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Nous avons ensuite demandé s’ils avaient déjà vécu une expérience difficile ou drôle

à cause de la langue ou parce qu’ils ne parlaient pas bien le français. La majorité a répondu

que oui, parce que même si on parle bien la langue, il y a toujours des mots inconnus ou des

situations inattendues. Néanmoins, il est important de souligner que tous les étudiants

brésiliens doivent passer un test de langue française avant de venir en France. C’est-à-dire

que tous avaient une certaine connaissance de la langue, personne n’est arrivé en France

sans aucune notion de français. Peut-être, pour cette raison, les expériences racontées n’ont

pas été trop traumatisantes. La plupart a vécu des situations plus ou moins difficiles, mais ils

ont réussi à s’en sortir sans que cette expérience ait marqué négativement leur séjour. Une

autre raison : les étudiants étrangers savent qu’ils auront des problèmes pour communiquer

dès qu’ils se prédisposent à sortir de leur pays. Ainsi, ils sont déjà préparés pour vivre des

situations qui vont leur demander une posture d’acceptation à des situations nouvelles et

pas forcément positives.

Eduardo raconte qu’il voulait acheter une carte annuelle dans le but d’utiliser les

transports en commun à Grenoble. Comme il ne connaissait pas bien la ville et ne savait pas

bien parler le français, il est allé à la gare et a acheté une carte de train SNCF (pour voyager

en dehors de la ville). Plus tard, il s’est rendu compte qu’il avait dépensé de l’argent pour

une carte qu’il n’allait pas utiliser. Il est donc sorti du magasin déçu, sans la carte qu’il

voulait.

L’ignorance de quelques expressions françaises a aussi donné lieu à des difficultés ou

des malentendus pour certains. Ricardo dit qu’il avait du mal à comprendre les phrases

contenant l’expression « par contre ». Beatriz a dit plusieurs fois « chevaux » à la place de

« cheveux ». Felipe ne comprenait pas ce que son directeur de thèse voulait dire quand il

employait l’expression « c’est pas terrible » : il croyait au début que si son travail n’était pas

terrible, cela voulait dire qu’il était bon. Victor a vécu une situation un peu inconfortable

avec son directeur de mémoire quand il a demandé une « astuce » pour son travail à la place

d’un « conseil ». Marisa a eu des soucis pour se connecter à l’internet parce qu’elle ne

connaissait pas le mot « logiciel », jusqu’au moment où quelqu’un lui a expliqué que

« logiciel » était le mot français correspondant au mot anglais « software ». Helena ne

comprenait pas les mots écrits sur les menus dans les restaurants. Elle avait donc besoin de

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tout demander, ce qui énervait parfois les garçons. Rafael a utilisé un mot qui désigne le

sexe de la femme lors d’un dîner, parce qu’il ne savait pas que ce mot avait un double sens -

tous ont rigolé, sans qu’il ne comprenne pour autant sur l’instant pourquoi.

Priscila raconte qu’elle avait peur de sortir de la maison et de faire toute seule les

choses, elle avait toujours besoin de l’aide de son fiancé pour résoudre les questions

administratives comme à la préfecture par exemple.

Helena expose aussi une expérience frustrante qu’elle a vécue avec un professeur.

Elle était frustrée parce qu’elle n’a pas réussi à bien expliquer la situation et à défendre son

point de vue :

Teve uma situação um pouco chata que eu fui fazer aula no CLV, só que eu perdi umas três aulas. E aí eu cheguei lá e fui falar com a professora. Ela foi muito, muito arrogante comigo, muito grossa... só que ela foi grossa daquela maneira deles, assim, polida, né? E aí eu me senti um lixo. E eu não conseguia me expressar, eu queria discutir com ela, eu queria demonstrar “olha, mas isso que você está fazendo não é... você não poderia fazer isso. Eu tenho direito a fazer aula, por mais que eu tenha perdido algumas, você não sabe os meus motivos e tal”. Eu queria ter falado alguma coisa, só que na hora eu não conseguia... não saía, sabe? Não conseguia. E eu saí muito frustrada e falei “ah, se eu falasse francês bem, eu teria discutido com ela”. (Helena)

[J’ai vécue une situation pas très confortable : je suis allée faire un cours au CLV, mais j’avais perdu trois cours. Je suis allée en parler au professeur. Elle a été très arrogante, très grossière… elle a été grossière de la façon française, ça veut dire, polie, tu sais ? Et moi je me suis sentie très mal. Je ne pouvais pas m’exprimer, je voulais discuter, je voulais montrer « regardez, vous ne pourriez pas faire ça. J’ai le droit de fréquenter les cours, même si j’ai perdu le début, vous n’en connaissez pas les raisons ». Je voulais lui parler de quelque chose, mais je n’y parvenais pas, les mots ne sortaient pas, tu comprends ? Je ne réussissais pas. Je suis sortie très déçue et j’ai dit « ah, si je parlais bien français, j’aurais pu discuter avec elle].

On vient de voir quelques expériences drôles ou difficiles qui ont été exposées par les

Brésiliens pendant les entretiens. On peut constater que plusieurs de ces expériences sont

des situations qui arrivent dans un contexte d’immersion et qui se résolvent également dans

ce contexte. Elles ne sont pas toutes prévisibles. Avoir confiance en soi pour parler une

langue étrangère, par exemple, est une question qui exige un peu de temps pour certains,

mais qui arrive par le biais du contact direct avec les francophones, à force de les écouter. La

nécessité de communiquer oblige la personne à vaincre sa peur de parler.

Murphy-Lejeune constate que rares sont les étudiants qui ne citent pas la langue

comme motivation première du séjour à l’étranger. « Conscients des enjeux et atouts

linguistiques qui caractérisent la scène contemporaine, les étudiants mesurent pleinement

l’efficacité de l’immersion linguistique comme manière radicale de forcer l’apprentissage et

de le compléter en milieu naturel » (Murphy-Lejeune, 2003 : 85). Les étudiants

reconnaissent aussi que la langue est la clé qui ouvre les portes aux relations avec les natifs.

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L’auteure remarque que les difficultés de communication vécues par certains au début du

séjour peuvent créer un sentiment « d’aliénation » qui coïncide aussi avec la période de

recherche des liens sociaux. En fin de parcours, l’évaluation linguistique est souvent

proportionnelle au bilan concernant les contacts établis. L’aisance dans la langue étrangère

vient avec le temps d’immersion. « Ce n’est qu’en restant longtemps que le voyageur peut

s’attendre à acquérir l’automatisme qui fait qu’on ne passe plus par la langue natale »

(Murphy-Lejeune, 2003 : 86).

Les principaux sentiments exprimés par rapport à la langue par les Brésiliens

interviewés peuvent être ainsi résumés :

- certains interviewés ont éprouvé un sentiment de désolation et se sont retrouvés

dans des situations plutôt frustrantes qui les empêchaient de pouvoir bien communiquer en

français ;

- ils affirment qu’il est difficile de comprendre et de se faire comprendre dans les

premières semaines, mais la majorité n’a pas eu de trop grandes difficultés de

communication ou n’a pas vécu de situations vraiment délicates. La transparence avec le

portugais aide. La facilité des Brésiliens pour s’adapter aux différentes situations contribue

aussi ;

- l’ignorance de certaines expressions françaises peut parfois engendrer des

situations difficiles ou drôles. Quelques expressions sont vraiment apprises dans le contexte

d’immersion ;

- la plus grande difficulté soulignée par les Brésiliens concerne la prosodie française :

le fait de comprendre la vitesse et l’accent des Français et de se faire comprendre par eux,

même avec l’accent. La difficulté avec les voyelles nasales en français a été aussi une des

difficultés soulignées pendant les entretiens.

Murphy-Lejeune (2003 : 87) affirme que « le parcours linguistique est bien

proportionnellement lié aux découvertes interculturelles ». Dans la suite de l’entretien, on a

mis en évidence les découvertes ainsi que les difficultés attachées au plan interculturel.