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Le Bassin arachidier se situe au Centre du Sénégal. Comme on le voit (carte 6) Il est relativementvasteets’étireapproximativementdepuislalisièresud du fleuveSénégaljusqu’à la frontière nord de la République de la Gambie. Il recouvre unerégion réputéeparl’homogénéité et la fragilité de son milieu naturel, la diversité socio-éthnique de sa population et par un long brassage d’une partie de celle-ci avec l’administration coloniale française. Ce sont ces caractéristiques réunies qui fondentaujourd’huilaspécificitéetladivision du Bassin en deux zones distinctes : la zone Nord qui correspond au plan climatique avec la zone sahélienne (entre 200 à 600 mm en moyenne de pluies par année) et la zone Sud qui est plutôt imprégnée par le climat soudanien et qui reçoit annuellement des quantités de pluie variant entre 600 et 800 mm.

Carte n° 6. Le Bassin arachidier

1. 1. Le Bassin arachidier, le « poumon» del’agriculturepluvialeau Sénégal

Le Bassin arachidier représente à lui seul un mélange représentatif de l’histoire coloniale agricole en Afriquede l’Ouest. Ilestle prototype dela plupartdeséconomiesdespaysen développement, une économie fondée sur l’entretien d’une ou de quelques cultures d’exportation. Pour ce qui est du Sénégal, c’est l’arachide qui a joué ce rôle. Le Bassin arachidier,quien étaitlazoneréceptacle,estconsidérécommelepoumon del’agricultureetde l’économiedu pays.A luiseul,ilcontribuejusqu’àhauteurde59,1% de lavaleurajoutéedu secteur primaire national.

Tableau 20 : Proportion (%) des superficies cultivées pour chaque groupe de cultures par région au Sénégal

Cultures

pratiquées Dakar Diourbel St louis Tamba Kaolack Thiès Louga Fatick Kolda Ensemble

Arachide - 6,45 0,29 8,25 37,95 7,23 9,24 15,58 15,01 100

Céréales 0,05 10,89 6,07 9,74 28,68 10,96 10,29 12,54 10,79 100

Niébé 0,38 19,29 9,33 1,35 1,95 15,11 46,92 5,12 0,55 100

Toutes

cultures 0,13 9,93 5,04 8,71 28,49 10,93 12,34 12,41 12,02 100

Source : Recensement national delagriculturedu négal,1998-1999

Le tableau (n° 20) ci-dessus montre comment une superficie cultivée à 100 % est répartie dans une région administrative en considérant un groupe de cultures essentielles. Les données figurées dans le tableau témoignent la grande place qui est occupée par le Bassin arachidier (Kaolack, Fatick,Diourbel,ThièsetLouga)dansl’agriculturepluviale etlessystèmesagricolespratiqués au Sénégal.Ledernierrecensementnationaldel’agriculturepluviale(1998-1999) nous apprend que plus de 74% des superficies cultivées au Sénégal le sont dans le Bassin arachidier. Mais comme nous pouvons le voir dans ce même tableau (tableau 20), les cultures sont extrêmement disparatesàl’intérieurdu Bassin.Parexemple,larégion deKaolack concentre à elle seule 37,95

% des cultures en arachide et 28,68 % des cultures en céréales contre des proportions beaucoup plusfaiblesdanslesautresrégions.A l’exception descéréalestraditionnelles,seulel’arachide est largement représentée dans toutes les régions administratives. Il en ressort une position dominante de cette spéculation, laquelle position a justifié durant des décennies l’usage du slogan, «au Sénégalquand l’arachideva,toutva». Conséquence, cette spéculation est tout à fait intégrée dans les systèmes de cultures. Ainsi, par sa position prépondérante dans l’

nationale, l’arachide a présidé ou accompagné les mutations sociales et de consommation alimentaire observables aujourd’hui dans les centres urbains sénégalais mais également dans les zones rurales.

1. 2. L’arachide au Sénégal

L’importancedecetteplantenousobligedoncàrappelerquedanssaformeactuellel’arachide remonte à la fin du XIXesiècle.A partirdecettepériode,cetteplantequin’avaitqu’une fonction d’alimentd’appointdanslessystèmesalimentairescommenceàsegénéraliserdanslessystèmes deproduction detellesortequ’on parleraquelquesannéesplustard du Bassin arachidiercomme étant une entité socio-économique et spatiale spécifique qui attire la majeur partie des investissementsdestinésau secteuragricole.L’expansion spatialeetledéveloppementsocio -économiqueinduitsparl’arachidesontàrelieraveclapolitiquedel’administration colonialequi avait le souci d’approvisionner les industries de la métropole.

Dans son ouvrage intitulé «Géographie agraire»,Faucher(1949)restituel’origine del’arachide au Sénégal. Il met en exergue les transformations que l’implantation de cette spéculation a engendrées dans le pays au début du XXe siècle.Pourl’auteur(p.320): « cette spéculation originaire du Brésil, introduite exactement en 1840 au Sénégal, y a provoqué une véritable révolution agraire, surtout dans les districts pénétrés par le chemin de fer. Elle a constitué avec le mil un assolement nouveau, entraînant dans la pratique agricole des progrès techniques, épuisant lessolssablonneux auxquelson la confie,elle obligeraà employerdesengraisce qu’ignorait l’ancienne agriculture. Sur le plan social, la pratique de l’arachide et son insertion dans un système decommerceinternationala induituneouverture d’espritdespopulationssurlemonde extérieur et l’émergence de nouveaux besoins». L’importance des changements fera dire à Faucher147: « au Sénégal,l’arachideaété un ferment de transformations de tous ordres, agraires, intellectuelles, sociales, etc. ».

Aujourd’hui, l’arachide a dépassé les terroirs wolof d’origine pour se répandre au sud dans le Sine (région de Fatick) et le Saloum (région de Kaolack). Plusieurs facteurs se sont conjugués et expliquent la rapide mutation qui caractérise les systèmes agricoles dans la zone. Parmi ces facteurs, on note les conditions naturelles, la facilité d’accès aux facteurs de production (semences, engrais, matériels agricoles,etc.),lacréation d’un réseau privéetpublicdecollecteet

de commercialisation de la graine d’arachide148. Tous ces facteurs cumulés ont obligé les paysansdelazoneàpratiquerun systèmed’assolementdanslequell’arachideaprisuneplace centrale au milieu des cultures vivrières traditionnelles, et les repoussant de fait. Ainsi, dans toutesleslocalitésoù serépandaitlaculturedel’arachide,semettaiten marcheun processusde mutation destechniquesagricolesquiaboutissaitàl’uniformisation des systèmes agricoles et un débutdechangementdesmodesde consommation.Ceprocessusd’uniformisation estimputable à deux raisons:lepremieraétél’objectifdel’administration colonialedefairedu Sénégalun grand producteurd’arachideet le deuxièmefacteurfutlacollaboration entrel’administration (colonialed’abord etensuitenationale)etleGuidedela confrériemusulmanemouride.L’appui du Guide mouride dont les disciples peuplent en majorité le Bassin a été déterminant pour asseoir définitivementlaculturede l’arachide danslessystèmesdeproduction,notammentchez les populations Wolof.

C’estdoncparcettedynamiqueextrêmementbien penséequeleSénégaldevientau débutdes années 30 une des trois puissances mondiales en matière de production et d’exportation de l’arachide.Cetteposition dominanteacontribuéeconsidérablementàmodifierlepaysageagraire du Bassin et au-delà la carte agricole du pays en consacrant le monopole de cette culture face aux autresspéculations.L’agriculture nationale devient dès lors une agriculture à deux versants : un versant destiné à l’exportation, symbolisé par l’arachide et un autre versant destiné à l’autosubsistancetraditionnelle,symboliséparlesculturesvivrièrestraditionnelles.

Avecdu recul,on serend comptequel’expansion del’arachiden’a paseu quedesconséquences économiques.Elle a aussitransformé lessystèmesalimentaires,lesmodesd’accèsaux aliments etlesrégimesalimentaires.Lessystèmestraditionnelsd’assolementqui étaient en cohérence aveclesrégimesalimentairesontétéréorganisésdetellesortequel’arachideétaitdevenuela production finale recherchée. Ce changement a relégué les cultures vivrières traditionnelles comme le mil et le sorgho au rang de cultures secondaires. Désormais, elles ne sont plus au centreau cœurdu systèmederotation descultures.Cechangementestimportantànoter,caril bouleverse profondément les stratégies alimentaires et les équilibres alimentaires construits pendant plusieursannées.Lesconséquencessontd’autantplusdifficilesàcernerquel’étalement et la rotation des cultures entraient dans le cadre des stratégies alimentaires globales imaginées par les populations et dictaient le fonctionnement des régimes alimentaires dans la zone. Ces

148 Le réseau de collecte et de commercialisation de larachide a précipité la monétarisation des échanges et

deux éléments,malgréleurperturbation,vonts’avérerquelquesannéesplustard desréponses aux aléas climatiques qui affectent la zone. Ils seront aussi utilisés comme les régulateurs endogènes du système alimentaire à côté des actions des pouvoirs publics. Ces rapports de la population aux changements induits par l’arachide font que l’ampleur du phénomène de délaissementdesculturesvivrièresau profitdel’arachiden’estpasuniformedanstoutelazone du Bassin. Le délaissement est plus massif, plus vivace dans la partie nord du Bassin peuplée en majorité par les Wolof et beaucoup moins répandue dans la partie sud où les populations Serer se sont montrées plus conservatrices de leurs modes de cultures et de consommation alimentaire (Stomal-Weigel, 1988 ; Lericollais, 1981).

Mais face aux transformations imposées par la culture de l’arachide, les spécificités des organisations socio-économiques, ainsi que celles des héritages de chaque ethnie ont permis aux deux sociétés de créer leurs propres mécanismes d’accommodation(Stomal-Weigel,1988).

Autrement dit, les deux grandes composantes sociologiques ont su interpréter et élaborer leurs propres stratégies de survie et de pratiques agricoles de manière à faire face aux contraintes économiquesetenvironnementalesengendréesparledéveloppementdela culturedel’arachide. Ainsi, le Bassin arachidier du Sénégal s’est progressivement transformé, entraînant le développementdedeux modesdifférentsdemiseen valeuretderapportàl’alimentation au Nord et au Sud du Bassin.

1. 3. Des systèmes agricoles de rente en mutation

Dans le Bassin arachidier du Sénégal, on parle souvent du système agricole arachidier pour désignerlessystèmesdeculturesaussibien pourl’arachidequepourlesautres types de cultures.

Ce système agricole se décompose en deux systèmes de cultures qui représentent deux différentes modes de mise en valeur des terroirs villageois:un systèmedecultureextensifqu’on localise dans la partie Nord du bassin et un système de culture intensif dans le Sud du Bassin. Du pointdevuedespratiquesagricoles,lesdeux systèmesreposentsurdesmodesd’organisation et d’occupation de l’espace qui sont complètement opposées. Dans le premier cas, la stratégie agricole repose sur la conquête des terres vierges, le défrichement et la monoculture arachidière, alorsquedanslesecond caslastratégieagricoleprivilégiel’assolement,l’amendementdessols, lesystèmedesjachèresetl’intégration del’élevage.

Sur l’ensemble du Bassin arachidier, la structure agraire est plus ou moins la même et correspond aveccequ’on rencontredanslapluspartdespayssahéliens.Elleestfaiteparla juxtaposition de deux cercles : un premier cercle qui porte les champs de case et un deuxième cercle qui porte les champs de brousse. Au niveau des champs de cases, on note les cultures d’appointdanslesquellesily adesespècescommelegombo,leharicotetdiverscondiments. Dans les champs de brousse, se retrouvent les cultures principales destinéesàl’alimentation de base du groupe familiale comme le mil le mil à cycle court (pod), le mil à cycle long (maatie) et lesorgho etlesculturescommercialesconstituéesessentiellementparl’arachide.Desproduitsde cueillettes comme les feuilles et les fruits de baobab complètent le système.

Cettestructureagraireetlessystèmesdeculturesqu’ellecontenaitontétéconsidérablement transformés. Gastellu (1988)149 qui a fait des études suivies dans quelques terroirs villageois du Bassin arachidier démontre sous forme de récits les changements intervenus dans les systèmes agraires dans la zone. Il montre que le raccourcissement de la saison des pluies a simplifié le système des cultures et éliminé les plantes à cycle long. Au lieu de simplifier, on peut parler d’appauvrissement des systèmes de cultures. L’une de mes grandes surprises, dit-il, fut de constater la disparition du mil tardif, dont la durée de croissance était inadaptée aux nouvelles conditions pluviométriques. Il occupait la première place dans la répartition des cultures en 1967-1968.Lesorgho subissaitlemêmesort,jen’aitrouvéaucun champ demanioc.Parmiles légumes,iln’y avaitplusdepimentsetlescourgesseportaientmal.

La simplification voirel’appauvrissementdessystèmes de cultures ne peuvent être imputées aux seulspaysans.Cesdeux phénomènesprocèdenten majeurepartiedel’action del’Etat sénégalais qui a voulu moderniser l’agriculture pluviale. On peut soutenir cette idée car pour parvenir à la modernisation de cette agriculture, l’Etat commence dès 1965 par vulgariser les « techniques de culture pour accroître les rendements en arachide et améliorer la productivité du travail » et en facilitant le « recours aux semences sélectionnées, l’utilisation des semis en ligne et la culture attelée,lafertilisation minéralesdu soletl’accèsau crédit». Avec du recul, on peut considérer quecettepolitiquefutlepremierpasdansleprocessusd’uniformisation del’agricultureetdes terroirs villageois dans le Bassin de l’arachide.Ellesera renforcée au débutdesannées80 par une politique similaire, le « Programme agricole» et la création de société d’Etat (la

SODEVA)150, en vu de former les paysans sur les nouvelles techniques de cultures et leur apporterl’encadrement nécessaire pour répondre aux besoins en arachide du pays.

De nos jours, les systèmes de culture que nous trouvons dans le Bassin arachidier portent les conséquences de cette politique «d’arachidisation» à outrance. La rotation culturale triennale (mil, arachide, jachère) est ramenée à un cycle biennale (mil, arachide). Dans le Nord du Bassin, zone plus sensible à la sécheresse, le mil disparaît de plus en plus au profit des niébé, une sorte de légumineuse au cycle végétatif extrêmement court, très prisée par la population. Dans le sud du Bassin où les conditions physiques sont encore plus favorables, les systèmes de cultures sont moins affectés par les changements du milieu naturel et la monétarisation des échanges. Au contraire, ils se caractérisent par une égale répartition entre les cultures vivrières traditionnelles et l’arachide. Pour qui connaît cette zone du Sud, un tel schéma du système de culture ne surprend guère,carlapopulation estconnuepourlaprééminencequ’elleporteaux cultures vivrières et aux champs collectifs, qui sont la base du système alimentaire.

L’obsession àcultiverle miletlarelation séculairequelapopulation Sereraentretenueavec cette spéculation ont été souvent interprétées comme une hostilité du paysan Serer face à l’arachide et aux innovations dont elle était porteuse. Ce point de vue se fondait sur une comparaison parrapportàlavitesseaveclaquellel’arachides’estrépandueen milieu Wolof jusqu’ày supplanterlesculturesvivrièrestraditionnelles.Mais,toutporteàcroire que,c’estun argumentairefaux en cesensquedepuisau moinsdeux décennies,lecœurdu Bassin arachidier du Sénégal se trouve dans les terroirs Serer, Kaolack et Fatick.

1. 4. Productions agricoles dans le Bassin arachidier

La crise151 qui frappe la zone du Bassin arachidier depuis quelques années est souvent, dans les diversesinterprétations,élargieàl’ensembledel’agriculturesénégalaise.Parceque,en étantla zoneprincipaledeproduction del’arachide,cettezoneaattirétoutel’attention,toutl’intérêtetla majoritédesinvestissementsdesautoritésgouvernementalesdansledomainedel’agricultureet

150cf. Les politiques agricoles au Sénégal, p. 115

151 De 1960 à lannée 2000, la contribution du secteur de larachide aux exportations du pays a chuté considérablement, passant de 80% à 12%. Au même moment, la production qui avait atteint des niveaux records comme en 1975 avec 1 million 200 mille tonnes stagne aux alentour des 600 mille tonnes. Subissant les conséquencesdelabaissedu coursmondial,le prix au producteurégalementn’apasarrêtédebaisser(160 f. cfa en

du développementrural.Aujourd’huiqu’elleesten crise,au-delàdu secteuragricole,c’esttoute l’économiedu paysqui le ressent.

Figure 19. Evolution annuelle de la production agricole dans le Bassin arachidier, entre 1974 à 1997

Lorsque nous nous mettons à analyser les performances agricoles réalisées dans le Bassin de l’arachide(tableau 20),nousnousrendonscomptedela pertinencedelasubdivision du Bassin en deux zones (Nord et Sud) que nous avons effectué. La généralisation qui consiste à considérer

1974 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997

Diourbel Louga Kaolack Nioro

chiffressurunelongueséried’annéesdessuperficiescultivées,lesproductionsainsique des rendements, met en opposition un Bassin arachidier Nord en crise152et un Bassin arachidier Sud en « croissance ».

Carte n°7.Lavariation (en %)delaproduction d’arachideau Sénégalentre1980 et2003

Nous observons (tableau 20) que la production en arachide a beaucoup chuté dans la zone Nord du Bassin. Elle a atteint moins 2,75 % par an entre les campagnes 1970 et 2000. Elle était plus forte dans la période des années 80 et 90, années pendant lesquelles la production est passée de 483 milles tonnes en 1983 à 77 mille tonnes en 1993. La tendance baissière est demeurée inchangée, même si de nos jours elle est moins accentuée. Elle est imputable en premier à la réduction dessuperficiescultivées,ensuiteà cellesdesrendements.C’estégalementunebaisse quidécouledelamiseen œuvredelogiquesetdeformesinappropriéesd’exploitation agricole,

Nous observons (tableau 20) que la production en arachide a beaucoup chuté dans la zone Nord du Bassin. Elle a atteint moins 2,75 % par an entre les campagnes 1970 et 2000. Elle était plus forte dans la période des années 80 et 90, années pendant lesquelles la production est passée de 483 milles tonnes en 1983 à 77 mille tonnes en 1993. La tendance baissière est demeurée inchangée, même si de nos jours elle est moins accentuée. Elle est imputable en premier à la réduction dessuperficiescultivées,ensuiteà cellesdesrendements.C’estégalementunebaisse quidécouledelamiseen œuvredelogiquesetdeformesinappropriéesd’exploitation agricole,