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La qualité de l'eau à Paris

IV. Les interactions entre amibes libres et bactéries

IV.1. Les relations endosymbiotiques entre amibes et bactéries

Le terme symbiose (du grec sun et bioô, signifiant littéralement « vivre ensemble ») fut introduit par Anton de Bary en 1879, au cours de ses études sur les lichens, définissant une « association vivante d’espèces différentes » (Bary, 1879). La définition originale de la symbiose comprend les interactions mutualistes (apportant un bénéfice pour les deux partenaires), commensales (le symbiote bénéficie de l’association, sans effet négatif pour l’hôte), et parasitaires (le symbiote bénéficie de l’association avec un effet négatif sur l’hôte). La symbiose représente en réalité une relation dynamique, et se conçoit donc comme un continuum entre ces différents types d’interactions (Sapp, 2004; Dale and Moran, 2006). Les symbioses sont également définies en fonction de la localisation des protagonistes. Dans le cas où l’infection est intracellulaire, l’association est dite endosymbiotique ; à l’inverse, une association d’un microorganisme à la surface de son hôte est qualifiée d’ectosymbiotique (ou épibiotique).

Au cours de cette partie, nous nous intéresserons principalement aux endosymbioses bactériennes, décrites chez les amibes libres rencontrées dans les réseaux d’eau.

IV.1.1. Les endosymbiotes d’amibes libres

La définition originale de l’endosymbiose indique « une cohabitation harmonieuse et régulée de deux partenaires non apparentés, dont l’un vit au sein de l’autre » (Buchner, 1965). Les endosymbiotes d’amibes répondent partiellement à cette définition, car ces derniers peuvent adopter un cycle parasitaire suite à des changements de conditions environnementales (Greub et al., 2003). Ainsi, sont considérées comme endosymbiotes les bactéries qui i) sont capables d’établir une infection au sein des amibes, sans a priori

concernant l’issue de celle-ci, et ii) nécessitent obligatoirement un hôte amibien pour se

multiplier et croître.

IV.1.1.1 Diversité des endosymbiotes d’amibes

Sur la base de cette définition, une grande diversité de bactéries endosymbiotiques a été décrite au sein des amibes libres, aussi bien en nombre que d’un point de vue phylogénétique (Tableau 4).

Tableau 4 : Diversité des endosymbiotes bactériens isolés naturellement au sein des amibes libres dans l’environnement.

Endosymbiote identifié Hôte original Source Référence

Chlamydiia

Parachlamydia acanthamoeba ★ Acanthamoeba

castellanii Sol (Amann et al., 1997)

Protochlamydia amoebophila Acanthamoeba

castellanii Sol (Collingro et al., 2005)

Protochlamydia Naegleriophila ★ Naegleria sp. Eau (Michel et al., 2000)

Neochlamydia hartmannellae ★ Vermamoeba vermiformis Eau (Horn et al., 2000)

Neochlamydia spp. Acanthamoeba sp. Eau (Matsuo et al., 2010)

Ca. Metachlamydia lacustris Saccamoeba

lacustris Eau (Corsaro et al., 2010)

Ca. Mesochlaymdia elodeae Saccamoeba

lacustris Eau (Corsaro et al., 2013)

« Pn » t Naegleria clarki Eau (Walochnik et al., 2005)

Ca. Rubidus massiliensis Vermamoeba

vermiformis Eau (Pagnier et al., 2015)

Alphaprotéobactéries

Paracaedibacter acanthamoebae Acanthamoeba sp.

KA/MSS7 Sol forestier (Horn et al., 1999)

Ca. Odyssella thellasonicensis Acanthamoeba sp. TAR (Birtles et al., 2000)

Caedibacter acanthamoebae Acanthamoeba sp. Boues

activées (Horn et al., 1999)

Jidaibacter acanthamoeba Acanthamoeba sp. Kératite

oculaire

(Fritsche et al., 1999; Schulz, Martijn, et al., 2015)

Nucleicultrix amoebiphila t Vermamoeba

vermiformis

Boues

activées (Schulz et al., 2014) Cytophagia

Ca. Amoebophilus asiaticus Acanthamoeba

polyphaga Sol (Horn et al., 2001)

Betaprotéobactéries

Ca. Procabacter acanthamoebae Acanthamoeba

pustulosa Sol sableux (Horn et al., 2002)

Variovorax paradoxus Saccamoeba

lacustris Eau

(Corsaro, Michel, et al., 2010)

Gammaprotéobactéries

Ca. Endonucleariobacter rarus Nuclearia sp. Eau (Dirren et al., 2014)

Ca. Nucleophilum amoebae t JAMX8(Amoebozoa) Rivage marin (Schulz, Tyml, et al., 2015)

Ca. Occultobacter vannellae Vannella sp. A1 Lac

mésophile (Schulz, Tyml, et al., 2015)

Legionella jeonii Amoeba proteus Eau (Jeon, 1972; Park et al., 2004)

Legionella-like amoebal pathogens (LLAP) Acanthamoeba sp. et Vermamoeba vermiformis Eau (Rowbotham, 1983; Birtles et al., 1996; Adeleke et al., 2001; La Scola et al., 2004) Légende : Ca., Candidatus ; TAR, Tours Aérorefrigérantes.

★: inhibe l’enkystement de l’hôte. t : localisation intranucléaire

L’identification des bactéries endosymbiotiques d’amibes a permis de mettre en évidence un large échantillon d’isolats affiliés à la classe des Chlamydiia (Tableau 4). Ces bactéries, identifiées comme apparentées aux Chlamydia (Chlamydia-Like Bacteria), ont bousculé la phylogénie de cette classe bactérienne, alors que les membres de cette classe étaient perçus auparavant comme des pathogènes intracellulaires obligatoires d’animaux (Horn, 2008). L’ensemble des endosymbiotes décrits comme des Alphaprotéobactéries est affilié aux Rickettsiales, un ordre au sein duquel la grande majorité des représentants adoptent un mode de vie intracellulaire strict, et où de très nombreux microorganismes symbiotiques ont été décrits (Emelyanov, 2001; Taylor et al., 2012). On pourra notamment mentionner que le genre Caedibacter est apparenté aux endosymbiotes des paramécies du même genre, connus pour infecter le noyau de leur hôte (Beier et al., 2002). Les endosymbiotes Ca. Amoebophilus asiaticus et Ca. Procabacter acanthamoebae sont affiliés aux classes respectives des Cytophagia et Betaprotéobacteries, dont les représentants sont peu décrits comme adoptant un mode de vie symbiotique. Les endosymbiotes d’amibes appartenant à la classe des Gammaprotéobactéries sont à ce jour principalement affiliés au genre Legionella. Lors de la découverte de Legionella pneumophila au sein des amibes, il fut également découvert la présence de bacilles non cultivables en condition de laboratoire (Rowbotham, 1983). Grâce aux outils moléculaires, ces isolats ont pu être identifiés comme plusieurs espèces du genre Legionella, et collectivement appelés LLAP (Legionella Like Amoebal Pathogens). Récemment, des endosymbiotes affiliés aux Gammaprotéobactéries ont été identifiés au sein d’amibes isolées d’environnements marins, représentant une nouvelle lignée proche des Coxiellaceae (Schulz, Tyml, et al., 2015).

IV.1.1.2 Nature des interactions endosymbiotiques

Au regard de la diversité phylogénétique des endosymbiotes intra-amibiens, les interactions mises en jeu sont de nature variée. Les infections endosymbiotiques chez les amibes sont principalement localisées dans des structures vacuolaires ou directement dans le cytoplasme (Figure 23). Récemment, Ca. Nucleicultrix amoebiphila, isolée au sein de V. vermiformis, fut décrit comme ayant la capacité d’infecter le noyau de son hôte (Schulz et al., 2014 ; Figure 23C). Ces endosymbiotes ont tous la capacité de se multiplier au sein de leur hôte, souvent à son détriment. Le profit tiré de ces bactéries paraît évident, puisqu’elles trouvent par le biais des amibes libres une source nutritive, un foyer de multiplication et de protection. De manière inhérente, la plupart des endosymbioses étudiées en conditions de laboratoire reflètent en fait un parasitisme. Cependant, il est possible que dans l’environnement, ces interactions puissent être

commensales ou mutualistes. Pour appuyer cette hypothèse, il a pu être constaté que le phénotype lytique de Parachlamydia acanthamoebae pouvait être modulé par la température (Greub et al., 2003).

Figure 23 : Foyers de prolifération des endosymbiotes d’amibes libres. Trophozoïte d’Acanthamoeba mauritaniensis infecté par P. acanthamoeba (A) (Amann et al., 1997).

Les bactéries sous forme infectieuse (pointes de flèches) sont localisées dans de larges vacuoles. Certains endosymbiotes sont en cours de fission binaire (flèches). Trophozoïte de Saccamoeba lacustris massivement infecté par M. lacustris (B)

(Corsaro, Michel, et al., 2010). Deux vacuoles (p) sont infestées par la forme infectieuse, alors que des formes non réplicatives (EB) sont également observables. Un noyau de V. vermiformis infecté par N. amoebiphila (C) (Schulz et al., 2014). Les endosymbiotes

remplissent l’espace nucléaire, dont la membrane est indiquée par une flèche blanche. Les barres d’échelle représentent 1 µm. N, noyau ; EN, endosome ; mi, mitochondrie.

La versatilité entre les phénotypes parasitaires et commensaux permet de souligner l’écart parfois conséquent entre les conditions de croissance en environnement naturel et celles en laboratoire, agissant ainsi directement sur la physiologie et l’équilibre de l’interaction hôte-symbiote. Malgré ce constat, certains endosymbiotes comme Amoebophilus asiaticus, Procabacter acanthamoebae, Jidaibacter acanthamoeba et Nucleicultrix amoebiphila n’entrainent pas (ou très peu) de lyse chez leurs hôtes respectifs (Horn et al., 2001, 2002; Schulz et al., 2014; Schulz, Martijn, et al., 2015). Un autre fait remarquable est la capacité qu’ont certains endosymbiotes, notamment Parachlamydia acanthamoeba, Protochlamydia naegleriophila et Neochlamydia hartmannellae, à inhiber le processus d’enkystement de leur hôte (Horn et al., 2000; Michel et al., 2000, 2001). La forme kystique représente pour l’amibe une forme de persistance lorsque les conditions environnementales deviennent hostiles ; la perte de cette fonction entraine naturellement une baisse de la capacité de persistance de l’hôte. En revanche, le maintien sous forme trophozoïte permettrait à l’endosymbiote de bénéficier d’un hôte métaboliquement actif, un prérequis pour sa prolifération (Horn et al., 2000; Leitsch et al., 2010).

Alors que les bénéfices tirés par les endosymbiotes ont systématiquement été étudiés, les possibles bénéfices tirés par l’hôte amibien restent à ce jour très peu étudiés. De récents travaux se sont intéressés à ce dernier point, permettant d’entrevoir de possibles bénéfices directement liés à une association endosymbiotique. En effet, il apparaît que des souches d’Acanthamoeba sp. portant l’endosymbiote Neochlamydia sp. S13 sont non permissives à l’infection par Legionella pneumophila (Ishida et al., 2014). Ainsi, l’association décrite représenterait un exemple de mutualisme, où l’endosymbiote bénéficie d’un foyer de prolifération, tandis que l’hôte se trouve protégé d’une infection par des pathogènes. Il est probable que de telles associations soient fréquentes dans l’environnement, puisque des travaux préliminaires ont pu estimer qu’environ 25% des amibes libres isolées de l’environnement portent des endosymbiotes (Fritsche et al., 1993).

IV.1.1.3 Rôle des amibes libres dans l’écologie de la matière noire microbienne ?

La matière noire microbienne désigne un ensemble conséquent de phyla bactériens non cultivables décrits uniquement sur la base de leurs séquences d’ADN lors d’études métagénomiques (Marcy et al., 2007). En effet, sur les 60 phyla bactériens identifiés à ce jour, environ la moitié ne comportent aucun représentant cultivable (Rappé and Giovannoni, 2003; Rinke et al., 2013). Une des hypothèses visant à expliquer le caractère non cultivable de ces bactéries est leur possible dépendance vis à vis d’autres (micro)organismes pour leur croissance (Puspita et al., 2012; Brown et al., 2015; Luef et al., 2015). Récemment, les avancées technologiques permettant le séquençage à très haut débit à partir de cellule unique (Single Cell Metagenomic) ont permis de caractériser le génome presque intégral d’un isolat affilié au phylum TM6 (McLean et al., 2013). Ces informations ont permis de suggérer que cette bactérie vivrait en symbiose avec un hôte eucaryote comme les amibes libres. En plus de ces données génomiques, un autre représentant de ce même phylum TM6 a pu être isolé d’une tour aéroréfrigérante, en utilisant une technique de co-culture basée sur l’infection d’Acanthamoeba castellanii (Pagnier et al., 2015). Cet isolat, nommé Babela massilliensis, est capable de proliférer au sein de cette amibe libre, induisant une lyse rapide et massive en 70h (Pagnier et al., 2015). L’ensemble de ces données semble suggérer de possibles associations environnementales entre les amibes libres et des représentants de la matière noire microbienne, notamment les bactéries du phylum TM6.