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Les questions transversales aux situations de handicap

38 Suivi projet, scolarité

3. Les parcours vus par les familles

3.1 Les questions transversales aux situations de handicap

Sur ce plan, notre recueil d’expérience converge avec nombre d’éléments déjà bien documentés, à savoir la fréquence du ressenti de violence de l’annonce par les professionnels de santé, quand un diagnostique s’impose dès la naissance.

«Le problème, à la naissance, les médecins sont brutaux [...] Un jour, un médecin de garde a dit à mon mari – le petit avait 15 jours - : ne vous attachez pas, ce sera un légume » (Sit.2)

Dans le cas d’une prise de conscience plus tardive des problèmes, ce qui est le cas dans les situations de retard mental ou physique, on assiste fréquemment soit à une minoration des problèmes, soit à un retard de communication du diagnostique de la part du corps médical.

« Il est né au mois de mars 2003 et au mois d’août de la même année, Q n’avait pas de port de tête, il ne restait pas du tout assis, il était toujours dans la position allongée. Il ne suivait pas, il ne fixait pas. Donc le pédiatre nous dit : tout va bien » (Sit.17)

Comme le souligne (Baszanger, 1986) à propos des maladies chroniques, « dans un premier temps, soit les symptômes sont ininterprétables, soit si peu clairs que, dans le doute, le médecin retarde

le moment du diagnostique pour obtenir plus de certitude clinique. En fait, cette stratégie de retardement est celle suggérée par la plupart des textes médicaux, surtout pour diminuer le risque de faux diagnostique [...] Il y a à cette stratégie de retardement une autre raison : attendre le plus tard possible pour ‘porter la mauvaise nouvelle’ »9 .

« Puis vous savez, les professionnels : les médecins, les pédopsychiatres, les neurologues, enfin tous ceux que l’on peut rencontrer dans les hôpitaux, ils ne prennent aucun risque. Ils ne vont jamais se mouiller. C’est toujours feutré, ils ont toujours peur ». (Sit. 17)

En revanche dans les situations de difficultés comportementales, l’étiquette de « handicap » n’est pas toujours comprise ou acceptée.

« Autrement, quand on m’a dit l’IME, j’ai eu du mal à admettre. Je disais : ma fille n’est pas handicapée, elle n’est pas malade, ce n’est pas une folle […] Quand on me dit où est M., je dis internat. Parce que le mot IME… Pour moi, c’est quelqu’un qui n’a pas d’incapacité mentale ou physique […] Le mot IME était très dur pour moi à admettre, comme la reconnaissance de travailleur handicapé, pareil, ça fait mal. Pareil, parce que ma fille elle n’est pas handicapée. Voilà, ce sont plein de petits mots [...] Et ma fille, physiquement et mentalement, elle n’est pas handicapée. C’est juste le comportement mais bon, le comportement [on] m’a fait comprendre que c’était un handicap »

(Sit. 1)

Toujours sur les problèmes de comportement, la situation semble moins violente aux parents dont un enfant précédent a déjà suivi le même parcours. Sachant que ces situations sont, dans notre corpus, le fait de famille en difficulté sociale, cet aspect se cumule avec le flou du diagnostique et explique en partie qu’ils ne parlent pas de diagnostique d’eux-mêmes et, lorsque l’on leur demande, ils décrivent très succinctement les problèmes de l’enfant. Ceci rejoint les observations de François Sicot (2005) qui propose de faire une distinction entre « handicap avéré » et « handicap psycho- social ». Dans le cas de « handicap psycho-social », où le problème est souvent un problème social d’inadaptation ou de retard à l’école, bien souvent les familles ne reçoivent aucun diagnostique ou un diagnostique très vague, qui se traduit par une étiquette médicale « passe partout » le fait que l’école ne peut pas se charger de cet enfant dans des conditions satisfaisantes. « Si la notion de handicap socio-culturel n’est plus guère utilisée par les professionnels dans leurs écrits, elle fait toujours référence, car on y recourt ici ou là dans des discussions, dans des réunions d’équipe. Par ailleurs, lui a été substituée au niveau théorique la catégorie diagnostique de troubles du caractère et du comportement (TCC) qui est l’indication de prise en charge en ITEP et qui fournit la légitimité médicale à l’orientation des élèves en difficulté ou difficiles. »10. Le constat de Sicot reste d’actualité au sens où la plupart des enfants de milieu populaire ne souffrant pas d’un « handicap avéré », voit ce handicap découvert par l’école. Ainsi leurs parents ne peuvent pas fournir de diagnostique précis, mais uniquement décrire phénoménologiquement les difficultés de leur enfant. Cette absence de diagnostique ne semble pas résulter uniquement de l’éloignement des parents du discours médical ou scientifique mais être également lié au fait qu’on ne leur a pas fourni de diagnostique beaucoup plus précis que la description qu’ils en font.

« Interviewer : pour le parcours médical, vous avez eu un diagnostique ? Mère : Pour lui, non. » (Sit.

11 : jeune de 9 ans suivi par le SESSAD rattaché à l’IME où est orienté son frère aîné).

Déjà une étude sur les orientations de la CDES, soulignait ce même phénomène dans les cas de handicap révélés par l’école. « L’enfant entre à l’école maternelle puis continue éventuellement en

primaire. Là, les difficultés relationnelles et/ou scolaires sont révélées par les enseignants qui vont

déclencher à la fois le processus de recherche et d’annonce du handicap »11.

Un dernier point apparaît cette fois explicitement dans notre corpus, c’est celui de la solitude des parents devant la survenue du handicap. Il n’est fait état d’aucun soutien de la part de l’entourage familial ou amical, c’est même l’inverse qui est rapporté, à savoir le sentiment d’un éloignement du réseau familial et amical et d’un repli sur soi consécutif à l’apparition des difficultés. Cet aspect, documenté dans le champ des personnes âgées12, apparaît relativement contre-intuitif par rapport à nos hypothèses de départ. En effet, nous envisagions plutôt le scenario d’un soutien associatif reflétant l’engagement des familles dans une forme de militantisme rattaché à la mise en avant de la cause de leur enfant (Morel, 2012), ceci étant valable également pour les familles les moins dotées en capital social.