n’en demeure pas moins que l’information reflète dans ce cas une réalité nouvelle. Le sujet était trop actuel pour ne pas figurer dans un chapitre consacré aux glaciers. Comme dans les textes du XVIe siècle, la description de l’environnement alpin reste néanmoins

centrée sur l’homme et ses activités.

Contrairement aux ouvrages généralistes, le chapitre qui traite du canton de Berne dans la Topographia aborde les réalités alpines, mais l’information reste néanmoins très spécifique. Il convient dès lors de considérer la place réservée aux Alpes dans les descriptions des petits cantons de Suisse centrale. Pour le canton de Lucerne, le Pilate est mentionné dans la Topographia, mais on n’y trouve pas plus d’informations que chez Martineau du Plessis : la légende n’est même pas explicitée, seul le nom de « Pilatus See »279 étant mentionné. En ce qui concerne le canton d’Uri, les montagnes apparaissent

dans leur fonction de démarcation, mais le texte ne s’y arrête pas. Les sources qui ont servi à son élaboration sont en revanche citées : « Münsterus in Cosmograph. Stumpfius in Chron. Helvet. & Josias Simlerus de Rep. Helvetiorum ».280 Il en va de même du

canton de Glaris : le Glärnisch est mentionné, mais sans plus de détail. Quant au canton

278 Topographia, op. cit., p. 32. 279 Idem, p. 36.

280 Idem, p. 38. Soit la Cosmographia de Münster, l’Eydgnossschaft de Stumpf et la République des Suisses de Josias

Simler, ouvrage paru à Zurich en 1576, qui aborde la Confédération d’un point de vue historique et politique.

de Schwytz, les montagnes sont définies par comparaison avec celles d’Uri : « Schweitz oder Schwytz ist ein ganzt Volckreich / von Wiesen und Weyde / lieblich schönes Thalgeländ / mit hohen Gebürgen / doch nicht so rauch und grawsamb / als Ury / umbgeben. »281 Le village même de Schwytz est décrit comme « ein offener mit Bergen

umbgebener Orth ».282 La description alpine du canton s’arrête à ces notations. Pour le

canton d’Unterwald, il s’agit d’un « lieblich Geländ / mit hohem grawsamen Gebürg umbmauret / die sind aber mit grünen Wiesen / und grassreichen Alpen geschmückt ».283

Ces quelques mentions ne donnent pas pour autant une vision globale des Alpes de Suisse centrale.

Si le texte de la Topographia ne se distingue pas vraiment des ouvrages généralistes dans sa description des petits cantons alémaniques, il reste encore à considérer les deux alliés que sont les Grisons et le Valais. Dans le premier cas, on trouve très peu d’informations au sujet des Alpes. Elles ont une fonction pratique pour situer géographiquement les lieux, comme Coire qui se trouve « an zweien Bergen »284 ou encore

l’abbaye de Disentis située « unter dem Luckmanier Berg ».285 Quant au village de

Splügen, le texte le situe « zu oberst am hindern Rhein », « an dem Berg Vogel / darüber die Strass in das Monsaxer-Thal gehet ».286 Si les sources du Rhin sont bien mentionnées,

les informations sont tirées du De Alpibus commentarius de Simler, cité nommément dans ce passage. En ce qui concerne le Valais, les éléments rapportés sont pour la plupart extraits de la Cosmographia de Münster, qui constitue encore la source d’information la plus complète sur le sujet. La Topographia mentionne ainsi les bains de Loèche et leurs propriétés sans omettre de souligner leur situation particulière dans les montagnes, mais le texte n’apporte pas de nouveauté. Certains détails sont tirés mot pour mot des ouvrages parus au XVIe siècle. La chaleur des sources thermales est ainsi exprimée par l’image

habituelle, qui prétend qu’il serait même possible d’y cuire un oeuf. La filiation münsterienne, importante en ce qui concerne le Valais, est indiquée dans le texte :

Die Einwohner haben gar grosse Arbeit / und lassen auch / wie Munsterus berichtet / ein mercklichen Kosten auff das Wasser gehen / das Sie / neben an

281 Idem, p. 39. 282 Ibidem. 283 Idem, p. 41. 284 Idem, p. 79. 285 Idem, p. 83.

den hohen Felsen / mit Känlen geleiten / in die Wiesen / so an den Bergen ligen / und in die höhe sich ziehen ; darumb Sie sprechen / es gehe Ihnen mehr

Kosten unnd Arbeit / auff das Wasser / dann auff den Wein.287

Zeiler ne se cache pas de procéder à une sélection dans différentes sources pour présenter à son lecteur les informations qu’il juge importantes ou, en l’occurrence, incongrues. La description du territoire reste partielle : le texte n’a pas pour but de donner une image représentative et globale de l’espace considéré.

Cette faible présence de l’espace alpin dans la Topographia n’est pas un cas unique : elle peut également être observée dans d’autres descriptions de la Confédération. Jean- Baptiste Plantin fait paraître quelques années plus tard son Abrégé de l’Histoire générale de

Suisse. Avec une description particulière du Païs des Suisses ; de leurs sujets, et de leurs Alliez.288 La

seconde partie passe en revue l’ensemble de la Confédération. Le texte, qui cite fréquemment Münster, est un peu plus complet en ce qui concerne l’Oberland bernois, notamment dans les paragraphes consacrés à Frutigen et à la Vallée du Hasli, mais la description reste orientée vers les aspects utilitaires. Les cols de la Gemmi et du Grimsel sont mentionnés en tant que chemins conduisant en Valais. Il n’est en revanche pas question des glaciers de Grindelwald abordés dans la Topographia. Les descriptions des cantons de Suisse centrale contiennent peu d’informations alpines : le Pilate est mentionné pour Lucerne tout comme la prédominance de la pâture sur la culture dans les cantons d’Uri et de Glaris. Quant au chapitre qui traite du Valais, son contenu n’est pas original :

Le Valley est exposé aux rigueurs du chaud & du froid, & encor qu’il soit embarassé de tous costés par des hautes montagnes & des rochers qui pour une bonne partie s’eslevent vers le ciel, jusques à la hauteur d’une lieuë Germanique & que plusieurs soyent perpetuellement chargés de glace, qui ne se peut resoudre, ou de profondes neiges, ne manque pourtant de choses necessaires à la vie, fertil en vin, bled, & autres sortes de fruicts, il y croid froment, seigle, avoine, orge, febves, pois, millet & lentilles. Vous y voyez, Grenades, figues, amandes, pommes, poires, noix, prunes, cerises, chastaignes, meures, pesches,

noisettes, Cormes, &c. Le saffran y vient assez abondamment.289

287 Idem, p. 88. Dans les faits, l’énoncé n’est pas à prendre au pied de la lettre, la culture viticole en Valais

profitant également de l'arrosage.

288 Jean-Baptiste Plantin, Abrégé de l’Histoire générale de Suisse. Avec une description particulière du Païs des Suisses ;

de leurs sujets, et de leurs Alliez, Genève, Pour Jean Ant. & Samuel De Tournes, 1666.

On retrouve la séquence de fruits münsterienne.290 D’une manière générale, les

informations présentes dans le texte ne se démarquent pas de la Topographia de Merian / Zeiler et l’ensemble reste soumis à l’autorité des ouvrages parus au XVIe siècle. Les

mêmes conclusions peuvent être tirées du texte de Johann Caspar Steiner, Germano-

Helveto-Sparta Oder Kurtz-deutliche Grund Zeichnung des Alt-Teutschen Spartier-landes Das ist, Schweitzer-Land291 paru dans une première édition en 1680. Dans cet ouvrage, les aspects

historiques sont prédominants, le texte présentant un chapitre entier sur les différentes guerres qui concernent les Confédérés tandis qu’un autre chapitre est consacré aux édifices monacaux de Suisse. La description du Valais est avant tout politique, les aspects géographiques tenant sur deux pages.292

Un texte, paru à Nürenberg à la fin du XVIIe siècle livre des informations plus

détaillées sur les parties alpines des différents cantons, sans pour autant se démarquer des ouvrages précédents. Der grosse helvetische Bund293 de David Funck aborde dans un premier

temps en trois chapitres les caractéristiques générales de la Confédération et de ses habitants ainsi que les aspects historiques et politiques. Funck note d’emblée les différentes réalités géographiques qui composent la Confédération :

[…] der Oestliche Theil [ist] / gebürgicht / rauch / und mit unersteiglichen Felsen umbzingelt / da hingegen der Westliche und Nördliche mit kleinen Hügeln besämet / die sich letzlich in eine flache Ebne / endigen : und also die natürliche Eigenschaften der Lufft und des Erdbodens ungemein verändern.

Les propriétés du sol dont il est question ici peuvent être considérées comme un fil conducteur de la description des cantons alpins, qui mentionne de manière systématique la richesse des pâturages de montagne. Ce premier chapitre de l’ouvrage met en évidence une situation d’équilibre économique entre des régions alpines qui élaborent une quantité importante de produits laitiers, mais qui sont peu propices à la culture, et les régions de plaine qui achètent les produits issus des Alpes, rendant ainsi possible l’approvisionnement de ces régions. Le chapitre consacré aux cantons met ainsi en

290 Cf. infra, chapitre I.

291 Johann Caspar Steiner, Germano-Helveto-Sparta Oder Kurtz-deutliche Grund Zeichnung dess Alt-Teutschen

Spartier-Landes Dass ist, Schweitzer-Land, Zug, Bey Heinrich Ludwig Mues, 1684 [2]. Le texte a été réédité en

1690.

292 Johann Caspar Steiner, op. cit., p. 336-337.

293 David Funck, Der grosse helvetische Bund ; oder Gründliche Fürstellung / Der Löblichen Eydgenosschafft...,

évidence les « köstliche Weyden »294 des Alpes bernoises et le nombre extraordinaire de

bêtes qui peuvent être mises à pâturer sur le Rigi dans le canton de Schwytz.295 Des

constatations similaires sont émises au sujet du canton d’Unterwald :

Es sind aber die Einwohner dieses Cantons wegen der trefflichen Vieh-Zucht / sonders reich / wie dann in hiesigem Gelände viel Bauern befindlich / die dreyssig biss vierzig Kühe besitzen / von denen sie jährlich 600. bis 800.

Reichsthaler Nutzen haben.296

La richesse de l’environnement alpin ne se limite cependant pas à ses pâturages : le texte s’arrête sur tout ce qui peut en être tiré. Lorsque les lacs de Suisse sont énumérés, l’auteur mentionne également de petits lacs de montagne non sans souligner qu’ils contiennent de « köstliche Fische »297 tandis que bon nombre d’animaux que l’on trouve communément

dans les montagnes sont mentionnés plus bas. Une seule exception à cette utilité globale de l’espace alpin : les glaciers.

Die Gletscher oder Eisberge sind auch häuffig in der Eydgenossschafft / allein mehr schäd als Nützlich ; in dem absonderlich der grosse Gletscher in den Berner-Gebieth / stetigst weiter mit unersättlichen Geitz umb sich greifft / und verschiedene Anwohner bereits gezwungen / ihre Wohnungen weiter hinweg

von ihm zu entfernen.298

Comme dans le cas de la Topographia, ce texte fait part d’une information réactualisée en ce qui concerne les glaciers en mentionnant leur avancement problématique au XVIIe siècle.

Si on considère l’ensemble de ces descriptions de la Confédération, on note que les Alpes sont traitées de manière plus détaillée que dans le cas des descriptions généralistes, mais l’intérêt pour le relief reste éminemment utilitaire.