Diverses racines historico-sociales directement liées à la France peuvent être mises
en évidence dans la société brésilienne. D’après l’article de Boto (2003), on peut voir, par
exemple, l’héritage français dès l’époque des Lumières. Les idées promues par le français
Condorcet dans le domaine de l’éducation ont eu une forte influence dans la construction
des paramètres éducatifs au Brésil. L’impact de la Révolution Française anticipe des notions
qui seront reprises plus tard par des théories telles le positivisme du XIX siècle. La devise
d’une école publique, laïque et gratuite, un slogan de base française, idéalisé à l’époque de
la Révolution, s’est exprimé collectivement au Brésil jusqu’à aujourd’hui.
L’influence française est remarquable avec l’arrivée de la cour portugaise au Brésil,
en 1808, qui amène les mœurs françaises à la société bourgeoise de la ville de Rio de
Janeiro. Néanmoins, ce n’est qu’à la fin du XIX
eet au début du XX
esiècle que cette présence
devient plus forte. A cette époque, l’élite brésilienne (venue surtout des grandes villes)
venait à Paris à la recherche de culture, de classe et de raffinement.
Ces Brésiliens ont apporté à leur terre d’origine des représentations qui perdurent
dans l’imaginaire collectif jusqu’à présent. Paris, qui était à l’époque en pleine rénovation
sous la direction du baron Haussmann, représente toute la splendeur et le glamour
6français.
Le charme des Françaises bien habillées et l’image d’une certaine qualité de vie, s’ancrent
dans la représentation que les Brésiliens ont des Français.
Paris, la « ville-lumière », a été une référence constante pour le développement des
arts plastiques, de l’architecture, de la littérature, de la gastronomie, de l’éducation et aussi
du domaine industriel. C’est par l’intermédiaire des traductions françaises que les Brésiliens
du XIX
esiècle ont lu des auteurs classiques de la littérature mondiale, comme Goethe, Byron,
Schiller. La langue française était devenue une discipline obligatoire aux collèges et lycées,
étant considérée comme langue « universelle », selon Pietraróia (2008). La langue française
a été présente dans le système scolaire jusqu’à la fin des années 60 quand, après une
reforme éducative, le français a été aboli du cadre des disciplines obligatoires, et l’anglais est
devenue la langue étrangère prédominante.
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En parlant des relations qui coexistent entre le Brésil et la France dans le domaine
scientifique, Almeida (2003) souligne l’importance de l’influence des penseurs français dans
la société brésilienne :
Mesmo que toda generalização seja perigosa, poderíamos aferir com o mesmo critério de grandeza a influência dos gregos no pensamento ocidental e a dos franceses no pensamento brasileiro. Um berçário de idéias. E ainda que saibamos que o pensamento não tem pátria nem nacionalidade, sabemos também que ele precisa de um lugar para nascer e incubar, tanto quanto de territórios que favoreçam a sua maturação e metamorfose. Em parte, o Brasil tem sido um nicho fecundo para a metamorfose de um pensamento hoje não mais propriamente francês, nem genuinamente brasileiro. (Almeida, 2003: 33).7
La littérature française a aussi exercé une influence importante sur la littérature
portugaise et brésilienne. En effet, plusieurs romans français ont été traduits en langue
portugaise. Même de nos jours, dans les revues de mode ou de design, la France apparaît
comme un pays de prestige et de raffinement. L’image qui persiste de la France au Brésil, un
peu mythifiée par les médias, est l’image d’un pays glamour, romantique, où les couples
fortunés rêvent de passer leur lune de miel. Il y a aussi l’idée d’un pays développé
culturellement, avec des musées, des monuments et des châteaux très réputés
internationalement. Les restaurants français au Brésil sont chers et raffinés. Les produits
cosmétiques de marque française sont aussi répandus, mais restent coûteux.
Par rapport au peuple, il y a l’image que les Français sont révolutionnaires et
manifestent lorsqu’ils ne sont pas contents avec une situation, une idée liée à la Révolution
Française. A partir des films français, les Brésiliens ont souvent l’image que les Français ont
des mœurs assez libres. Fréquemment, le stéréotype du Français est aussi lié à une idée qui
vient d’antan, à savoir que les Français n’aiment pas beaucoup se laver.
Dreyer, professeur de français à Taiwan, dans son article « Apprentissage du français
et motivation existentielle » constate, à partir d’un questionnaire, que 66,7% des étudiants
chinois trouvent les Français « romantiques » et qu’ils définissent être romantique comme
« faire ce que vous avez envie sans but précis, l’art joue un rôle important dans votre vie,
exprimer librement ses sentiments sans tenir compte de l’opinion des autres gens, l’amour
7
Même en sachant que toute généralisation est dangereuse, on pourrait comparer avec le même critère d’importance l’influence des Grecs dans la pensée occidentale et celle des Français dans la pensée brésilienne. Un berceau d’idées. Et bien qu’on sache que la pensée n’a pas de patrie ni de nationalité, on sait aussi qu’elle a besoin d’un endroit pour naître et incuber. D’une certaine manière, le Brésil est une niche féconde pour la métamorphose d’une pensée qui n’est plus française, ni vraiment brésilienne.
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est le plus important dans la vie » (Dreyer, 2009 : 43). Dans cet article de Dreyer, on a trouvé
beaucoup de ressemblances entre l’image des Français au Brésil et celle des Français perçue
par les Chinois. L’auteur remarque donc cette idée des « Français romantiques » aussi en
Chine.
L’ancrage des représentations dans les livres et les médias est aussi souligné par
Dreyer (2009). L’auteur cite Umberto Eco qui commente l’importance du livre dans la
formation des représentations de l’étranger :
Curieusement, nous voyageons grâce à notre connaissance antérieure de ce que nous sommes sur le point de découvrir, puisque des livres déjà lus nous ont indiqué ce que nous étions censés trouver. L’influence de ces livres de référence est telle que les voyageurs, quelles que soient leurs découvertes et les réalités perçues, vont tout interpréter et tout expliquer en fonction de ces ouvrages. (Eco 2000, d’après Dreyer 2009).
Si on ne peut pas nier la véracité de cette affirmation, on ne néglige pas non plus
qu’une des caractéristiques de l’étudiant voyageur est la curiosité. Pour cette raison, même
s’il existe des représentations déjà construites, l’étudiant voyageur a la capacité de voir les
choses dans un état d’étonnement ou d’ « étrangeté ». L’historien Ginzburg éprouve ce
sentiment quand il parle de son opinion sur les « horizons d’attente » :
Certes, il y a horizon d’attente, à plusieurs niveaux d’ailleurs. Mais je dois dire que j’ai parfois envie de changer d’approche, et me laisser surprendre – c’est le côté
estrangement. On revient alors à quelque chose qui est de l’ordre des possibilités
cognitives liées à ce sentiment d’étrangeté. Oui, cela pourrait être un début pour poser des questions. Il y a cette expression «To take something for granted»… C’est vraiment la cible de la connaissance. Il faut se détacher! C’est lorsqu’on ne prend pas la réalité comme un donné qu’on peut avoir un début de connaissance. (Ginzburg, 2003 : 133).