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Les sens, l’espace, l’architecture controversée

CHAPITRE 4 La collecte des données

4.1 Phase I Méthodologies visuelles (Analyse du contenu) et historiques 1 Analyse du cas du Musée d’Orsay – Analyse de contenu (Content analysis)

4.1.2 Documentation historique des cas Orsay et Westmount : 1 Gare d’Orsay devenue Musée d’Orsay en France

4.1.2.1.4 Les sens, l’espace, l’architecture controversée

Dans une entrevue avec le Président Valery Giscard d‘Estaing à propos de la conversion de la gare d‘Orsay en musée, il mentionne que la transformation de la gare devait poser

quelques problèmes de pure technique architecturale, d‘où l‘idée de demander à deux architectes, O‘Byrne et Pecquet, de procéder à une étude de parti. (Fillion, 1986 a)

«Le projet d‘Orsay a ainsi pris des configurations multiples dont l‘évolution est intéressante sur plus d‘un point. Dans l‘étude d‘O‘Byrne et Pecquet, (Post

soixhanthuitarde, dit-on aujourd‘hui avec une nuance de mépris), il y avait le principe d‘un lieu de promenade, d‘un espace public et traversant qui aurait créé une liaison urbaine entre les Tuileries et la rive gauche. La première maquette que vit Valéry Giscard d‘Estaing en 1975 est celle d‘une vaste serre, envahie de palmiers et de

plantes vertes luxuriantes, prolongeant l‘idée des expositions universelles et des jardins d‘hiver. Après le concours d‘architecture de 1978, seule l‘idée de jardin d‘hiver

demeure. Le musée est clos sur lui-même, fermé à la ville, organisé autour d‘un cours, qui reprend une thématique urbaine purement interne. Les mois passant, l‘arrivée de Gae Aulenti correspondra à l‘évacuation définitive de toute espèce chlorophylienne, Prallèlement, les projets de convivialité s‘effilochent jusqu‘à l‘anéantissement. Aux visions utopiques succédera un projet classique, académique. » (Fillion, 1986 b, p.34) Dans une entrevue avec Jean-Paul Philippon, l‘un des architectes du Groupe ACT il

mentionnait que pour Jacques Rigaud «la liberté d‘usage est grande et toute fonction est admissible pourvu qu‘elle soit d‘une dignité suffisante et respecte l‘architecture…le

patrimoine est un éventuel lieu d‘expériences, défi à notre capacité créatrice.» Il poursuit en disant que :

«… le musée était une hypothèse de réutilisation parfaitement viable sans altérer ce que l‘on pouvait considérer comme essentiel dans les formes de la Gare d‘Orsay : ses principes structurels, sa typologie d‘espaces, son décor intérieur. Mais considérer le bâtiment non comme une œuvre en soi mais comme un élément de l‘œuvre plus vaste en constante transformation qu‘est la ville nous autorisait à nous approprier la gare dans un nouveau projet, issu de la société urbaine…» (Philippon, 1986, p. 39) L‘ouverture du Musée d‘Orsay a suscité énormément de controverse et a fait couler beaucoup d‘encre avant, pendant et après son inauguration.

«…Everything about this museum of nineteenth-century art has been challenged: its architecture, its installations, its selection of works, its chronological scope. » (Mainardi, 1987, p.30)

Le ton est très négatif dans l‘étude faite par Patricia Mainardi et intitulée «Postmodern History at the Musée d'Orsay». Elle n‘est pas la seule à réfuter le travail de transformation de la gare d‘Orsay, d‘autre la rejoignent dans leur jugement : Sherman, Buchanan, Bradburne entre autres.

Heureusement pour les équipes qui ont rendu ce projet concret, les opinions et réflexions positives ne s‘en trouvent pas amoindries.

Comme le dit Thuillier :

«On a beaucoup écrit ces derniers temps sur l‘utilisation des bâtiments anciens et leur intégration dans la vie de la cité, qui seule garantit à long terme leur entretien et leur sauvegarde. Voici peut-être le cas le plus complet, le plus difficile, et à notre sens le plus sagement résolu. » (Thuillier, 1986, p.9-11)

La transformation de la gare en musée a été l'œuvre des architectes du groupe ACT

Architecture, MM. Bardon, Colboc et Philippon. Leur projet, sélectionné parmi six propositions en 1979, devait respecter l'architecture de Victor Laloux tout en la réinterprétant en fonction de sa nouvelle vocation. Il permettait de mettre en valeur la grande nef, en l'utilisant comme axe principal du parcours, et de transformer la marquise en entrée principale.

L'aménagement intérieur initial du musée fut réalisé par une équipe de scénographes et d'architectes sous la direction de Gae Aulenti. Avec Italo Rota, Piero Castiglioni (consultant pour l'éclairage), et Richard Peduzzi (pour la présentation de l'architecture), Gae Aulenti a crée une présentation unifiée à l'intérieur d'une grande diversité de volumes, notamment par l'homogénéité des matériaux utilisés : revêtement de pierre au sol et sur les murs (Histoire du musée, s.d.).

L’architecture extérieure :

D‘après Mainardi, il est attendu que les stations de chemin de fer, étant des structures en dehors de la tradition, se tournent vers l'avenir et servent d'exemples pour une nouvelle architecture moderne, la gare d‘Orsay, elle, se tourne vers le passé, déguisant sa fonction derrière une façade historiciste qui fait face à la Seine, les Tuileries, et, plus loin, le Louvre. Le présent, et par extension l'avenir, apparaissent, dans ce bâtiment, comme poursuivant

ornemental choisi par Victor Laloux est justifié, précisément, par le but d‘intégrer le bâtiment au quartier tout en répondant, face à lui et de l‘autre côté de la Seine, aux palais du Louvre et des Tuileries (Findeli, 1988). La rénovation de l‘extérieur du bâtiment a été exécutée avec un minimum de violence envers l‘architecture originale de Laloux, par le groupe ACT

Architecture (Mainardi, 1987).

L’architecture intérieure :

La conception de l‘architecture intérieure a été donnée à la Milanaise Gae Aulenti et son équipe. C‘est autour de sa conception que le plus de controverse s‘est concentrée. Dans son interprétation du projet, Mainardi fait le parallèle entre les exigences politiques de l‘époque de Laloux et leur influence sur son architecture (Mainardi, 1987) ainsi que les exigences

politiques des années 80 et leur influence sur le choix de l‘architecture postmoderniste de Gae Aulenti (Sherman, 1990).

«Virtually the same political exigencies faced France in the mid-nineteenth century, the period the museum covers. At that time, cohabitation was given the name eclecticism, which had been developed into a comprehensive political and aesthetic system by Victor Cousin. «Eclecticism is the philosophy of the century», he wrote, while detractors pointed out that it was nothing more than a compromise between the ancient regime and the 1789 revolution. » (Mainardi, 1987, p.34)

Il est clair que pour Mainardi, la conception des intérieurs postmodernes amalgamés à l‘architecture historique existante crée un spectacle de références historiques tout en dissimulant le sens historique qu‘elles auraient pu posséder. Cette architecture

postmoderniste accompagne une espèce de travail de révisionnisme (dans la muséographie) dont le but est de réprimer la dissidence, la différence (Mainardi, 1987).

La conception intérieure du Musée d‘Orsay reflète un aspect théâtral critiqué par

Mainardi (Mainardi, 1987). Bradburne trouve pour sa part que l‘architecture d‘origine a été ravagée (Bradburne, 2001). Elle est également comparée au style d‘architecture ancienne égyptienne :

« Aulenti‘s gigantic stage set is a bluntly expressed image of state power that brooks no dissent – pharaonisme indeed. » (Mainardi, 1987, p.44)

Selon Mainardi, Aulenti a trouvé dans l'architecture égyptienne une image plus pertinente aux préoccupations contemporaines - que c'était un art soutenu par le pouvoir politique (Mainardi, 1987). Ces commentaires font écho chez Peter Buchanan. Une telle réponse lyrique peut être en partie expliquée, selon Buchanan, par l‘expérience antérieure de Gae Aulenti dans la

conception de la scène d'un opéra de Stockhausen dans un stade de football à Milan (Buchanan, 1986).

Sherman pour sa part pense que cette architecture a un impact négatif sur les œuvres d‘art exposées ainsi que sur le déplacement des visiteurs à l‘intérieur du musée (Sherman, 1990). Le plafond bas et les accrochages dans les galeries au dernier étage du musée ne sont pas totalement réussis, la présence de l‘architecte est intrusive (Mainardi, 1987); la conception des intérieurs du musée éclipse les collections et distrait le visiteur, dans certains cas elle entrave la visite (Sherman, 1990); il y a juxtaposition d‘éléments stylistiquement disparates, et historiquement contradictoires; l‘absence d‘une locomotive dans la grande nef est un défaut majeur selon Madeleine Rebérioux (Mainardi, 1987). L‘éclairage est également critique (Mainardi, 1987).

En dépit de tous les commentaires négatifs, certains trouvent que la conception du Musée d‘Orsay mérite d‘être louée. Pour Findeli (1988), il est clair qu‘il existe deux architectures qui s‘opposent dans la nouvelle conception du musée, celle de Gae Aulenti et celle d‘ACT Architecture (Findeli, 1988). Ceci ne l‘empêche pas d‘être ému lors de sa visite. La description qu‘il fait de son entrée dans la grande halle le révèle :

«L‘arrivée dans cet espace est émouvante et rappelle l‘émotion ressentie dans les grandes nefs romanes, pour l‘espace, et dans les cathédrales gothiques, pour la mise en scène; l‘allée centrale du musée que l‘on parcourt vers l‘orient en montant

doucement une série de gradins étagés renforce cette analogie. Pourquoi s‘étonner d‘une telle image en une fin de siècle où l‘art semble bien tenir le lieu autrefois occupé par la religion?» (Findeli, 1988, p.25)

Alain Findeli (1988) ne tarit pas d‘éloges envers Gae Aulenti et ses choix :

«Je trouve que Mme Aulenti a parfaitement réussi l‘implantation de son architecture, monumentale, à l‘intérieur de l‘architecture de la gare, également monumentale, et qui risquait, soit de l‘écraser, soit de disparaître. Le choix des matériaux et des couleurs atténue par sa douceur l‘échelle un peu écrasante de l‘ensemble et fait de cette allée centrale flanquée de ses balcons supérieurs l‘une des promenades les plus agréables de Paris. » (Findeli, 1988, p.26)

Aux critiques condamnant les réalisations de Gae Aulenti, Findeli rétorque ainsi :

«C‘est faire preuve d‘injustice que de condamner une réalisation au nom d‘un idéal esthétique implicite qu‘il s‘agirait tout d‘abord de définir, et en méconnaissant toute la complexité et les contraintes du programme; et c‘est faire preuve de singulier humour que d‘opposer le «maquillage» de Mme Aulenti à la prétendue authenticité de

l‘architecture qui l‘environne, que Laloux, nous l‘avons vu, eut pour principal souci de camoufler!» (Findeli, 1988, p.26)

Findeli a cependant quelques réserves concernant le brouhaha dans l‘allée principale, l‘éclairage non directionnel atténuant les contrastes de la sculpture, ce qui est regrettable pour de nombreuses pièces où l‘expression, constituant leur nouveauté esthétique à

l‘époque, est le principal effet recherché, la couleur claire de la pierre utilisée pour revêtir les murs, elle éteint, au lieu de la révéler, la richesse lumineuse des couleurs des

impressionnistes et des postimpressionnistes (Findeli, 1988). Contrairement à Findeli, Thuillier (1986) admire l‘acoustique du musée (Thuillier, 1986).

Michel Laclotte affirme que la conception de Gae Aulenti reflète les choix des

conservateurs en ce qui concerne la multiplicité des points de vue, la diversité des espaces, la fragmentation des collections qui en résulte (Mainardi, 1987).

Le programme et la muséographie :

Le programme du musée projeté était également en discussion. Il devait inclure tous les arts de la période: la peinture et la sculpture, dessins et estampes, l'architecture, la photographie, le cinéma et les arts décoratifs. La question se posait sur le commencement de la période : serait-ce 1830, 1848 ou 1863 ? Pompidou préférait 1860, Giscard d‘Estaing 1830.

Finalement Mitterrand remit la date à 1848. Le choix de commencer le programme du musée avec la monarchie de restauration ou de Louis-Philippe, ou avec la Seconde République de 1848, a pris une importance politique et esthétique (Mainardi, 1987).

La discorde à propos du programme chronologique du musée s‘étend à sa muséographie également. Avec cette impasse créée par la dissension entre Droite et Gauche, la

cohabitation était devenue non seulement nécessaire, mais un but positif (Mainardi, 1987). Ce qui est nouveau au Musée d‘Orsay c‘est l'inclusion dans la séquence d‘artistes officiels presque oubliés. Cette cohabitation d'avant-garde et de l'art pompier, avec toutes les

gradations entre les deux, constitue, en fait, une révision majeure de l'histoire de l'art du XIXe siècle, et Orsay est le premier musée à la réaliser à cette échelle (Mainardi, 1987).

Pour Mainardi (1987), la nouvelle façon de proposer et d‘exposer les œuvres d‘art au Musée d‘Orsay relève de révisionnisme. Les œuvres d'art sont regroupées dans les musées selon différentes catégories: travaux exécutés par artiste individuel, œuvres d'un mouvement stylistique, d'une période donnée, ou liées à un thème particulier. Toutes excepté la dernière sont des stratégies muséales traditionnelles qui fournissent une manière de voir l'art dénuée de toute allusion à son contexte social. C‘est donc la catégorie thématique qui a été adoptée

par la muséologie révisionniste, qui fournit un mécanisme montrant les meilleurs ainsi que les pires artistes, l'art de la haute société ainsi que l‘art populaire, l‘art académique et d'avant- garde, l'art pur et commercial, la peinture, la photographie, l‘illustration. Malgré cela, cette stratégie n‘est pas totalement réussie, Courbet par exemple est marginalisé dans sa localisation et dans l‘éclairage qui le rend invisible à certains moments. La séparation de l‘Avant-garde et de l‘art l‘officiel est également contestée (Mainardi, 1987).

4.1.2.1.5 Conclusion

Après trente-neuf (39) ans de service en tant que station principale de la ligne sud-ouest de la France, la Gare d‘Orsay ferme ses portes et ne dessert plus que la banlieue. Trente-quatre (34) ans passent avant que la gare d‘Orsay ne soit inscrite à l‘inventaire supplémentaire des Monuments historiques de France. Trois (3) présidents de la République française ont joué un rôle décisif dans la transformation de la Gare d‘Orsay en Musée d‘Orsay : Pompidou, Giscard d‘Estaing et Mitterrand (Jenger, 1986).

Le patrimoine fait «peau neuve» à cette époque-ci, mais en politique il n‘est pas encore considéré à l‘égale de l‘écologie. Malgré cela, la Gare d‘Orsay bénéficie du programme des «grands travaux» de l‘ère mitterrandienne où la culture et l‘architecture sont poussées au premier plan de l‘agenda présidentiel.

L‘architecture intérieure du Musée d‘Orsay est controversée. Deux clans s‘opposent : les uns acceptant le mélange entre l‘architecture historique et monumentale de Victor Laloux et l‘architecture contemporaine, également monumentale de Gae Aulenti et la trouvant

adéquate afin d‘empêcher l‘écrasement de l‘une ou de l‘autre (Findeli, 1988; Thuillier, 1986); les autres la trouvant imposante, «pharaonique», avec une présence intrusive de l‘architecte (Mainardi, 1987; Buchanan, 1986; Sherman, 1990).

4.1.2.2 Gare de Westmount à Montréal