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Section II. Les systèmes alimentaires au Sénégal

3. Les systèmes alimentaires dans les centres urbains

Commesouventdanslespaysd’Afriqueau sud du Sahara,lessystèmesalimentairespratiqués témoignentla dualitéquicaractérisel’économieetlessociétésafricainesen général.D’un côté, nous avons des sociétés urbaines extrêmement ouvertes sur le monde moderne avec tout ce que celaimpliqueen consommation dediversproduits,etd’unautre côté il y a un arrière-pays rural encore dominé par des systèmes agraires traditionnels et des modes de consommation peu évoluées.C’estdonccettedualitéentrelesdeux milieux (urbain,rural)quenousretrouvonsdans les systèmes alimentaires et les modes de consommations des populations. Au Sénégal, par exemple il est reconnu de tous, que les modes traditionnels de consommation alimentaire étaient commandésparlavariation desisohyètes,letyped’agriculturecorrespondantetlesactivitésde cueillette.Etquec’estprogressivement,avecl’expansion del’arachicultureetlaspécialisation agricoledesrégions,que lessystèmesalimentairesruraux ontévoluéen s’adaptantàl’économie rurale du moment.

En revanche, au niveau des villes, se sont développés des systèmes alimentaires originaux, en ruptureavecl’arrière-paysruraletlesproduitsagricolesy provenant.C’estpourquoi,ilnous paraît intéressant de comprendre ces systèmes alimentaires urbains, de rappeler le processus de leur formation etlesfacteursdeleurexpansion danslesautresvilles.L’analysedessystèmes alimentaires urbains du Sénégal permettra de mettre en exergue la formation des habitudes alimentaires, la constitution de réseau de distribution mais également l’impact des revenus monétaires dans ce système. Pour ce faire, nous avons décidé de centrer notre analyse des systèmesalimentairesurbainssurceluidelaville deDakarétantentendue quec’estunedesplus anciennesvillesmodernesdel’Afriquede l’Ouestoù pu naître et se développer un système alimentaire original.

3. 1. Formation des habitudes alimentaires à Dakar et dans les autres villes

L’agglomération dakaroisecomptait2 326 929 millionsd’habitantsen 2000,soit24,42 % dela population du Sénégal, auxquelsviennents’ajouterannuellementdesmigrantssaisonniersruraux del’ordrede100 000 à150 000 personnesselon lafaiblessedesactivitésagricolesdel’année écouléeou del’annéeen cours.Ceflux régulieretimportantdepopulationss’ajouteàd’autres populationsétrangèresanciennementou récemmentétabliesàDakar.Toutnaturellement,l’on aurait tendance à croire que la diversité socio-ethnique qui résulte de tels flux créerait une diversitéau plan alimentaire,d’autantquel’accroissementdémographique s’accompagne d’une expansion spatiale de la ville136 et d’une extension des distances qui rendent plus difficiles l’accèsaux marchés.Maisilnesemblepasquecesoitlecas.Toutau moins,sion observele bilan alimentaire en 1974 (tableau 15), il apparaît déjà clairement à cette date que les habitudes alimentaires ont tendance à s’homogénéiser et qu’en même temps, émergeait une mode de consommation spécifiquement urbaine.

136Entre 1960et2000,lexplosion démographiquedelaville deDakarfuttellequecinq autresgrandesvillesont émergées à sa périphérie. Ces villes sontM’Bargny 38 739 habitants,Guédiawaye452 168 habitants,Pikine,745 372 habitants, Rufisque 165274 et Sébikotane 16 316 habitants. Ces villes forment avec la ville de Dakar,

Tableau 15. Bilan alimentaire selon les zones urbaines et rurales du Sénégal en 1994

Consommation huile en kg par hbt par an 8.5 4.1 17.9 19.9 15.5

Consommation sucre kg/hbt/an 11.6 9 17.2 19.9 13.9

Source : extrait du 5ePlan de Développement Economique et Social du Sénégal

Le bilan alimentaire montre clairement que dès 1974, il se mettait en place chez les populations urbaines sénégalaises un nouveau système alimentaire différent de ceux que nous avons étudiés dans les zones rurales. Le processus qui conduit à la transformation des habitudes de consommation à Dakar et dans les autres villes s’est fait à travers un processus de transfert vers le riz de la consommation de céréales ainsi que la progression des apports calorifiques et protéiniquesd’origine animale,laconsommation d’huileetdesucre.Ceprocessusestconfirmé au fildesannéespard’autressourcesd’investigation commele recensementdela population (RPGH) de 1988 et diverses autres enquêtes socio-économiques dont celles sur les Priorités (ESP,1992),surlesMénages(ESAM,1995)maiségalementparuneséried’enquêtesréalisées en 1996 parARDIS danslecadredel’étudedelaPauvretédansl’agglomération dakaroise. Dans le rapport de l’étude de ARDIS - 1996, la structure annuelle de la consommation alimentaire par personnes dans les ménages dakarois pour les aliments de base est la suivante : Mil13 kg,riz 95 kg,maïs3 kg,blé50 kg,huile25 litresetsucre30 kg.L’évolution des chiffres de la consommation selon les aliments entre 1960 et 2000 permet à toute personne, qui observelespratiquesalimentairesau Sénégal(tableau 16),deserendrecomptedel’effectivité d’un systèmealimentaire urbain à base deriz,d’huile et de sucre et dans une moindre mesure de blé137.

Tableau 16. Place du riz brisé dans les principaux menus consommés dans les zones urbaines sénégalaises

Noms de menus Aliment de base Aliments de support Saison

Mafé* Riz Patted’arachide,huile,tomate,viande

ou poisson Toutes les saisons

Yassa* Riz Oignions, huile, poisson ou viande Toutes les saisons

Ceebu jeun* Riz Poisson, huile, légumes Toutes les saisons

Soupe kandja* Riz Gombo, huile de palme, poisson séché Saison des pluies

Domoda* Riz Farine, huile, tomate poisson ou viande Toutes les saisons

thiou* Riz Huile, tomate, poisson, viande Toutes les saisons

caldou* Riz Poisson, huile, citron, bissap Saison des pluies age

* appellation en wolof

Ce tableau fait apparaître clairement la place dominante du riz dans les consommations alimentaires urbaines et témoigne la différence avec les régimes alimentaires ruraux. En plus, la différence entre les régimes alimentaires urbains et les régimes ruraux reflète aussi les changements qui sont survenusdanslessystèmesd’approvisionnement,lesmodesde vie,les activités économiques et le contexte social et spatial.

Aujourd’hui le système alimentaire urbain sénégalais est fait de plusieurs formules de consommation, lesquelles contribuent à sa complexification. Elles sont entre autres : les

«tangana138» pour le petit déjeuner, les cantines d’entreprises ou scolaires, la petite restauration, les cuisines collectives139, l’alimentation de rue, etc. Chacune de ces formules s’accompagned’uneadaptation culinairelocale etrépond àunedemanded’unepartiedela population soit en rapport avec des moyens financiers limités, soit à cause des problèmes de transport qui obligent à manger sur place ou soit à cause des contraintes de temps. La tendance des Dakaroisàs’alimenterdanslarueparticipeégalementdelatransformation desmodesde consommation etdesrapportsàl’espaceetladistance.Cettetendancenechangepaslesystème alimentaire en profondeur car les aliments de base et les plats consommés restent les mêmes, thiép bou dieune(riz au poisson),yassa,domoda,maffé, etc.

138Ce sont en quelque sorte des cafés populaires assez prisés par les populations ayant de faibles revenus.

139Lesrestaurationscollectivessesontveloppéesdepuislinstauration delajourecontinuedetravail.Cesont souvent des formes de restaurations créées par quelques personnes, moins de dix en général, qui partagent le même travailou lemêmelieu detravail.Cespersonnesse cotisentetconfientla cuisineàunefemmequ’ellespaientàla

Un nouveau phénomène qu’on observeàcôté desplatshabituelsdontlapréparation prend du temps,c’estlefaitquelesDakaroissetournentverslarestauration rapideversion sénégalaise.

C’estparexemplelecasavecles«chawarma», qui sont en quelque sorte des « hamburger » mais faites avec du blé, de la viande grillée et des légumes qui se sont rapidement imposés dans les habitudes alimentaires dans la population. L’émergence dessystèmesalimentairesurbains spécifiques et les diverses formules de consommation qui en découlent font apparaître une doubleoriginalité.D’un côté,ilsontengendrédesmodesdeconsommation en ruptureavecles habitudes alimentaires ruralesetd’un autre côté ilsn’évoluentpasverslesmodèlesoccidentaux de consommation alimentaire. En revanche, dans le cas des restaurations collectives, nous assistonsàunesortedecompromislestraditionsruralesdegestion collectivedel’alimentation, à une différence près que cette fois-cilecollectifn’estpluslafamilleou leschampsdemilmais l’appartenanceàlamêmecatégoriesocio-professionnelle ou la proximité spatiale des activités.

Il y a lieu de s’interroger sur la viabilité du système alimentaire urbain si l’on sait que le fonctionnement de celui-cisefaiten complètedéconnection avecl’arrière-pays et la production agro-alimentaire nationale. Les tentatives des pouvoirs publics de répondre à la demande alimentaire, notamment cellesquis’appuientsurlemilieu rural,n’ontpasencoremarché.Mais le clivage urbain/rural dans la consommation entraîne une sorte de divorce dans la production vivrière rural (offre) et la consommation urbaine (demande). Tous les efforts doivent donc être déployés afin que la demande urbaine serve de moteur plutôt que de frein au développement de l’agriculture locale. Il convient par conséquent de rechercher les moyens d’une meilleure adéquation des systèmes de production, de commercialisation et de transformation alimentaire à la demande des consommateurs urbains et cela devrait déboucher sur des stratégies destinées à développer des aliments locaux transformés qui puissent faire concurrence aux produits importés prêts à l’emploi, grâce à un approvisionnement stable et à la facilité et la rapidité de leur préparation (Lunven & Al.,1991)140.

Consommer local : Les habitudes alimentaires ignorent les céréales locales transformées

Les céréales, même si elles ne sont pas produites suffisamment, restent encore supplantées par le riz importé. Il faut donc créer le besoin chez le consommateur et mettre au point des unités de transformation de nos produits agricoles.

"Cere diambar", "pain riche"... Ces tentatives "précipitées" de la promotion du consommer local ont échoué. Et les céréales, même si elles ne sont pas produites suffisamment, restent encore supplantées par le riz importé. Il faut donc créer le besoin chez le consommateur, indique M. Ibra Seck, directeur technique de la Société industrielle sahélienne de mécaniques des matériels agricoles et de représentation (Sismar) qui intervenait avant-hier, lors d'une conférence publique sur "la transformation des produits agricoles et l'accroissement de la productivité en Afrique".

Cette conférence organisée par l'Institut africain de développement économique et de planification (Idep) à l'attention de ses étudiants en formation en agriculture, était l'occasion pour M. Seck de montrer les problèmes de la production et de la transformation des produits agricoles.

Entre 1960 et 1980, tout a été fait pour développer les cultures de rente comme l'arachide et le coton. Les céréales sont alors restées comme des cultures vivrières. Changeant du coup les habitudes alimentaires des Sénégalais qui ont bougé vers des céréales prêtes à l'emploi comme le riz importé. D'où la nécessité de mettre au point des unités de transformation de nos produits agricoles. Ainsi, la Sismar a procédé à la mise au point de tous les équipements comme des décortiqueuses de céréales, des moulin, des trieurs, etc. Pour son directeur technique, "c'est une politique volontariste au-delà de nos ambitions de société privée qui nous a permis d'en arriver là". Et pour mieux disséminer les matériels dans le pays, elle a décidé de ne pas protéger les machines mises au point. Elle a donc laissé les artisans et forgerons recopier ce qu'elle a fait pour disséminer la technologie à travers le pays. Et le résultat, note M. Seck, est qu'aujourd'hui, dans toutes les villes du Sénégal, on peut trouver des céréales locales ensachées et prêtes à la consommation. Quant à l'acquisition du matériel qui pose le plus souvent de problèmes aux paysans, le directeur technique de la Sismar estime que cela tient du fait de l'état de pauvreté extrême du paysan. Ainsi, ce dernier a des préoccupations alimentaires quotidiennes plutôt que celles d'acquisition du matériel de transformation. Cela sous-entend que l'Etat doit massivement intervenir, comme il le fait dans son nouveau programme agricole en subventionnant le matériel agricole à 80 % et en le mettant à la disposition du dernier des paysans. Par exemple, explique M. Ibra Seck, le semoir qui coûte 186 mille francs peut être subventionné et vendu à 37 mille francs au lieu de le donner à crédit à 200 mille francs. Un crédit qui ne sera jamais remboursé. Avec cette politique, estime le technicien, "le paysan conscient de l'importance du semoir dans sa production, fera tout pour se procurer ce matériel". au Centre correspond le grand marché de grossistes, à la Commune le marché des demi-grossistes et des détaillants, qui à leur tour se retrouvent au niveau des quartiers. Mais, il arrive que ce réseau se complexifie au fur et mesure que la ville augmente et surtout lorsque des habitationsspontanéess’installentmassivementcommec’estlecasdansla villedeDakar.

Dans les centres urbains sénégalais, nous distinguons en général deux catégories de réseaux de distribution :lesréseaux d’approvisionnementalimentairesdesvillessituéesà ‘‘l’intérieurdu pays’’etleréseau d’approvisionnementdelavilledeDakar.

Au niveau desvillesdel’intérieur,leréseau dedistribution etd’approvisionnementestmoins complexe. En général, au niveau de chaque région, la ville qui est en même temps chef-lieu et capitale régionale dispose d’un marché dit «marché central » à partir duquel, sont approvisionnés les marchés des quartiers et des petites villes départementales. Ce réseau de distribution présente deux particularités:ildépend souventdu systèmed’approvisionnementde lavilledeDakarpourle riz,l’huile,lepoisson etlesproduitsmanufacturés,tandisque pour ce qui est des céréales locales, des légumes et des produits alimentaires de cueillette, il est alimenté parlesmarchésruraux hebdomadairesquisetrouventdansl’arrière-pays de la ville de Dakar.

Figure 17 : Présentation schématique des flux de céréales au Sénégal

Le circuit d’approvisionnement alimentaire est beaucoup plus complexe pour ce qui est de l’agglomération dakaroise. Il est structuré en plusieurs grands lieux d’approvisionnementet fonctionne selon lestypesdeproduits.Cettediversitéestuneréponseàl’étalementde laville (550 km2) et à son poids démographique sans cesse grandissant (2 326 929 habitants en 2000).

Les principaux marchés d’approvisionnement sont: Le marché des céréales, le marché de poisson, le marché de viande et le marché de fruits.

Pource quiestdelaconsommation en céréalesdansl’agglomération de Dakar,deux marchés servent de lieux principauxd’approvisionnement pour les revendeurs et dans une moindre mesure pour les ménages:ils’agitdu marchéde Thiaroye quisetrouvedanslabanlieue à une vingtaine de kilomètre du centre de la ville et le marché de Tilène située en ville.

Le marché de Thiaroye est surtout réputé comme étant le plus grand marché du Sénégal. Sa

Marchés urbains de

plaquetournantedu réseau d’approvisionnementalimentaireau Sénégal.Ilfonctionnecomme une véritable tête de pont à partir duquel les marchés secondaires de la banlieue et les autres régionssontapprovisionnésen produitsalimentairesdetoutgenre.Maiségalementc’estlelieu par lequel Dakar - ses marchés principaux, secondaires et détaillants de quartiers - est alimentée en céréales locales, en légumes et en produits alimentaires de cueillette.

Dans le domaine de la distribution des céréales, le marché Thiaroye est surtout spécialisé dans les céréales locales, petits mils, maïs rouges ou blancs et sorgho. Ce marché est approvisionné par les bana-bana141 et les commerçants grossistes qui écoulent leurs marchandises auprès des revendeurs. Lesbana-banaqui sont dominants dans ce secteur achètent leurs produits auprès des paysans, soit à crédit auprès des producteurs ou soit au comptant dans les petits marchés ruraux ou louma (marchés hebdomadaires). Ce sont ces mêmes bana-bana qui amènent dans les marchés régionaux et les marchés ruraux les produits alimentaires de type agro-industriels ou provenantdel’importation.

Quant au marché de Tilène, selon les commerçants interrogés, il perd de plus en plus sa fonction de marché principal au profit de celui de Thiaroye, mais aussi du fait de la volonté des autorités de la communauté urbaine de Dakar142.Néanmoins,ilcontinued’approvisionnerles marchés secondaires de la ville de Dakar comme de Gueule Tapée, de Sandage, de Nguélaw et deCastoret les petites étales dispersées à l’intérieur des quartiers.

Lesprocessusd’approvisionnementen céréaleslocalessontidentiquesàceux deThiaroye sauf qu’à Tilène lesbana-bana sont constitués en majorité de femmes et elles procèdent à la transformation des céréales avant de les proposer aux revendeurs ou de les vendre elles-mêmes directement aux consommateurs. Autre caractéristique du réseau de distribution alimentaire de la ville,c’estle rôlederelaisquejouentlesmarchés secondaires et les marchés de détail. Ces deux catégories de marchés remplissent les mêmes fonctions avec la différence suivante : les marchés secondaires font du commerce de gros et du demi-gros et lesmarchésdedétailsn’en font pas. La situation géographique du marché de Tilène dans la ville de Dakar, son processus

141Bana-banaest un terme de la langue wolof qui désigne les commerçants intermédiaires qui opèrent entre la zone rurale de production ou les marchés hebdomadaires ruraux et les grands marchés urbains.

142 La Communauté urbaine de Dakar est une organisation intercommunale qui regroupe les villes de lagglomération de Dakar (Pikine, Guédiawaye, Rufisque et Mbargny). Son objectif est de coordonner les investissementsdescommunesdanslespacedelagglomération etmaiségalementdecréerdesinfrastructures d’utilitécommuneà touteslesvillesdelagglomération comme leMarchécentraldepoisson etlaSERAS pour

d’approvisionnement,lanaturedescéréales(transforméesou non transformées)sontautantde

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