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La qualité de l'eau à Paris

II. Les amibes libres dans l’eau

II.5. Ecologie des amibes dans les eaux douces destinées à la consommation

Il est courant de qualifier les amibes libres de microorganismes ubiquitaires. Ce terme permet d’appuyer le fait que les amibes ont pu être isolées mondialement, dans divers environnements tels que l’eau, le sol, et l’air, démontrant une grande diversité ainsi que des fortes concentrations cellulaires (Rodriguez-Zaragoza et al., 1993, 2005; Rodríguez- Zaragoza, 1994; Rodriguez Zaragoza et al., 2005). Au cours de ces diverses études, la détection d’amibes a majoritairement reposé sur des méthodes de culture. Leur identification a également longtemps été basée uniquement sur des critères morphologiques, qui ont laissé place progressivement aux techniques moléculaires de séquençage de l’ADN.

II.5.1. Les amibes libres dans les sources d’eau douce

Les amibes libres ont été fréquemment caractérisées dans des rivières et lacs d’eau douce à travers le monde (Hoffmann and Michel, 2001; Kuiper et al., 2006; Eddyani et al., 2008; Bonilla-Lemus et al., 2014; Lass et al., 2014). La prévalence des amibes, dans les environnements d’eau douce naturels tels que les lacs, rivières et sources d’eau souterraine, est extrêmement variable, comprise entre 9 et 100% des échantillons analysés, selon les études. De même, les concentrations en amibes libres s’avèrent variables, comprises entre 1 amibe et 9x105 amibes par litre d’eau (Loret and Greub, 2010;

Wang et al., 2012). Les amibes les plus fréquemment isolées de ces environnements d’eau douce sont affiliées aux genres Acanthamoeba, Vermamoeba, Naegleria, Echinamoeba, Vannella et Vahlkampfia. Ces populations amibiennes sont modulées par divers paramètres de l’environnement. Ainsi, la température semble jouer un rôle crucial

dans la composition des populations amibiennes. Naegleria fowleri, une espèce amibienne thermophile, est favorisée par les températures comprises entre 35°C et 40°C (Tyndall et al., 1989). De manière logique, l’impact des variations saisonnières a pu être évalué dans plusieurs études, permettant de mettre en évidence des modifications dans la composition des populations amibiennes en fonction des saisons (Hoffmann and Michel, 2001; Ettinger et al., 2003). Ce constat ne fait pourtant pas l’unanimité, car l’impact saisonnier n’a pu être systématiquement relevé dans d’autres études (Corsaro, Pages, et al., 2010). De manière similaire, l’impact des valeurs de pH et d’oxygène dissout sur les populations amibiennes dans l’eau est discuté, car non systématiquement mis en évidence (Ettinger et al., 2003; Bonilla-Lemus et al., 2014). Il apparaît clair que la présence de matière organique en suspension et la présence de biofilm favorisent le développement amibien en environnement hydrique (Parry, 2004; Valster et al., 2009; Buse et al., 2014). La salinité de l’eau est un autre paramètre pouvant impacter profondément les populations amibiennes. La taxonomie des amibes libres retrouvées dans les environnements marins ou salins est généralement très différente de celle des amibes libres d’eau douce, cependant il est possible d’isoler des espèces halophiles d’Acanthamoeba, Vannella et Vermamoeba associées à d’autres genres spécifiques de ce type de milieu (Sawyer, 1990; Rogerson and Laybourn-Parry, 1992; Gast et al., 2011).

II.5.2. Les amibes dans les réseaux d’eau artificiels

Les réseaux d’eau artificiels sont créés par l’Homme pour un usage alimentaire, industriel ou récréatif. De ce fait, la compréhension de l’écologie des amibes au sein de ce type d’environnement est cruciale, afin d’en comprendre les problèmes de santé associés. De nombreux travaux se sont intéressés à la description des amibes libres colonisant les réseaux d’eau potable. Dès 1974, le médecin microbiologiste Jean- Baptiste Jadin fit un rapport éloquent sur l’importance de la connaissance de l’écologie et du cycle de vie des amibes pour la santé publique (Jadin, 1974). Les premières investigations, s’intéressant à la présence d’amibes dans les réseaux d’eau potable, ont sans surprise mis en évidence la capacité de ces microorganismes à coloniser divers points des réseaux de distribution (Molet et al., 1976). L’identification des amibes dans les réseaux d’eau potable a permis de révéler que celles-ci sont potentiellement retrouvées à toutes les étapes de la chaine de potabilisation de l’eau (Tableau 1). Ce constat indique clairement que les amibes libres sont, au moins en partie, résistantes aux traitements classiques utilisés pour la potabilisation de l’eau. Ce fait peut s’expliquer notamment par la capacité qu’ont les amibes libres à former des kystes bien plus résistants aux attaques environnementales, et par extensions aux agressions physico-

chimiques liées à la potabilisation de l’eau (Fraise et al., 2013). De ce fait, il est intéressant de noter que les études évaluant l’efficacité des étapes de potabilisation ont pu mettre en évidence des abattements de populations n‘allant que jusqu’à 99% (Hoffmann and Michel, 2001; Thomas et al., 2008). Ces valeurs reflètent particulièrement la résistance des amibes libres à ce type de traitements, favorisant leur implantation dans les réseaux d’eau potable, autorisant ensuite leur prolifération une fois à l’intérieur du réseau. Cette capacité de prolifération est notamment confirmée par une plus grande diversité d’amibes identifiées à des points distants des filières de potabilisation (Tableau 1).

Tableau 1 : Identification des amibes libres à différentes étapes du circuit de potabilisation de l’eau

Zone du circuit de

potabilisation Amibes libres identifiées (genres) Références

filtre à sable Acanthamoeba, Echinamoeba, Vermamoeba, Naegleria, Vannella

(Hoffmann and Michel, 2001; Thomas et al., 2008; Corsaro

and Venditti, 2009) Sortie de bassin

d'ozonation

Vermamoeba, Echinamoeba (Thomas et al., 2008) Filtres à charbon Vermamoeba, Echinamoeba, Vannella (Thomas et al., 2008; Corsaro

and Venditti, 2009) Réservoirs Acanthamoeba, Naegleria, Vermamoeba,

Platyamoeba, Vannella

(Corsaro and Venditti, 2009; Valster et al., 2009; Delafont et

al., 2013) Points distants Acanthamoeba, Lagenoca, Vermamoeba,

Naegleria, Echinamoeba, Protacanthamoeba, Allovahlkampfia, Nuclearia, Cryptodifflugia, Pseudoparamoebae, Vannella, Platyamoeba,

Vahlkampfia

(Thomas et al., 2008; Valster et al., 2009; Stockman et al., 2011; Wang et al., 2012; Buse et al.,

2013; Delafont et al., 2013, 2014; Magnet et al., 2013)

L’investigation moléculaire de la présence d’amibes dans les réseaux d’eau potable, utilisant notamment les techniques de clonage et séquençage, ont permis d’évaluer l’importance de la communauté amibienne au sein de la communauté eucaryotique totale colonisant les réseaux d’eau potable. Ainsi, les communautés amibiennes au sein des réseaux apparaissent globalement comme une partie mineure, bien que non négligeable, de la communauté eucaryotique totale, représentant entre 0,3% et 28% en fonction des études (Poitelon et al., 2009; Valster et al., 2009, 2011; Buse et al., 2013). En complément de ces informations, l’investigation des populations amibiennes par des techniques moléculaires a pu révéler la composition taxonomique de cette communauté, mettant ainsi en évidence la forte prévalence des genres Vermamoeba et Acanthamoeba dans de nombreuses études (Hoffmann and Michel, 2001; Valster et al., 2009; Wang et al., 2012; Delafont et al., 2013).