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La qualité de l'eau à Paris

III. Les mycobactéries

III.6. Ecologie des mycobactéries non tuberculeuses dans les réseaux d’eau

Les MNT, à l’inverse des autres groupes de mycobactéries, sont considérées comme des colonisateurs ordinaires des environnements hydriques. L’étude de la colonisation de rivières d’eau douce par les mycobactéries a pu mettre en avant une corrélation positive entre la présence de ces germes et des valeurs de pH acides, ainsi qu’un enrichissement en ions métalliques (Kirschner et al., 1992; Iivanainen et al., 1993). Les mycobactéries sont majoritairement mésophiles (à l’exception de M. psychrotolerans), et sont ainsi en mesure de proliférer dans ces environnements hydriques naturels. De plus, de récents

travaux semblent suggérer que les mycobactéries possèdent des systèmes leur permettant de persister dans des environnements salins (6 à 7% de NaCl) (Trujillo et al., 2004; Ofer et al., 2012). Leur capacité à croitre dans des larges gammes de pH, température, salinité et disponibilité en oxygène, font des mycobactéries non tuberculeuses des colonisateurs performants de l’eau et du sol (Falkinham, 1996; Jones and Goodfellow, 2012). Les investigations sur la présence de MNT dans les lacs et rivières ont confirmé l’omniprésence de ces germes au niveau mondial (von Reyn et al., 1993; Stinear et al., 2000; Primm et al., 2004; Trujillo et al., 2004; Bland et al., 2005; Chilima et al., 2006; Makovcova et al., 2014).

III.6.1. Occurrence des mycobactéries non tuberculeuses dans

les réseaux d’eau potable

Les MNT ont été très fréquemment décrites en tant que colonisateurs des réseaux d’eau artificiels tels que les réseaux de distribution d’eau potable (Tableau 3). L’analyse de la littérature sur la colonisation des réseaux d’eau potable par les MNT atteste du caractère ubiquitaire de leur présence. En effet, les MNT ont pu être identifiées au sein de réseaux employant différents traitements de potabilisation, en présence ou non de chlore (Le Dantec et al., 2002b; van der Wielen and van der Kooij, 2010; Dubrou et al., 2013; van der Wielen et al., 2013). La présence de MNT a également pu être mise en évidence au sein de réseaux traités par des monochloramines (Falkinham, 2011). La diversité des traitements employés, ainsi que les différences de conception des réseaux d’eau (envergure, matériaux utilisés, source d’eau, stockage), expliquent en partie les grandes disparités observées des communautés de MNT. De ce fait, il est considéré que chaque réseau d’eau arbore une diversité de MNT qui lui est propre, avec leur présence comme seule constante (van der Wielen and van der Kooij, 2013). Une des variables influençant la communauté des mycobactéries est l’origine de l’eau d’approvisionnement, originaire principalement de sources en surface ou souterraines (Covert et al., 1999; Dubrou et al., 2013). Plusieurs espèces sont néanmoins largement répandues dans ces réseaux, comme M. gordonae, M. fortuitum, et M. chelonae, identifiées dans au moins 50% des études répertoriées (Tableau 3). A l’inverse, les espèces du MAC ne sont pas isolées de manière globale, mais semblent être préférentiellement isolées dans les réseaux des Etats-Unis, en comparaison avec les données disponibles en Europe (Tableau 3).

Malgré leur faible taux de croissance, les MNT ont été fréquemment décrites comme colonisant les différents points des réseaux d’eau, représentant parfois le genre majoritaire dans les communautés microbiennes. Une étude récente a pu ainsi démontrer que sur 17 réseaux d’eau municipaux analysés par séquençage haut débit, les mycobactéries étaient présentes dans 16 d’entre eux, et représentaient le genre majoritaire dans 35% des cas (Holinger et al., 2014). Une autre étude menée sur 40 sites dispersés au sein de 25 états aux Etats-Unis, a révélé la présence de MNT dans 98% (65/66) des robinets d’eau analysés. Les concentrations médianes en MNT étaient alors comprises entre 2x102 et 1x103 UFC (unités formant colonies) par litre d’eau (Donohue et

al., 2015). Ces données sont en accord avec des études précédentes aux Etats-Unis indiquant des concentrations en MNT dans les réseaux d’eau potable comprises entre 1x101 et 7x105 UFC par litre (Falkinham et al., 2001).

Tableau 3 : Diversité des mycobactéries non tuberculeuses isolées à différents points des réseaux d’eau potable, selon la littérature.

Nature de l'échantillon

Espèces identifiées Origine Référence

Biofilm de réseau de distribution d'eau potable

M. gordonae, M. gilvum, M. abscessus, M. fortuitum, M. septicum, autres MNT

Afrique du Sud

(September et al., 2004)

M. frederiksbergense, M. aurum, M. haemophilum, M. lentiflavum, M. psychrotolerans, M. holsaticum, M. nebraskense, M. abscessus, M. xenopi, autres MNT.

Etats-Unis d'Amérique

(Gomez- Smith et al.,

2015) Eau du robinet M. abscessus/chelonae, M. gordonae, M. llatzerense,

M. montefiorense, M. peregrinum/septicum, autres MNT

République Tchèque

(Klanicova et al., 2013)

M. avium, M. intracellulare, M. malmoense, M. szulgai, M. chelonae, M. gordonae, M. scrofulaceum,

M. terrae, M. triviale

Etats-Unis d'Amérique

(Falkinham, 2011)

M. mucogenicum, M. porcinum, M. avium, M. gordonae, M. cosmeticum, M. fortuitum, autres MNT

Mexique (Perez-

Martinez et al., 2013)

M. terrae, M. szulgai, M. gordonae, M. malmoense, M. kansasii, M. gastri

Inde (Sharma et

al., 2007)

M. llatzerense, M. vaccae, M. abscessus/chelonae, M. salmoniphilum, M. peregrinum, M. speticum

Pays-Bas (van Ingen

et al., 2010)

M. fortuitum, M. mucogenicum, M. phocaicum, M. porcinum, M. peregrinum, M. septicum, M. setense,

M. kansasii, M. grodonae, MAC, M. abscessus, M. chelonae, M. immunogenum, M. lentiflavum, M. franklinii, M. arupense, M. flavescens, M. mantenii, M.

gilvum, M. novocastrensis, M. scrofulaceum, M. smegmatis, M. szulgai.

Etats-Unis d'Amérique

(Donohue et al., 2015)

Tableau 2 (Suite) Réseau de distribution d'eau potable

M. franklinii, M. chelonae, M. salmoniphilum, M. llatzerense, M. fortuitum, M. setense, M. septicum, M.

alvei, M. peregrinum, autres MNT

France (Dubrou et

al., 2013)

M. gordonae, M. mucogenicum, M. intracellulare, M. gastri/kansasii, M. peregrinum, M. fortuitum, M.

scrofulaceum, M. avium

Etats-Unis d'Amérique

(Covert et al., 1999)

M. avium, M. kansasii, M. fortuitum, MAC Etats-Unis

d'Amérique

(Hilborn et al., 2006)

M. abscessus/chelonae, M. angelicum/szulgai, M. arupense, M. austroafricanum, M.

bolettii/massiliense, M. cooki, M. cosmeticum, M. diernhoferi, M. farcinogenes, M. flavescens, M. fluoanthenivorans, M. fortuitum, M., gadium, M.

gilvum, M. gordonae, M. interjectum, M. intracellulare, M. kansasii, M. lentiflavum, M. margeritense, M. moriokaense, M. mucogenicum, M.

porifae, M. rhodesiae, M. simiae, M. terrae, M. tilburgii, M. triplex, M. wolinsky, MAC, autres MNT

Australie (Thomson et

al., 2013)

M. gordonae, M. flavescens, M. kansasii, M. chelonae, M. fortuitum, autres MNT

Allemagne (Fischeder

et al., 1991)

M. gordonae, M. flavescens, M. fortuitum, M. terrae, M. scrofulaceum, autres MNT République Tchèque (Kubálek and Mysák, 1995) M. gordonae, M. nonchromogenicum, M. aurum, M.

gadium, M. fortuitum, M. peregrinum, M. chelonae, M. intracellulare, autres MNT

France (Le Dantec

et al., 2002b)

M. salmoniphilum, M. gordonae, M. llatzerense, M. avium, M. genavense, autres MNT

Pays-Bas (van der

Wielen et al., 2013)

Le terme « autres MNT » désigne la présence d’espèces de MNT autres que celles citées, mais dont les informations taxonomiques sont insuffisantes pour déterminer avec certitude l’espèce.

Les biofilms sont une composante primordiale de l’écologie des MNT. La nature hydrophobe de la paroi mycobactérienne favorise leur adhérence aux surfaces plastiques et métalliques composant les réseaux d’eau potable (Falkinham, 2002). Les MNT sont ainsi capables de développer des biofilms mono-espèce en conditions de laboratoire et simulant l’environnement d’un réseau d’eau potable ; pour cela, elles sont considérées comme des colonisateurs primaires des surfaces (Hall-Stoodley and Lappin-Scott, 1998; Hall-Stoodley et al., 1999; Williams et al., 2009). Ces propos sont illustrés dans le cadre d’une étude décrivant les populations microbiennes des biofilms colonisant les pommeaux de douches, qui a relevé la présence majoritaire des MNT au sein de ces structures (Feazel et al., 2009). Dans les réseaux d’eau, les MNT sont classiquement retrouvées au sein des biofilms, dans des proportions comprises entre 25 et 75% de la communauté bactérienne totale (Gomez-Smith et al., 2015). Les MNT du MAC ont pu être identifiées au sein de biofilms, dans des concentrations pouvant atteindre

4,3x102 UFC par cm2 (Falkinham et al., 2001). Les MNT semblent coloniser les couches

supérieures des biofilms de manière ubiquitaire, sans distinction au regard de la composition du support ainsi que de l’âge du biofilm (Gomez-Smith et al., 2015).

III.6.2. Résistance aux traitements de désinfection

Une des clés du succès de la colonisation des réseaux d’eau par les mycobactéries est leur résistance naturelle aux différents traitements de potabilisation de l’eau. En effet, l’établissement et la colonisation des mycobactéries dans le réseau apparaît comme un processus irréversible, malgré la mise en place en amont de mesures renforçant la filière de potabilisation (Hilborn et al., 2006). Bien que l’implantation des mycobactéries dans les biofilms soit un facteur favorisant cette persistance, la résistance intrinsèque de ces germes a été démontrée au cours de plusieurs études. Les espèces M. fortuitum, M. chelonae, M. aurum et M. gordonae, classiquement retrouvées dans les réseaux d’eau, ont été décrites comme 100 à 600 fois plus résistantes au chlore que la bactérie Escherichia coli (Le Dantec et al., 2002a; Lee et al., 2010). Les espèces M. avium, M. intracellulare, M. lentiflavum et M. fortuitum sont également 2 à 10 fois plus résistantes aux rayonnements UV, par comparaison avec E. coli (Lee et al., 2010). Confirmant ces observations de laboratoire, de nombreuses espèces de mycobactéries ont pu être isolées de points d’eau comportant des concentrations résiduelles de chlore atteignant jusqu’à 3 mg/mL (Taylor et al., 2000; Pryor et al., 2004; Wang, Pryor, et al., 2013). Les monochloramines, un autre traitement de l’eau répandu en Amérique du Nord, s’avèrent également peu efficaces pour le contrôle des MNT. De manière intéressante, l’application d’un traitement à la monochloramine peut même induire un enrichissement de la population bactérienne en mycobactéries (Falkinham et al., 2001; Gomez-Alvarez et al., 2012; Revetta et al., 2013; Wang, Pryor, et al., 2013; Gomez-Smith et al., 2015). Cet enrichissement pourrait simplement refléter la meilleure résistance des mycobactéries à ce traitement, face aux autres germes colonisant les réseaux d’eau potable. Ce phénomène résulterait donc d’un abattement plus conséquent des bactéries autres que Mycobacterium, augmentant de manière relative leur proportion au sein de la communauté totale.