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La qualité de l'eau à Paris

IV. Les interactions entre amibes libres et bactéries

IV.3. Mécanismes de survie à la prédation amibienne

IV.3.2. La résistance à la phagocytose 1 Legionella pneumophila

Legionella pneumophila est l’ARB la plus étudiée pour sa capacité à résister aux amibes, en partie à cause de son pouvoir pathogène. Les légionnelles colonisent les mêmes environnements hydriques que les amibes, et il est proposé que ces dernières représentent le principal foyer de multiplication de cette ARB (Declerck et al., 2007). L. pneumophila, une fois phagocytée par l’amibe, est en mesure de détourner le processus de phagocytose pour aboutir à la création d’un microenvironnement propice à sa multiplication (Figure 25). Ainsi, suite à l’internalisation, la vésicule contenant L.

maturation classique. Au lieu de cela, la LCV va être entourée rapidement et massivement par des mitochondries et d’autres vésicules provenant du réticulum endoplasmique, sans fusionner avec le lysosome (Horwitz, 1983a, 1983b; Horwitz and Maxfield, 1984). Au cours des heures suivant l’internalisation, les LCV fusionnent avec le matériel recruté du réticulum endoplasmique, impliquant de fortes similarités entre la membrane de la LCV et le réticulum endoplasmique rugueux. Cette modification entraine un recrutement de ribosomes, entourant la LCV, et participe à l’établissement d’une niche propice à la multiplication bactérienne (Tilney et al., 2001).

Figure 25 : Cycle de vie de L. pneumophila au sein de phagocytes professionnels tels que les macrophages et les amibes. Après l’internalisation par la cellule phagocytaire, les légionnelles sont retrouvées dans des vésicules (LCV) dont la voie de maturation diffère fondamentalement du processus de phagocytose classique. Un recrutement des mitochondries et de matériel provenant du réticulum endoplasmique est observable dans les minutes suivant l’internalisation. La membrane de la LCV est progressivement modifiée, devenant finalement très similaire avec celle du réticulum endoplasmique rugueux (ER). Des ribosomes sont ensuite recrutés à la membrane de la LCV, installant une niche propice à la multiplication des légionnelles. Figure tirée de (Isberg et al., 2009).

Ce processus témoigne d’un détournement du matériel cellulaire de l’hôte par L. pneumophila, notamment en interférant avec ses voies de signalisations cellulaires. Ce détournement est principalement régi par un ensemble de protéines sécrété par la machinerie dot/icm (defect in organelle trafficking/intracellular replication). Ces protéines constituent un système de sécrétion de type 4 (T4SS), assimilé à une seringue moléculaire permettant l’injection de macromolécules telles que des protéines que l’on nomme effecteurs, ou de l’ADN, dans le milieu extracellulaire. Différents effecteurs du T4SS ont été identifiés pour leur importance dans la réplication de L. pneumophila au sein des phagocytes. Ces effecteurs protéiques permettent notamment de perturber les voies de signalisations de l’hôte. Ce système permet à L. pneumophila d’établir un environnement favorable à sa réplication (pour revue ; Isberg et al., 2009). Lors de la

phase de réplication, L. pneumophila est non virulente et non mobile. Lorsque les ressources de l’hôte s’épuisent, la prolifération de L. pneumophila est stoppée, stimulant l’entrée dans une phase transmissive et virulente (Molofsky and Swanson, 2004). Les légionnelles peuvent alors sortir de leurs cellules hôtes en induisant leur lyse, ou via l’excrétion de vésicules contenant jusqu’à plusieurs centaines de bactéries (Rowbotham, 1983; Berk et al., 1998).

IV.3.2.2 Les mycobactéries non tuberculeuses

Les MNT représentent un groupe qui comprend de nombreux ARB ; 38 espèces de MNT ont été décrites comme telles, résistant à une grande variété d’amibes libres (Tableau 6). Bien que ces multiples investigations confirment le statut d’ARB des MNT, la description des mécanismes de résistance mis en place au cours de l’interaction reste parcellaire, et focalisée sur seulement quelques espèces, à savoir M. avium, M. marinum et M. abscessus.

Tableau 6 : Mycobactéries non tuberculeuses décrites comme résistantes aux amibes, ainsi que les hôtes amibiens associés. Données compilées à partir de (Krishna Prasad and Gupta, 1978; Cirillo et al., 1997; Strahl et al., 2001; Skriwan et al., 2002; Solomon et al., 2003; Adékambi et al., 2006; Thomas et al., 2006, 2008; Mura et al., 2006; Drancourt et al., 2007; Goy et al., 2007; Ben Salah et al., 2009; Pagnier et al., 2009; Gryseels et al., 2012; Ovrutsky et al., 2013; Gupta et al., 2013; Delafont et al., 2014)

MNT Hôte

M. abscessus Ap, Ac M. aromaticivorans Cr

M. arosiense Ap

M. aurum Ap

M. avium Ac, Tp, Ap, Al, Dd

M. bohemicum Ap M. bouchedurhonense Ap M. chelonae Ap, Pr M. chimaera Ap M. colombiense Ap M. conceptionense Ap M. fortuitum Ac, Ap M. gastri Ap M. goodii Ap M. gordonae Ap M. immunogenicum Ap M. intracellulare Ap, Tp M. kansasii Ap, Ac M. lentiflavum Ap

M. llatzerense Asp, Pr, Vv, Av, Et, Nu, Av

M. mageritense Ap

M. malmoense Ap

M. marinum Ac, Ap, Dd

M. marseillense Ap M. massiliense Ap M. mucogenicum Ap M. peregrinum Ap M. phlei Ac M. phocaicum Pr, Ap M. porcinum Ap M. septicum Ap M. simiae Ac, Ap M. smegmatis Ac, Ap M. szulgai Ap M. terrae Ap M. timonense Ap M. tusciae Ap

M. ulcerans Ac, Ap, Va

M. xenopi Ap

Ac : Acanthamoeba castellanii ; Ap : Acanthamoeba polyphaga ; Al : Acanthamoeba lenticulata ;

Asp : Acanthamoeba sp. ; Cr : Cryptodifflugia sp. ; Vv : Vermamoeba vermiformis ; Va :

Vahlkampfia sp. ; Av : Allovahlkampfia sp. ; Et : Echinamoeba thermarum ; Nu : Nuclearia sp. ; Pr :

Mycobacterium avium (1)

Une des MNT modèles dans la caractérisation des mécanismes de résistance aux amibes est M. avium. La raison de cet intérêt réside principalement dans le pouvoir pathogène de cette MNT (traité au cours du chapitre III.5). Les premiers travaux s’y intéressant ont pu alors mettre en évidence une forte capacité d’infection chez A. castellanii (Cirillo et al., 1997). Plusieurs autres études ont par la suite confirmé le potentiel infectieux de M. avium vis à vis des amibes du genre Acanthamoeba (Steinert et al., 1998; Mura et al., 2006; Whan et al., 2006; Ben Salah and Drancourt, 2010; Ovrutsky et al., 2013). Au sein d’A. castellanii, les bacilles sont localisés dans des vacuoles issues de la phagocytose (Figure 26). En moyenne, entre 1 et 10 bacilles ont été observés au sein de chaque vacuole (Cirillo et al., 1997). De manière intéressante, ces mêmes auteurs ont mis en évidence que les vacuoles contenant M. avium fusionnaient significativement moins avec le lysosome, en comparaison avec une autre MNT, M. smegmatis (Cirillo et al., 1997).

Figure 26 : Trophozoïtes d’Acanthamoeba polyphaga à l’issue d’une infection par M. avium à 48 heures de co-incubation. De nombreux bacilles denses aux électrons sont retrouvés en nombre dans de larges structures vacuolaires. La barre d’échelle représente 1 µm. Figure tirée de (Steinert et al., 1998).

Ces premiers travaux ont permis de mettre en évidence la présence de mécanismes permettant de contrer activement le processus de phagocytose. Grâce à l’utilisation d’un modèle de macrophages, il a pu être déterminé que l’infection par M. avium des cellules phagocytaires est très similaire avec celle mise en place par M. tuberculosis. La reconnaissance et l’internalisation de M. avium est modulée par des récepteurs associés à la cascade du complément (CR1 et CR3), ainsi que des récepteurs de type MBP (Mannose Binding Protein) (Bermudez et al., 1991). Plus récemment, un îlot de pathogénicité a pu être identifié chez M. avium comme impliqué dans l’infection chez les amibes et les macrophages (Danelishvili et al., 2007). Les différents gènes codant identifiés alors se sont révélés primordiaux pour l’internalisation de la bactérie, leurs produits interagissant notamment avec l’actine de l’hôte. Cet îlot de pathogénicité n’est

cependant retrouvé que chez M. avium, n’expliquant donc que partiellement la capacité d’infection de l’ensemble du genre Mycobacterium chez les amibes. En parallèle à la forte capacité de prolifération de M. avium au sein d’Acanthamoeba spp., il a été démontré que cette MNT pouvait croitre de manière saprophyte en présence d’amibes, suggérant une capacité à utiliser des molécules sécrétées par les amibes pour sa croissance (Steinert et al., 1998). Lors de l’enkystement des amibes, M. avium possède la capacité particulière de résider entre les couches de l’endokyste et de l’ectokyste (Ben Salah and Drancourt, 2010). Cette capacité favoriserait la persistance des mycobactéries, bénéficiant de la protection du kyste résistant des amibes, tout en leur permettant de coloniser plus rapidement le nouvel environnement lors de son désenkystement.

Mycobacterium marinum (2)

Les mécanismes de résistance aux amibes de M. marinum, une autre MNT, ont été particulièrement étudiés. Les raisons de cet intérêt résident dans la proximité phylogénétique de cette espèce avec M. tuberculosis (Tønjum et al., 1998; Stinear et al., 2008). M. marinum est un pathogène des organismes poïkilothermes comme les batraciens ou les poissons. Les infections du poisson zèbre à M. marinum représentent ainsi un excellent modèle d’étude de la pathogénèse des mycobactéries tuberculeuses (Prouty et al., 2003). Les études s’intéressant aux interactions entre amibes libres et M. marinum ont été effectuées principalement avec l’amibe modèle D. discoideum, permettant de démontrer le potentiel infectieux de cette MNT, se multipliant au sein des phagosomes de son hôte (Solomon et al., 2003). De manière logique, les souches de M. marinum déficientes pour la multiplication au sein des macrophages le sont également au sein de D. discoideum, suggérant une certaine conservation dans les mécanismes de résistance (Solomon et al., 2003). L’internalisation de M. marinum semble être –au moins en partie- régie par la composition et la structure en lipo-oligosaccharides membranaires (LOS). En effet, il a pu être démontré une corrélation inverse entre la longueur des LOS et le taux d’internalisation par Acanthamoeba spp. ; les souches dépourvues de LOS étant les plus internalisées (Alibaud et al., 2013). Une fois internalisée, M. marinum perturbe la maturation du phagosome, notamment via la sécrétion de l’effecteur du T7SS ESAT-6 (démontré chez les macrophages), et l’expression de la protéine PE-PGRS MAG24-1 (Tan et al., 2006; Hagedorn and Soldati, 2007). Il en résulte ainsi la persistance des mycobactéries dans des phagosomes peu acidifiés, ne fusionnant pas avec les vésicules lysosomales. Au cours de la phase précoce de l’internalisation, il a récemment été mis en évidence un détournement des ressources de l’hôte, notamment via le recrutement de

gouttelettes s’accumulent au sein du phagosome contenant les mycobactéries qui finissent par les intégrer, formant des inclusions intracytoplasmiques riches en lipides (Barisch et al., 2015). Ce phénomène représenterait un stockage de ressources pour la bactérie, puisqu’il a été proposé que les acides gras libérés des tri-acylglycérols, trouvés dans les inclusions lipidiques, constituent la source nutritive principale des mycobactéries au cours de l’infection (Barisch et al., 2015). Alors que M. avium persiste principalement au sein des phagosomes de son hôte, M. marinum est en mesure de sortir du phagosome des amibes, probablement grâce à la sécrétion de l’hétérodimère composé de ESAT-6 et Cfp-10, puisqu’une activité membranolytique de ces effecteurs du T7SS a pu être observée (Gao et al., 2004; Hagedorn and Soldati, 2007; Smith et al., 2008). Une fois dans le cytoplasme de l’hôte, M. marinum est capable de se propulser par polymérisation d’actine (Figure 27 ; Stamm et al., 2003). Cette capacité n’a pas été constatée à partir des cultures de M. marinum en bouillon, mais seulement à partir des bacilles infectant des cellules. La polymérisation d’actine à un pôle du bacille permet la propulsion de la bactérie, et par extension la possibilité d’infecter les cellules adjacentes (Stamm et al., 2003). Bien que mis en évidence chez des lignées cellulaires de macrophages humains, ce phénomène, ainsi que le potentiel infectieux de M. marinum, ont pu être observés chez Acanthamoeba castellanii, confirmant à nouveau les similitudes du processus d’infection chez ces deux hôtes (Kennedy et al., 2012).

Figure 27 : Visualisation de la capacité de M. marinum à polymériser l’actine de l’hôte. Un macrophage infecté par M. marinum, visualisé par contraste de phase (A). L’actine

de l’hôte est marquée en rouge (B), et la souche de M. marinum exprime la GFP (green

fluorescent protein) (C). La superposition des acquisitions en fluorescence confirme

une colocalisation entre l’actine polymérisée et les bactéries (D). Visualisation par

microscopie électronique à balayage de l’actine polymérisée à un pôle du bacille (E).

Barre d’échelle pour (E) : 0,5 µm. Figure tirée de (Stamm et al., 2003).

A

D C

B

En plus de sa capacité à sortir du phagosome, il a pu être démontré que M. marinum peut également sortir de la cellule hôte par un mécanisme non lytique et dépendant de l’actine, l’éjectosome (Hagedorn et al., 2009). Récemment des travaux complémentaires sur les mécanismes d’éjection de M. marinum ont mis en évidence l’implication de la machinerie autophagique canonique de l’hôte dans la formation de l’éjectosome (Gerstenmaier et al., 2015). Ce mécanisme identifié, autorisant la sortie des bactéries infectantes tout en préservant l’intégrité de l’hôte, semble représenter un compromis bénéfique pour les deux parties.

Mycobacterium abscessus (3)

La MNT M. abscessus est l’espèce à croissance rapide la plus souvent impliquée dans les mycobactérioses humaines, motivant ainsi un effort de recherche pour la compréhension de l’aspect mécanistique de son pouvoir infectieux. Cette espèce comprend actuellement trois sous-espèces (sous-espèces abscessus sensu stricto, massiliense et bolletii) (Leao et al., 2011). Plusieurs travaux ont relevé le potentiel infectieux de cette MNT chez Acanthamoeba spp. (Adékambi et al., 2004, 2006; Bakala N’Goma et al., 2015). Le séquençage et l’annotation du génome de M. abscessus ont permis l’identification de nombreux facteurs de virulence impliqués dans le parasitisme intracellulaire (Ripoll et al., 2009). Cette analyse génomique a logiquement révélé la présence de facteurs de virulence classiquement décrits chez les mycobactéries, tels que les protéines PE-PPE, le système de sécrétion T7SS (variant ESX3 chez M. abscessus). En plus de cela, sept copies de l’opéron mce (mammalian cell entry) ont été identifiées. Les protéines codées par les gènes de cet opéron sont impliquées dans la capacité à infecter les cellules hôtes, et de précédentes études suggèrent une corrélation entre le pouvoir invasif et le nombre de copies de cet opéron (Arruda et al., 1993; Ishikawa et al., 2004). En plus de cela, des facteurs de virulence « non mycobactériens », acquis par des évènements de transferts horizontaux, ont été identifiés. Parmi ceux-ci, un gène codant une phospholipase C (PLC) a pu être identifié, potentiellement acquis de Streptomyces sp., Chromobacterium violaceum ou Pseudomonas aeruginosa (Ripoll et al., 2009). Les PLC sont des enzymes impliquées dans la lyse des membranes phospholipidiques eucaryotes, représentant donc un facteur de virulence bactérien (Titball, 1993). Lors de l’infection d’Acanthamoeba castellanii, il a récemment été démontré une augmentation de l’expression de la phospholipase C chez M. abscessus (Bakala N’Goma et al., 2015). De plus, lors de l’infection d’A. castellanii par un mutant déficient pour l’expression de la PLC, ce dernier est significativement moins capable de