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L’analysedela question del’approvisionnementen céréalesdebaseau Sénégalsuppose une réflexion avancéesurlesecteurdel’agricultureetsurl’évolution desdynamiquesagraires. Ellesupposeaussid’étudierles relationsde ce secteur aveclessystèmesalimentaires en vigueuretlesinfluencesqu’ilvéhiculesurleprocessusdetransformation ou deconsolidation desrégimesalimentairestraditionnels.Un travaildu genre travail,d’autresavantnouscomme Malassis, Bairoch, Santos, Sorre, De Castro, Badouin etc., avaient déjà tenté de le faire. Il y a au moinsunetrentained’années,ilsavaientpoussélaréflexion etdémontrélacomplexitédes liens qui existaient entre les deux sujets, agriculture et alimentation. La plupart de ces auteurs avaient placé leur analyse dans le cadre des rapports économiques Nord/Sud et sur le rôle croissantqueprenaientl’agriculture etl’alimentation danslaconstruction delagéopolitique mondiale.

En ce quinousconcerne,l’angle d’étude que nousavonschoisiestceluiquinos permet de poser,voiredereposerlaproblématiquedel’adaptabilitédessystèmesagrairesen rapports aveclademandealimentairenationaleetderemettrel’agricultureau centredesstratégieset des systèmes alimentaires. Comme le rappelle assez bien Malassis (1979, p. 10) :

«Aujourd’hui, comme hier, l’homme se nourrit à peu près exclusivement des produits agricoles et, aujourd’hui comme hier, l’homme, pour se nourrir, doit labourer, semer et, récolter »38.

Au Sénégal, les produits agricoles de base dont se nourrit la population ont été composés pendant longtemps de céréales sèches et de produits de cueillette. Mais, les transformations survenues dans les systèmes de production ont-elles aidé à la résolution de la demande en céréales de la population? En tout cas, l’examen des statistiques agricoles révèle une production fluctuantedanscedomaine,parfoisinsuffisante,quin’assure pas,au moins,une sécurité alimentaire stable et durable pour le Sénégal. Si nous revoyons les publications, particulièrement les travaux de Bairoch (1966)39 surl’agricultureetl’alimentation dansles

38Economie agro-alimentaire. Economie de la consommation et de la production agro-alimentaire. p 10

39L’évolution delaproductivité agricoledanslespayséconomiquementsous-développés, de 1909 à 1964.

pays sous-développés - travaux qui ont été largement repris par Santos (1967)40 etd’autres -nousnousrendonscomptequel’agriculturesénégalaiseesttypiquedesformesd’agriculture que nous rencontrons dans les écosystèmes sahélo-soudaniens et des pays en développement.

Pourlescaractériser,PaulBairoch distinguedeux niveaux deseuils:un premierseuilqu’il appelle « seuil physiologique minimum »41, et un second qu’il a nommé « seuil de productivité potentiellement dégagée du risque de famine ».

Donc,selon lesannées,laproduction céréalièretitillel’un ou l’autreseuil.Au final,ellereste uneagriculturepeu performante,quivéhiculeun risquepermanentd’insécurité alimentaire.

Comme nous en avons parlé plus haut, la production agricole actuelle et celle des décennies récentes présente des volumes plus proches du deuxième seuil. Autrement dit, la production céréalièredu Sénégalfaitquel’agriculturesesitue à « un niveau où elle est sortie du niveau de productivité dans lequel les famines sont encore possibles »42.L’absencedefaminesetde pénuries prolongées pour une bonne part de la population est rendue possible par les quantités de céréales obtenues annuellementgrâce àl’agriculturepluvialeetà l’agricultureirriguée.La couverturealimentairequiestainsiréaliséeestnéanmoinsprécaireparcequ’ellen’assurepas la quantité de nourriture nécessaire pour obtenir les 2 100 calories par jour, considérées comme le seuil physiologique minimum. Fragile certes, cette couverture alimentaire se reproduit au fil des années, parfois difficilement, avec les contraintes de la croissance démographique et de la dégradation des ressources naturelles. Elle aboutie ainsi à sédimenter dansl’agriculturesénégalaiseunesortedepermanence du risque alimentaire.La volontéde mettrefin àcerisqued’insécuritéalimentairevainciter,lesgouvernantsetlespaysansà tenter de faire évoluer les systèmes agraires pour produire plus.

L’insécurité alimentaire n’est pas bien sûr alarmante mais elle crée des catégories de populations vulnérables43à tous les niveaux du territoire, aussi bien dans les zones rurales que

40 Croissance démographique et consommation alimentaire dans les pays sous-développés : milieux géographiques et alimentation.

41Ilsagitd’un seuildeproduction quipermetuneconsommation quotidiennede2100 calories par habitant.

Dans le cas du Sénégal, ce seuil est difficilement atteignable car il postule deux référents principaux qui sont dépassés à notre époque ; que les secteurs ruraux non agricoles soient moins de 15 % de la population active et que les diverses représentent 10 % de la production.

42Santos, op. cite

43La vulnérabilité est une situation d’exposition à desfacteursderisquemaisaussila difficultéde fairefaceàla situation,lincapacitédesefendre.Par-làmême,un individu peutêtreconsirécommevulnérable,silest

dans les zones urbaines. La vulnérabilité en question peut se traduire par une disette, une famine ou la sensibilité à certaines maladies, etc. En effet, toute la frange de la population dont la production agricole se situe entre les deux seuils de productivité ou celle qui migre vers les villes pour pallier les faibles productions. Ces dernières se retrouvent ainsi « particulièrement sensibles à toute modification de leur environnement, par exemple à la variation pluviométrique et au revenu monétaire»44.Elleslesontd’autantplusquesouvent elles sont dans une situation financièrequilesempêched’accéderaux denréesalimentaires nécessaires à la satisfaction de leurs besoins nutritionnels.

Les réponses apportées dans les systèmes agraires ont donc pris deux formes de mise en valeur,l’extensification dessuperficiescultivéesetl’intensification culturale.Danslesdeux cas, on retrouve l’influence, voire la confrontation des deux grandes théories du développement véhiculées dans les pays du Sud, à savoir la thèse Malthusienne et la thèse de Boserupéenne. Rappelons que, prenant le contre-pied de la thèse malthusienne, Boserup a considéréquelacroissancedémographiqueconstituaitlemoteurdel’intensification carelle poussait les populations rurales à accroître la production agricole alimentaire pour répondre à l’accroissementdeleursbesoinsalimentaires.Donclalogiquedesdéveloppeursc’estune logique de complémentarité, ce qui justifie le recours aux deux thèses;parcequed’un côté,il y a cellequipréconisel’extension dessuperficiescultivéesmaisdel’autreily acellequi suggèrel’intensification descultures.

Dans tous les cas, si on se replace dans le contexte des années 70, vu la place de ces deux idéesauprèsdesdéveloppeursdel’époque,ilsemblaitdifficiled’envisagerdesmodesde miseen valeuragricolequis’écartentdel’une ou l’autrethèse.Ced’autantqu’en 1962,René Dumont dans son célèbre ouvrage «L’Afriquenoireestmalpartie» soutenaitl’idéequela limitation de la croissance démographique était une condition indispensable au développementdel’agricultureafricaine.Dansson sillageetparadoxalement,Serpentiéet Milleville45 (1994, p. 33) ont plutôt vu que « dans les milieux sahélo-soudaniens, ces deux théories, qui sont le revers l’une de l’autre, se complètent parfaitement pour interpréter

soumisà desrisquesdemanquedenourriture,ou silsubit de fortes conséquences de ce manque, ou plus encore, silsubitlacombinaison desdeux élémentsprécédents(Azoulay etDillon).

44Idem

45Intensification et durabilité des systèmes agricoles en Afrique soudano-sahélienne

certaines évolutions agraires ». Ils ajoutent que lorsque la population augmente, la société cherche à obtenir plusde ressources d’un même espace, mais rencontre dans cette phase d’adaptation difficiledespériodesinstables,des blocages et des crises de subsistance qui freinent les tentatives innovatrices.

Les modes de mise en valeur - extension et intensification - qui ont été inspirées par de telles visions du développement rural nous paraissent des années après comme des réponses temporaires et spatiales qui ne pouvaient pas transformer en profondeur les systèmes agraires traditionnels. Au contraire, elles ont plutôt agi comme de fragiles adaptations qui ont contribué durant quelques années dans le meilleur des cas à minorer ou voire retarder l’insécuritéalimentaire.Donc,leurefficacitéetleurdurabilitéontétélimitéesdelimiterdans letempsetdansl’espace.Caren effet,ellesreposaientsurl’existencederéservesfoncières suffisantes et/ou de nombreux bras, deux éléments qui permettaient la reproduction quasiment àl’identiquedessystèmesagricolesen vigueur.Mais,lesconséquencesliéesà lacroissance démographique,àl’exoderuraletàla dégradation desressourcesnaturellesrévélerontles limites de ses mises en valeur. Elles s’avèrent être en outre les véritables causes de la persistancedel’insécuritéalimentaireetlasaturation del’espaceagricole.Ellesontmisànu ladifficultépourlespaysansd’intégrerlesnouveaux systèmesagricolesou leursubstituer par d’autresmieux adaptésau contexteagro-écologique actuel et aux besoins alimentaires.

Lesnombreux travaux del’IRD (ex-ORSTOM)quiontétéconsacrésàl’étudedessystèmes agraires et des terroirs villageois dans les pays de la zone climatique sahélo-soudanienne témoignentpeu d’originalitésetd’innovationsagrairesdanslesdifférentspayspourfaireface àlacriseagricoleetàl’insécuritéalimentaire.Lorsqu’ily aeu desinnovations,souventelles n’ont pas aidé à solutionner le problème alimentaire. Au contraire, elles ont contribué à réduire les productions de céréales. L’exemple du Sénégal est éclairant sur ce point. La modernisation dessystèmesdeculturepourl’arachideetl’extension decetteplanteontété d’unevitesse remarquabledansleCentredu paysetaujourd’huidanslesrégionsméridionale et orientale. Mais, face à la croissance rapide de la population du Bassin et à la péjoration pluviométrique, la modernisation des techniques de culture a plus contribué à la saturation de l’espace agricole utile et a déstructuré les systèmes familiaux de production agricole

(Pélissier, 1966 ; Garin et Al., 1990;LericollaisetMilleville.,1993),plutôtqu’àsolutionner le problème alimentaire des populations

L’extension dessurfacescultivées a été donc la réponse principale et constante durant plus de trois décennies face au défi démographique et la péjoration des ressources naturelles. Mais, contrairementàcequ’on semblecroirehabituellement,cetteextension dessurfacesn’apas étéunesolution paysannespontanée.Elleaététrèspeu utiliséedansl’histoiredessystèmes agraires sahélo-soudaniens. Dans beaucoup de circonstances, elle a été imposée aux paysans etladocumentation le prouve.Parexemple,danslesannées30,l’administration coloniale avaittentéderéduirelasurexploitation deszonesruralesen incitantlespaysansàs’installer dansdeszonessauvagesquin’avaientpasencoreétéexploitées(Lerricollais,1999)46. En 1917,c’estlegouvernementdu Sénégalquicrée la Société des Terres Neuves (STNS) pour organiser la création des nouveaux villages pionniers dans le but de désengorger les fortes densités de population du Bassin arachidier.

Denosjours,l’extension desculturesetlaconquêtedenouveaux territoires agricoles, vierges et fertiles, s’orientent vers la partie Sud du pays. Un processus laissé libre, sans aucune tentative de frein, voire encouragé, par les pouvoirs publics. Et, comme d’autres47 le prévoyaient, les plateaux sous-peuplés et peu encadrés de Haute Casamance sont devenus les zones pionnières aussi bien pour les populations Saloum-Saloum et Baol-Baol du Centre du Sénégal que pour les agriculteurs gambiens en mal de terres. Ce processus a abouti à une disparition de plus de 30% de la forêt classée de Pata (Fanchette 1999)48.L’adaptation dela paysannerie du Bassin arachidier, par ailleurs décrite comme « une expansion spatiale des systèmes agraires Wolof en territoire Fouladou » (Fanchette49 ou Ngaïdé 199850, 199951) n’estautrequ’unestratégieagraire. Il faut voir dans cette démarche paysanne la recherche de lasécuritéalimentaireparl’accroissementdelaproduction agricolevivrièreetdesrevenus. Mais dans le futur, elle risque de poser dans la région les mêmes problèmes alimentaires et de production qui étaient à la base de l’extension des cultures parce qu’elle conduit

46Paysans Sereer : dynamiques agraires et mobilités au Sénégal.

47Par exemple Serpentié et Milleville, op. cite

48Migration,intégration spatialeetformation d’unesociétépeuledansleFouladou (HauteCasamance,Sénégal).

49Op. cite

50Le royaume peul du Fuladu et de 1867 à 1936

51Conquête de la liberté, mutations politiques, sociales et religieuses en Haute Casamance : les anciens maccube du Fulado (Région de Kolda, Sénégal).

inévitablementàl’homogénéisation dessystèmesagrairesetà l’uniformisation desmodesde consommation alimentaire.

A l’opposée dessystèmesagrairesextensifsetouverts, on a vu en même temps se développer au Sénégaldessystèmesagrairesintensifspourfairefaceà l’augmentation delademande vivrière.Au Sénégal,lessystèmesagrairesintensifs,d’aprèsla définition deP.Couty,(1991, p. 66) 52 peuvent être classés en deux catégories : les systèmes agraires intensifs agro-pastoraux et les systèmes agraires rentiers. Plus modernes que les premiers, les systèmes agraires rentiers sont localisés, comme le suggère leur nom, dans le Bassin cotonnier en Haute Casamance et au Sénégal Oriental. Ils se caractérisent par l’établissement d’une rotation systématique des cultures. Cette rotation permet aux cultures céréalières de profiter des intrants utilisés pour le coton dans un premier temps. Ce type d’intensification présente l’avantage de retarder la saturation de l’espace mais ne l’arrête pas. Ce qui fait dire à Serpentié et Milleville (1994, p. 38)53que : « les actions entreprises ne visent pas à intensifier mais plutôt à maintenir les niveaux de rendement sans accroître exagérément les risques encourus ou le travail nécessaire et en cherchant à freiner les dynamiques de dégradation ».

Dansle Bassin arachidier,l’évolution dessystèmesagrairesversl’intensification culturalea été observée principalement dans les terroirs Sereer (Lerricollais, 1972 ; Lerricollais et Milleville,1993).Ici,c’estuneévolution en deux phases: une première phase marquée par l’association de l’arbre etl’animaldanslessystèmesdeproduction etune deuxièmephase au cours de laquelle on a assisté à une diminution des temps de jachères, sans pour autant réduire les surfaces vides de cultures qui sont considérées dans les systèmes agro-pastoraux comme des réserves foncières destinées au parcage des animaux. Au niveau du Bassin, les systèmes productifs intensifs ont pu fonctionner pendant plusieurs décennies grâce à une division en couronne de l’espace agricole des terroirs villageois54. Chaque couronne représente une composante des systèmes de cultures et contribue à une période de l’année à l’approvisionnementalimentairede lafamille.Cetteformedemiseen valeurtémoigne la recherche constante, dans un cadre spatial limité, de sécuriser l’alimentation du groupe à

52 L’intensification culturalesignifie quepourunequantité deterredonnée,correspond un accroissementdes quantités de travail et/ou de capital (moyen et technique).

53Op. cite

54Cf. mon mémoire de Diplôme, université de Genève, 2001

travers une fine affectation des activités et des facteurs de production dans le temps et dans l’espace.Lamiseen cultureprogressivedescouronnes,l’uneaprèsl’autre,rejointl’idéede

« complémentarité » dont parlent Serpentié et Milleville quand ils interprètent les thèses de Malthus et de Boserup dans le domaine agricole. L’investissementen travaileten intrants danslesdeux premièrescouronnesestproportionnelàl’importancevitalequereprésententles deux couronnesdanslessystèmesetrégimesalimentaireschez lesSerer.Et,c’estdansces couronnesqu’on retrouvelesculturesvivrières,céréalesetcondimentsdivers,tandisqu’au niveau de latroisième couronne,on trouvel’arachide,une spéculation desecond degrédans les systèmes agro-pastoraux Serer.

Le système alimentaire développé dans cette d’organisation spatiale de l’agriculture a pu perdurergrâceàl’association d’un systèmed’élevageetdejachère.Maisau fildesannées, l’accroissementdelapression anthropiquesurlesressourcesnaturellesetl’évolution dansun environnement politique peu favorable aux cultures vivrières vont obliger la population à grignoter ses jachères, jusqu’à presque leur disparition pure et simple. Ce phénomène a contribué à la perturbation des systèmes productifs traditionnels et des conditions d’autosubsistance en milieu Serer (Pièri, 1989). Déjà, en 1970, dans le village de Sob, Lerricollais mettait l’accent sur l’inadaptabilité des systèmes agraires et les problèmes alimentaires qui en découlaient. Il observait que le système agraire Serer était un système intégré et intensif qui permettait l’autosuffisance alimentaire. Il soulignait aussi que la saturation de l’espace-conséquence de la croissance démographique- était la cause des pénuriesdeterres,del’extension delaculturedel’arachideetl’adoption delacharrue.

Devenusdévoreursd’espacesetdestructeursderessourcesnaturelles(suiteàlapénétration desculturesd’exportation),lessystèmesagrairestraditionnelsontétésouventtransformés, voire mal mise en valeur par les pouvoirs publics et les paysans pour fournir la réponse à la baisse des productions. Leur disparition progressive n’a pas signifié leur modernisation, malgré une politique dans ce sens. Au contraire, elle a véhiculé un affaiblissement la fonction

Devenusdévoreursd’espacesetdestructeursderessourcesnaturelles(suiteàlapénétration desculturesd’exportation),lessystèmesagrairestraditionnelsontétésouventtransformés, voire mal mise en valeur par les pouvoirs publics et les paysans pour fournir la réponse à la baisse des productions. Leur disparition progressive n’a pas signifié leur modernisation, malgré une politique dans ce sens. Au contraire, elle a véhiculé un affaiblissement la fonction