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Chapitre 3 La conception avec des technologies émergentes

4.2 La co-conception

On distingue trois grandes formes de participation des ergonomes aux projets de conception (Couix, 2012) : l’approche Human Factors, l’assistance à maîtrise d’ouvrage et la co-conception.

Dans l’approche Human Factors, le rôle de l’ergonome est de produire des connaissances scientifiques sur l’homme au travail et de les synthétiser dans des manuels ou sous forme de recommandations ergonomiques utilisables par les concepteurs. L’ergonome n’intervient alors pas toujours directement dans la conception, ce qui peut présenter des limites, notamment pour que les concepteurs s’approprient les nombreuses recommandations disponibles dans la littérature (Chapanis, 1996).

En assistance à maîtrise d’ouvrage, les ergonomes interviennent en tant qu’intermédiaires entre concepteurs et utilisateurs futurs. Ils cherchent à assurer une meilleure prise en compte des conditions de travail réel dans la solution future afin d’enrichir les objectifs de la conception et d’identifier les contraintes à prendre en compte (Bourmaud, 2006 ; Daniellou, 2004). Daniellou & Naël (1995) décrivent trois grandes tâches de l’ergonome en assistance à maîtrise d’ouvrage :

 L’enrichissement des objectifs du projet à partir de l’étude de situations de références ;

 La formulation de repères prescriptifs pour la conception sous forme de recommandations

notamment ;

 La simulation de l’activité future à partir de scénarios et avec de futurs utilisateurs.

Enfin, en co-conception, l’ergonome est impliqué au même titre que les autres concepteurs dans la maîtrise d’œuvre (Darses & De Montmollin, 2006). La principale différence avec l’assistance à maîtrise d’ouvrage réside dans la plus grande implication des ergonomes dans la définition des spécifications. Pour ces deux types de démarche, Chapanis (1996) propose une décomposition en 5 étapes :

 Définir avec le mandant le besoin initial ;

 Établir la liste des exigences, c’est-à-dire ce que le système devra faire et ses principales

propriétés, sur le plan fonctionnel, opérationnel et physique ;

 Définir les fonctions, l’utilisation, le comportement et l’architecture de l’interface du

 Spécifier précisément l’interface du système ;

 Simuler et évaluer l’utilisation du dispositif.

En conception sur technologie émergente, la co-conception présente un intérêt fort pour le rôle qu’elle offre aux ergonomes dans la spécification de l’interface. En effet, cela permettrait, selon nous, de prendre concrètement en compte les besoins émergeant au fil de la conception et de les articuler avec l’avancement des modes opératoires au niveau de l’interface. Étant donné le rôle des représentations dans une interface tangible, il est d’autant plus pertinent de demander aux ergonomes de la spécifier puisqu’ils sont en lien direct avec les futurs utilisateurs. En allant plus loin, il serait même intéressant d’y impliquer ces derniers.

4.3 L’analyse des besoins en co-conception

Dans cette partie, nous reprenons les travaux de Couix (2012) sur l’analyse des besoins en projet de conception et de la synthèse qu’il en fait en comparant la conception de systèmes de travail (Daniellou, 2004) et la conception de systèmes interactifs (Chapanis, 1996 ; Maguire, 2001).

Tout d’abord, les concepteurs partent d’une demande qu’ils doivent s’approprier et reformuler. Ils recueillent ensuite les besoins et les exigences de l’ensemble des parties prenantes, dont les utilisateurs finaux. L’auteur distingue les exigences, qui peuvent être directement recueillies en l’état, des besoins, qui doivent être identifiés avant d’être reformulés en exigences. Enfin les exigences sont filtrées et, pour celles retenues, traduites en spécifications par les concepteurs. La figure 10 (Couix, 2012) décrit ce processus.

Comme nous l’avons vu, les besoins sont rarement exprimés en tant que tels par les utilisateurs futurs qui émettent plutôt des attentes vis-à-vis du futur système. L’ergonome doit alors identifier les besoins sous-jacents à ces attentes « latentes » (Sperandio, 2001). Pour cela, il peut mobiliser des connaissances scientifiques issues de la littérature en ergonomie (Lamonde, 2004) ainsi que les bibliothèques de situations qu’il a construites au fil de ses interventions (Daniellou, 2004). Il peut également mener une analyse du travail réel dans des situations de référence afin d’en identifier les éléments constitutifs des besoins suivants (Couix, 2012) :

 Les caractéristiques organisationnelles, techniques ou physiques afin de repérer par

exemple les contraintes qui s’appliqueront au futur système ou les tâches prescrites ;

 Les éléments structurants de l’activité des utilisateurs tels que leurs objectifs, leurs

ressources, leurs modes opératoires et les difficultés rencontrées, et qui représentent des éléments à conserver dans la situation future ou à prendre en compte dans la conception ;

 Les caractéristiques physiques et cognitives des futurs utilisateurs afin de prendre en

compte leurs connaissances, leurs compétences et leurs expériences.

Les exigences correspondent aux réponses à ces besoins et décrivent ce que le système ou l’artefact devra faire. À partir des exigences retenues, les spécifications de l’artefact à concevoir sont définies à un niveau suffisamment détaillé pour permettre son implémentation, p. ex. matérielle ou logicielle, sous la forme de solutions de conception. Elles sont ensuite évaluées afin de valider les choix de conception au regard des besoins reformulés et des exigences retenues ou alors de reboucler sur des étapes antérieures afin d’améliorer les solutions si besoin.

La description du processus de conception (figure 10) ne rend pas compte de la réalisation et de l’évaluation des solutions de conception, car elle est centrée sur l’analyse de besoins. Dans la pratique (Simon, 1999) des itérations apparaissent au sein d’une même étape ou entre certaines d’entre elles. En effet, pour reprendre la métaphore de Schön (1992), les concepteurs dialoguent avec la situation : celle-ci réagit à leurs actions et apporte de nouvelles informations qui contribuent à la compréhension et à la résolution du problème de conception, ce qui induit des retours en arrière ou des remises en question des choix de conception.