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Chapitre 7 Présentation de la démarche de conception participative

1.1 Les réunions de conception participatives

1.1.1 Objectifs

1.1.1.1 Définition des spécifications de l’application tangible

Dans le cadre du projet Tactileo, un objectif des réunions de conception consistait à définir des spécifications en vue de réaliser un prototype fonctionnel et stabilisé. Pour cela les caractéristiques de l’application tangible de simulation ont dû être définies finement à plusieurs niveaux :

 les fonctions techniques (p. ex. les conditions d’affichage d’un élément de l’interface

selon l’agencement spécifique de certains objets tangibles) ;

 les interactions tangibles et tactiles (p. ex. les manipulations des objets tangibles à prendre

en compte ou les modalités tactiles de transition entre différents niveaux de représentation) ;

 les objets tangibles (formes et dimensions) et les images à afficher (type d’image, contenu

et taille).

Ces éléments devaient permettre aux ergonomes de formuler des spécifications techniques dans un langage adapté au développeur informatique. En outre, ils étaient également repris par

les ergonomes pour produire des propositions d’objets tangibles et d’images mobilisées lors des interactions tangibles avec le simulateur.

1.1.1.2 Reformulation des scénarios pédagogiques existants

Le second objectif des réunions de conception était de reformuler les scénarios pédagogiques existants, rédigés en amont par le groupe de travail (GT) de l’Institut Français de l’Education (IFÉ) et mis en œuvre par les enseignants concepteurs dans leur activité d’enseignement. En général, lorsqu’un enseignant prépare son cours, il définit ou adapte un scénario pédagogique pour guider son enseignement (p. ex. Durand, 1996). Il planifie son cours en construisant une « auto-prescription » (p. ex. Saujat, 2010) à partir des ressources dont il dispose (scénarios pédagogiques existants, manuels scolaires, expérience personnelle, formation, connaissances, etc.) et des contraintes auxquelles il est soumis (matériel disponible, nombre d’élèves dans les classes, durée du cours, caractéristiques personnelles, difficultés rencontrées par les élèves, etc.). Lors de sa mise en œuvre, le scénario pédagogique fait l’objet d’adaptations à chaud en fonction des aléas de l’activité en classe, qui constituent une forme de mise à l’épreuve de ces prescriptions.

Des scénarios pédagogiques existaient préalablement à la conception et ont servi de base pour l’élaboration de nouveaux scénarios intégrant l’application tangible de simulation. Les réunions de conception ont principalement consisté à reformuler et à enrichir ces scénarios pédagogiques existants. Ils étaient parfois modifiés directement, mais le plus souvent, des exigences sur leur contenu étaient formulées. Entre les réunions, les enseignants concepteurs et l’enseignante-chercheure en didactique actualisaient et mettaient en forme les nouvelles versions des scénarios pédagogiques.

1.1.2 Participants impliqués dans les réunions de conception

1.1.2.1 Le groupe de travail de l’Institut Français de l’Éducation

Le groupe de travail de l’Institut Français de l’Éducation qui a participé à la conception était constitué d’une enseignante-chercheure en didactique des sciences et de deux enseignants de collège en physique-chimie. Ils avaient travaillé ensemble à plusieurs occasions par le passé, dans le cadre d’activités de recherches sur la conception de ressources pédagogiques. À ces occasions, ils ont pu expliciter les contraintes, les normes et les caractéristiques de leurs pratiques enseignantes, et en débattre au regard de travaux de recherche sur le savoir et l’apprentissage des élèves (voir p. ex. Veillard, Tiberghien & Vince, 2011 pour des travaux

similaires). Par conséquent, l’enseignante-chercheure était familière de l’activité des deux enseignants de physique chimie. Elle avait pu réaliser des observations dans leurs classes et recueillir leurs retours d’expérience à plusieurs reprises. De plus, tous les trois étaient en accord sur l’approche didactique à adopter en conception de ressources pédagogiques.

L’enseignante-chercheure en didactique, si elle n’était pas une future utilisatrice du dispositif à concevoir, avait un rôle important dans la dynamique du groupe de travail existant. Des travaux montrent en effet que la présence d’experts sur les contenus disciplinaires à enseigner était recommandée en conception participative entre enseignants (p. ex. Handerzalts, 2009). Ces experts contribuent par exemple en apportant un point de vue éclairé sur l’acquisition par les élèves de concepts physiques difficiles et en orientant les échanges autour d’objectifs didactiques clairs.

De par l’expérience en conception des enseignants de physique-chimie impliqués, la question de leur représentativité des utilisateurs finaux se pose. En effet, les processus de conception participative donnent l’occasion aux participants d’expliciter leurs besoins, de faire preuve de réflexivité sur leur activité en vue de la transformer et d’envisager des pistes d’amélioration (p. ex. Tricot & Plegat-Soutjis, 2003).

Les enseignants que nous avons mobilisés étaient familiers de cet exercice. Selon les thèmes du programme, ils étaient par exemple conscients des difficultés qu’ils avaient rencontrées, des connaissances et des conceptions antérieures des élèves, des limites de certaines techniques d’enseignement ou des expériences pertinentes pour aborder une notion donnée du programme scolaire. Cela transparaît en particulier dans les résultats du chapitre précédent sur l’analyse des besoins qui a donné des résultats à ces différents niveaux.

Du point de vue de la conception de scénarios pédagogiques, ces différentes formes de connaissances ont donc pu impacter les caractéristiques des scénarios concernant par exemple : le discours de l’enseignant, le temps dévolu aux différentes sous-tâches, le choix des expériences à réaliser en classe avec les élèves ou encore les formes de représentations à proposer aux élèves. Le chapitre suivant illustre certains de ces points.

1.1.2.2 Prise en compte des processus d’apprentissage des élèves

Le chapitre 2 a abordé la nécessité de rassembler des participants qui soient représentatifs des utilisateurs finaux (Damodaran, 1996). Il semblerait donc logique, en conception de dispositifs à but éducatif, de prendre les élèves en compte. C’est par exemple le cas dans les

travaux en ergonomie orientée enfant (Décortis, 2015), qui repose sur l’analyse de l’activité des élèves.

Cependant, le statut des élèves peut révéler un obstacle de taille pour leur participation à l’ensemble du processus de conception. En effet, nous avons vu (p. ex. Couix, 2012) que les phases initiales de la conception correspondent à l’identification des besoins des futurs utilisateurs afin d’en déduire des exigences et des spécifications. Une spécificité de l’apprentissage, en milieu scolaire tout au moins, est que les apprenants n’ont pas toujours une vision globale des objectifs de l’enseignant (cf. la métaphore de l’acquisition de Sfard, 1998). Ce manque de recul rend difficile leur implication dans les premières phases de la conception, à la différence des enseignants qui sont plus souvent sollicités (p. ex. Cviko, McKenney & Voogt, 2013 ; Musial & al. 2011 ; Voogt & al., 2011). C’est pourquoi nous n’avons pas directement sollicité d’élèves dans les réunions de conception, mais plutôt lors de la mise en œuvre des produits de la conception en situation réelle.

De plus, une limite des approches focalisées exclusivement sur l’apprentissage peut être de laisser de côté l’activité des enseignants (Burkhardt, 2010), dirigée vers l’acquisition de connaissances par les élèves. Or cette activité doit être prise en considération dans le cadre de démarches de conception de TICE pour favoriser leur intégration dans le travail enseignant. Au final, les concepteurs doivent donc s’appuyer à la fois sur les activités d’enseignement et d’apprentissage.

Par ailleurs, afin de prendre en compte l’apprentissage sur l’ensemble de la conception, il a été montré que l’analyse d’une tâche-élève peut s’appuyer sur l’expertise d’un didacticien dans une discipline donnée afin d’identifier ce que l’élève peut faire pour la réaliser (Rogalski, 2008). Un didacticien peut en effet s’appuyer sur les différents types de processus d’apprentissage adaptés aux formes de connaissances des élèves (p. ex. Musial & al., 2011) afin de proposer des tâches d’apprentissages pertinentes dans le cadre de leur enseignement. C’était un des rôles de l’enseignante-chercheure en didactique qui a participé à l’ensemble de la conception.

1.1.2.3 Les ergonomes du CEA-LIST

Au moins un ergonome était présent à chaque réunion parmi les deux qui participaient au projet de conception (une ergonome experte en conception avec de nouvelles technologies et un doctorant en ergonomie).

Ils avaient plusieurs rôles lors des réunions de conception, dont celui de référent sur la technologie (tables interactives et interactions tangibles). Ce rôle se traduisait par la présentation des technologies, de leurs apports et limites potentiels, à la fois techniques et ergonomiques, notamment grâce aux résultats de l’analyse prospective (cf. chapitre 5) et à la littérature (cf. chapitre 3). De plus, ils rendaient compte de l’avancement de la réalisation de l’application tangible et des objets intermédiaires de conception.

En outre, les ergonomes étaient également co-concepteurs, critiques et forces de propositions d’après la littérature et les études menées sur le terrain. Ils assistaient la démarche globale en traçant la logique de conception concernant l’avancement des caractéristiques de l’artefact. Enfin, les ergonomes alimentaient, avec l’enseignant qui y avait participé, les restitutions post-expérimentales et émettaient des propositions d’amélioration en lien avec la technologie.

1.1.3 Matériel

Les réunions de conception avaient lieu dans les locaux de l’IFÉ, qui disposait d’une table interactive. Initialement, un démonstrateur avait été conçu en amont des réunions pour illustrer les principes de base des interactions tangibles. Il s’agissait du même que celui utilisé dans l’atelier créatif du chapitre 5. Dans un premier temps, des maquettes papier ont été utilisées. Par la suite, les concepteurs ont pu interagir avec différentes versions de l’artefact en cours d’élaboration, c.-à-d. les objets tangibles et le prototype de l’application logicielle. Par ailleurs, les scénarios pédagogiques initiaux, ou en cours de reformulation, servaient également de support pour guider la conception.

1.1.4 Données recueillies

Des enregistrements audio de chaque réunion ont été réalisés et, pour certaines d’entre-elles, une caméra filmait les échanges entre concepteurs et leurs interactions avec la table interactive et les objets tangibles. Les différents supports mobilisés, ont également été collectés, p. ex. les croquis des concepteurs, les maquettes utilisées et les comptes-rendus des réunions.