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Section II. Les systèmes alimentaires au Sénégal

1. L’ agriculture et l’ alimentation dans la pensée géographique

question dans le nouveau monde issu de la deuxième guerre mondiale. Cette prise de conscience se retrouve distillée dans les différents courants de la Géographie (Régionale, Rurale, Géopolitique, Economique, etc.), qui ontintégré lesujetdansleurobjetd’étude,quecesoità l’échelle mondiale, régionale ou nationale. Les plus connus à ce jour se sont entre autres, Santos84 De Castro85 et Sorre86. Considérés comme des précurseurs de la « géographie alimentaire », ces auteurs ont développé des points de vue assez différents.

Par exemple, Sorre87a placé son propos dans le cadre de la Géographie humaine régionale88. Il a misl’accentsurlesconditionsdelaviehumaineetlesfacteursquiparticipentàl’influencedela vie de celles-ci sur la terre. Partant de là, il a considéré que la géographie se doit dans son analyse des phénomènes (humains) de « prendre en compte la dimension écologique humaine et le problème de l’alimentation» qu’elle étudie. Mieux, il postule que: « notre discipline, la géographieest en possession de méthodes souples et fécondes…pour prendre une vue d’ensembledesrapportscomplexesetmouvants».Sansqu’ilnelediseexplicitement,nous ressentons chez Sorre cette idée selon laquelle la Géographie doit appréhender les phénomènes de façon systémique, dans leur « complexité».C’estdanscesensqu’ilest,dansledomaine alimentaire,un desprécurseursdel’approcheparsystèmedansl’étudedel’alimentation.Une

82 Géographie économique, géographie de la population, géographie de la santé, géographie urbaine, géographie rurale, etc.

83Dans son mémoire de Licence, M. Meier consacre une analyse bibliographique assez fouillée sur la place du sujet de lalimentation dans la science géographique et les différentes approches proposées par la Géographie pour appréhender un tel sujet.

84Croissance démographique et consommation alimentaire dans les pays sous développés. Milieux géographiques et alimentation, 1967

85Géographie de la faim. Paris, Ed. Ouvrières, 1949

86Lesfondementsbiologiquesdelaographiehumaine.Le milieu vivantetlalimentation humainedelhomme. Paris, Ed. Armand Colin, 1943

87Op. cite

approche qui sera remise au goût du jour par la Banque Mondiale au début des années 90 quand elle préconise une prise en charge de la question alimentaire non plus par la seule production de céréales mais par l’approche de la « sécurité alimentaire »89.

Toutefois en préconisant une approche systémique en géographie, Sorre se rapproche et diverge en mêmetempsdeCastro dontlaréflexion danslasérie d’ouvragesintitulée‘‘Géographiedela faim’’reconnaîtladimension globale(dimension écologique)delaquestion alimentairemais suggère une lecturepolitiqued’inspiration socialiste,derapportdeclasses,dedomination et d’opposition Nord/Sud90. Ce faisant, Castro récuse les analyses géographiques qui ont privilégié les rapports «homme-nature» dansle domainede l’alimentation.Classéle plus souvent dans la catégorie des auteurs de la Géographie du Développement, Castro tire son originalité par une analysefondéesurlesimpacts(lasurexploitation desressourcesnaturelles,lafamine,l’exode), d’une forme d’alimentation dominante et ne néglige aucun facteur qu’il soit politique, économique, physique ou social91.

A partir des années 50 et 60, l’alimentation se retrouve au cœur des préoccupations des responsablespolitiquesnotammenten Europeeten Chine.A leurtourlesgéographess’emparent de plus en plus du sujet et élaborent différentes approches pour mieux connaître le sujet.

Successivement, seront développées trois approches en fonction des courantes dominantes de la pensée géogrpahique : l’approche tropicalistedéveloppéeparl’école de la géographie rurale, l’approcheculturelleparl’école delagéographiehumaineetl’approche parfilièreparl’école économique.

89Nous reviendrons plus loin sur la notion de sécurité alimentaire et ses implications

90 Sur les pays occidentaux industrialisés Castro (1949) dira que « La science et la technique occidentales, orgueilleuses de leurs brillantes conquêtesdansledomaine desforcesnaturelles,auraientétéforthumiliéessilleur avaitfallu confesserouvertementleuréchecpresquetotalquantàlamélioration desconditionsdeviehumainesur notre planète. Leur silence réticent les rendit, consciemment ou non, complices des intérêts politiques qui avaient pourbutdecacherlaritablesituation d’énormes masseshumainesquelétau deferdelafaim enserraiten permanence ».

91Castro professe la méthode géographique pour étudier le problème alimentaire mondial. Selon lui : « la plupart desétudesscientifiquesquisattachentàcesujetsebornentàexaminerlun desesaspectsseulement,projetantainsi

Cesdifférentesapprochesmontrentsimplementquelesgéographesontcomprisl’importancede laplacedel’alimentation danslasociétémoderneindustrielle.Danslefond,sil’on observeles régionsdedéploiementsetlesthématiquesabordées,on serend comptequ’ellesreflètentaussi lesméthodesetlesstratégiesmisesen œuvreicietlà pourrépondreàla demandealimentaire.

De ce point de vue, elles renseignent sur la perception et la représentation - qui ne sont pas les même selon les continents et les pays - quelespopulationsontavecl’alimentation.

La géographie rurale en soumettant l’approche tropicaliste pour comprendre les problèmes alimentairesdanslespaysdu Sud,appelleàl’analysedu milieu,desrapportsentreleshommes etleurmilieu naturel.Ils’agitd’uneapprocheassez déterministequifaitdu milieu naturel(sols, climat, hydrographie, etc.) une contrainte ou une potentialité selon les aptitudes de la population etquel’agriculturereprésentel’activitédominantedu systèmealimentaire.Danslespaysoù encore cetteformed’agricultureesten vigueur,on considèrequel’autosuffisancealimentaire est la condition mère du développement économique et social.

Développée dans les années 60,l’approche tropicalisteen sepréoccupantd’établirunetypologie des ressources92 en fonction desaptitudesetdescontraintespourl’activitéagricoledans une région donnée,au serviced’unepopulation,avéhiculédefaçon sous-jacentel’idéedeslimites qui existeraient et contraindraient l’utilisation de ces mêmes ressources (cette idée est intensément reprise dans les milieux écologistes). Poussée plus loin, cette idée contiendrait la fin del’agricultureetpartantcelledel’alimentation baséesurl’agriculture.Mais,Raffestin (1980)93 nouséloigned’un telscénario lorsqu’ilditque cesressourcesquisontsupposées«finies » un jour sont en fait des « ressources renouvelablesquinécessitentdelapartde l’hommeunegestion précise et correctement régulée pour que fonctionnent les écosystèmes agricoles ».

La complexification de l’alimentation etdesmodesde consommation conduitdonclascience géographiqueàs’intéressernon plusaux produitsalimentairesmaisaux «comment » et aux

« pourquoi » qui sous-tendentlesformesd’alimentation rencontréesdanslemonde.En agissant ainsi,lagéographieposel’alimentation comme un «objet » socio-spatiald’étude,reliéàun

92 Précisonsquelanotion deressourceen agriculturedanslessensdontlentendentlestropicalistesestassez discutée. Les développements les plus récents sur la notion sont de Claude Raffestin (1980) qui préfère à la place desressourcesparlerdefacteursou deressourcesrenouvelablessagissantdu soletdeleau’.Ildémontre que : « les ressources ne préexistent pas aux sociétés, elle ne sont pas naturelles car leurs propriétés sont inventées par les sociétés et variables dans temps, selon les valeursd’usageetd’échangequelessociétésleurattribuent».

territoire et qui se transforme en fonction des dynamiques sociales94. Dans cette perspective, la pratique agricole et alimentaire devient le produit des rapports socio-économiques qui se déroulent dans un espace. Donc, pour l’étudier, la géographie s’est affranchie de ses outils classiques et convoque les éléments sociaux, culturels et historiques qui influent sur une population donnéeetquiconduisentàpréféreretàorganisersaconsommation alimentaired’une façon spécifique. Cette façon d’appréhender l’alimentation s’appelle la géographie de la représentation etdela perception.C’estune approcheculturalistedel’alimentation quiautilisé des méthodes quantitative et qualitative de recherches, méthodes empruntées à d’autres disciplines comme les statistiques, la sociologie et la psychologie.

Autre vision géographique de l’alimentation, c’est l’approche par filière. Développée par la Géographie économique,elles’intéresse davantageà l’accroissementde laproduction agricoleet à l’efficacité de la production de l’agro-industrie. Elle dépasse ou réduit (c’est selon) les approches initiées par la Géographie Rurale et par la Géographie Humaine. Elle considère l’alimentation comme un objectif économique, un marché qu’il faut atteindre grâce au développementd’uneou deplusieursfilièresdu secteuragricoleen s’appuyantsurlesavancées technico-scientifiques.C’estunevision spécialisantedel’agriculture,dontledéveloppementa abouti dans beaucoup de pays à l’uniformisation de l’alimentation et des modes de consommation. Les tenants de cette approche perçoivent le monde comme un grand territoire qui est fait d’échanges et de commerces, et au sein duquel l’agriculture représente un secteur économique avec ses filières et sous-filièresau mêmetitrequel’industrieetlesservices.

Danstouslescas,denosjours,quellequesoitl’approchepréconisée,ilestextrêmementdifficile deréduirel’étudedelaquestion alimentaireetsesrapportsàl’agricultureàuneseulegrillede lecture.Lesdifférentsanglesd’analysequelagéographieproposesanscomptercellesd’autres disciplinescommelasociologie,ledroit,l’économieetl’anthropologietémoignentlecaractère complexe et global du sujet. Probablement, c’est cette difficulté à cerner le sujet dans sa pluridisciplinaritéetladiversitédesesimpactsquiontfaitévoluerlanotion del’alimentation à celles de système alimentaire et de politiques alimentaires.

94Unetelleapprochevoudraitquelalimentation soitun faitcultureletdecivilisation spécifiqueàun territoire,à une population donnée. Ainsi elle a contribué à conforter un certain discours qui consiste à défendre les habitudes alimentaires et ànoncer lacculturation alimentaire. Cette vision statique de lalimentation est à nos yeux inacceptable car elle refuse la redistribution des disponibles alimentaires vers les zones déficitaires sous prétexte qu’ilfautpromouvoirdessolutionsendogènescohérentesparrapportaux ritagesculturelsetsociaux des